« Vous voulez un nouveau téléphone ? C’est facile ! ». La voix est artificielle, au point d’être comique : bien loin d’un Siri, ou d’un assistant vocal classique, la voix semble venir de l’application Google Traduction. Elle continue, de manière hachée : « Vous pouvez obtenir des offres spéciales d’Amazon et de ce réseau social. Devenez testeur de téléphones Apple, il suffit de répondre à quelques questions et vous obtiendrez un nouveau téléphone ». Pendant que la voix parle, des images défilent : on peut voir à l’écran l’« unboxing » (l’ouverture en live d’un produit, ndlr) d’un iPhone de dernière génération. Une personne enlève le film plastique qui recouvre l’écran, et tourne dans tous les sens pour nous prouver qu’il s’agit bien d’un vrai, et non pas d’une contrefaçon.
Ces vidéos sont assez communes sur TikTok. Numerama, au fil de plusieurs semaines, en a trouvé plusieurs dizaines, toujours très semblables et utilisant les mêmes techniques pour attirer l’œil des utilisateurs. Elles mettent en avant des produits tech de dernière génération, des iPhone 12 ou des PS5, des images alléchantes, et la promesse de pouvoir les gagner, gratuitement. Seulement, ces publicités ne sont pas réelles : elles cachent en réalité des tentatives d’escroqueries.
Si les tentatives d’arnaques sur les réseaux sociaux ne sont pas nouvelles, plusieurs choses sont inquiétantes dans cette histoire. Premièrement, les publicités que Numerama a pu voir sont sponsorisées par la plateforme, ce qui veut dire que TikTok gagne de l’argent grâce à leur diffusion. Et deuxièmement, certaines de ces vidéos usurpaient l’identité de vraies marques, ce dont le réseau social ne s’est pas rendu compte. Que s’est-il passé pour que TikTok valide ces vidéos, et pourquoi rien n’a été fait pendant des mois ?
« Gagnez un iPhone 12, c’est facile ! »
Sur Tiktok, on en croise très souvent : les publicités ont le même format que les vidéos publiées sur la plateforme par les utilisateurs. Un montage serré, des plans d’iPhone en gros plan, une personne particulièrement heureuse de faire l’unboxing, une musique entraînante, et le tour est joué. En dehors de la voix très artificielle présente dans certaines vidéos, les publicités frauduleuses que Numerama a pu visionner peuvent très facilement se fondre dans le décor et passer pour de simples TikTok. Plusieurs d’entre elles rassemblent d’ailleurs des centaines de likes, indiquant leur popularité auprès des utilisateurs.
Surtout, ces publicités peuvent être omniprésentes : après avoir fait une recherche sur le hashtag #iPhones (24,6 milliards de vues), nous sommes tombé sur plusieurs de ces publicités en passant seulement une dizaine de minutes sur Tiktok.
https://twitter.com/ml_s91/status/1347638331195191300
Numerama s’est laissé prendre au piège volontairement, et a cliqué sur plusieurs de ces annonces, un « jeu concours pour avoir la chance de gagner un iPhone 12 », ou, en fonction des pubs, une Playstation 5. C’est ensuite toujours la même histoire, déclinée en plusieurs versions :
- Dans certains cas, la page sur laquelle nous nous retrouvons ressemble en tout point au site d’Amazon, et reprend le logo de la multinationale.
- Dans d’autres cas, nous avons été accueillis par des confettis et une annonce : nous avons été « sélectionné au hasard » pour participer à « une enquête développée à fin (sic) d’améliorer le service à nos utilisateurs (sic) », et notre participation sera « récompensée ».
- Des commentaires sont affichés sur la page, vantant les mérites de cette initiative : plusieurs personnes écrivent d’ailleurs qu’elles n’y croyaient pas au début, mais qu’elles ont bel et bien reçu leur prix.
- En dessous, invariablement, un compte à rebours est affiché, qui égraine déjà les secondes : nous n’avons, en fonction des pages, qu’entre 4 et 1 minute pour participer à cette « enquête ».
Ne renseignez jamais votre carte bancaire dans ce genre de sites
Afin de gagner les iPhones ou les PS5 en jeu, nous devons ensuite répondre à quatre questions (peu importe les réponses données), et un encart apparaît pour nous informer que « nos réponses ont été acceptées », et que nous n’avons plus maintenant qu’à jouer à un jeu (il s’agit de cliquer sur le bon paquet cadeau parmi 9 pour gagner) afin d’avoir, enfin, droit à notre iPhone / PS5. Comme par hasard, à chaque fois, nous avons cliqué sur le bon. Et c’est à ce moment que la victoire paraît si proche, que le site nous demande de renseigner notre numéro de carte bancaire.
Officiellement, il s’agit juste de payer les frais de livraison de notre toute nouvelle PS5. Le montant affiché n’est d’ailleurs jamais très cher : entre 1,5 et 3 euros. C’est seulement en lisant dans les petites lignes que l’on se rend compte que le site se permet de prélever, en plus, près d’une trentaine d’euros tous les quinze jours.
Usurpation d’identité sur TikTok
Les arnaques ne sont pas nouvelles sur les réseaux sociaux, il est très courant d’en trouver. Numerama avait d’ailleurs relevé le même problème de publicités frauduleuses sponsorisées sur Instagram à plusieurs reprises, pour des supposés services bancaires et pour l’obtention du permis de conduire.
Il y a cependant plusieurs choses à propos de ces publicités frauduleuses qui, en particulier, posent de nouveaux problèmes : certaines usurpent l’identité de personnes ou de marques connues.
Certaines publicités frauduleuses que Numerama a visionnées utilisaient les noms et les logos d’entreprises réelles, tels que la chaîne d’électroménager Boulanger ou encore le média Presse Citron. Nous avons contacté Boulanger et Presse Citron, qui nous ont bien confirmé ne pas être à l’origine de ces « publicités ». Si la chaîne d’électroménager était déjà au courant, ce n’était pas le cas pour les équipes de Presse Citron. D’autres vidéos, qu’un utilisateur de Tiktok a repérées, usurpaient l’identité du Youtubeur Seb la Frite (4,7 millions d’abonnés), et de Decathlon. En plus d’être illégal (l’usurpation d’identité numérique est une infraction passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende), le fait de se faire passer pour une marque est d’autant plus dangereux qu’il confère une vraie légitimité aux publicités.
C’est d’autant plus inquiétant sur Tiktok, où la grande majorité des utilisateurs sont très jeunes, voire mineurs. Le fait que les escrocs derrière ces publicités essaient de gagner la confiance des utilisateurs, tout en les pressant avec des comptes à rebours, est donc d’autant plus perturbant.
Des barrières faciles à contourner ?
Tout le monde ne peut pas lancer de campagnes publicitaires comme il veut sur Tiktok. Il faut, pour y parvenir, remplir des formulaires administratifs et être accepté par la plateforme. Tiktok Ads est également interdit aux autoentrepreneurs.
Il faut être une entreprise déclarée, et il faut pouvoir le prouver : la plateforme demande de renseigner le numéro d’identification au registre du commerce (numéro RCS) et le numéro d’immatriculation à la TVA, des numéros obtenus après des demandes officielles auprès de plusieurs organismes. Tiktok n’accepte de nouveaux annonceurs seulement une fois que ces informations sont précisées. La vérification semble être faite manuellement par la plateforme.
Malgré tout, il est évident que les mesures de protection prises par Tiktok ne sont pas suffisantes pour protéger ses utilisateurs de publicités frauduleuses, ni pour protéger les entreprises d’usurpation d’identité. Comment, malgré les vérifications, cela a-t-il pu arriver ? Une première hypothèse serait que les annonceurs passent par le nom d’une entreprise pour être acceptés par la plateforme avant de publier leurs annonces sous le nom d’autres entreprises. Ce qui voudrait également dire qu’une fois qu’une entreprise est acceptée sur la plateforme, il n’y a pas ou très peu de modération sur les vidéos publicitaires.
La deuxième option serait que les escrocs arrivent à tromper la surveillance de Tiktok en utilisant des numéros RCS qui ne sont pas les leurs. Ces numéros sont en effet indiqués sur le Kbis des entreprises, des documents qui sont consultables publiquement et très simplement. Il est cependant beaucoup plus difficile d’usurper un numéro d’immatriculation à la TVA : « Il n’existe pas de base de données européenne permettant de trouver le numéro de TVA d’une entreprise à partir de son nom ou de sa raison sociale », est-il expliqué sur le site du Service Public.
Quelle que soit la méthode utilisée par les arnaqueurs, ils sont arrivés à de nombreuses reprises à contourner les protections mises en place par Tiktok. Interrogé par Numerama, le réseau social nous a simplement rappelé que « les annonceurs doivent également se conformer à toutes les règles communautaires et conditions d’utilisation de TikTok », et que les vidéos qui ne respectent pas le règlement sont supprimées. « Ces règles [sont appliquées] de façon proactive, en utilisant tant la technologie qu’une modération humaine et ce, avant même qu’un contenu ne nous soit signalé.»
Tiktok a fait le ménage
Les comptes usurpant l’identité de Presse Citron et de Boulanger ont depuis été supprimés, nous a assuré Tiktok, ce que nous avons pu vérifier. Il semblerait que la plateforme ait également sévi contre les autres comptes : depuis plusieurs jours, ils semblent avoir disparu de Tiktok. Si ce changement est le bienvenu, il faut cependant rester attentif, car de nouvelles tentatives d’escroqueries finissent toujours par apparaître.
Tiktok nous a également informés avoir supprimé en tout « plus de 100 millions de vidéos au cours du premier semestre 2020 » grâce à ses outils de modération. Le réseau social n’a pas précisé combien, parmi celles-ci, étaient des vidéos publicitaires venant d’annonceurs acceptés sur la plateformes. Tiktok n’a pas non plus ajouté si de nouvelles mesures allaient être mises en place pour mieux modérer les vidéos mises en ligne par les annonceurs.
Surtout, la plateforme a mis plusieurs mois avant de réagir, malgré les signalements d’utilisateurs. La lenteur de leur réaction montre également qu’au final, peu importe le nombre d’utilisateurs et la popularité, tous les réseaux sociaux souffrent du même problème et doivent répondre à la même question : comment faire pour mieux modérer les contenus ?
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