Une développeuse australienne a conçu Deadname Remover, une extension pour Chrome et Firefox. Destinée aux personnes trans, elle permet d’enlever leur deadname afin de le remplacer par leur nom. Qu’en pensent les personnes concernées qui l’ont utilisée ?

« J’ai fait la première version de Deadname Remover pour mon petit-ami. Il commençait ses études universitaires et il n’y avait pas de mécanisme simple pour lui éviter de voir son deadname. » Willow Hayward, une développeuse de logiciels australien, est à l’origine d’une extension destinée aux personnes transgenres. Avec Deadname Remover, téléchargeable sur Chrome ou Firefox, elle a souhaité aider les personnes trans en créant un outil qui leur évite d’être sans cesse confrontées à leur deadname en ligne.

Le terme de « deadname » (littéralement, « nom mort ») ou « morinom » désigne le nom d’une personne trans qui lui a été assigné à la naissance. Dans de nombreux cas, les personnes trans ne souhaitent pas être appelées ainsi. Il convient dès lors d’employer le nom de leur choix.

De 200 à 10 000 téléchargements

Comme nous l’explique Willow Hayward, le principe d’une extension de navigateur modifiant un mot par un autre n’est pas une nouveauté. Elle a eu l’idée de s’inspirer de ce qui existait déjà pour proposer une extension qui puisse être utile aux personnes trans. « Pendant des années, il y a eu des outils similaires pour des choses stupides — celui qui vient toujours à l’esprit était une extension pour blaguer, ‘Clouds to Butts‘, qui remplaçait le mot ‘nuage’ par ‘fesses’. La blague n’a jamais été tout à fait à mon goût, mais cela m’a servi d’excellente démonstration du concept », explique Willow Hayward.

La développeuse explique que la version initiale de Deadname Remover a été assez rapide à concevoir, en quelques demi-journées de travail, car l’extension est « principalement constituée d’extraits de code et de modèles existants ». La première version, mise en ligne en avril 2018, était fonctionnelle, mais elle pouvait engendrer quelques ralentissements. Au milieu de l’année 2020, l’extension est passée de moins de 200 à 10 000 utilisateurs et utilisatrices, en à peine un mois. « Le code est open source, et lorsque des personnes bienveillantes identifiaient des défauts, elles étaient prêtes à prendre du temps pour les corriger », poursuit Willow Hayward.

Du côté des personnes concernées, comment est accueilli un tel outil ? « C’est un peu mélangé, mais le positif l’emporte sur le négatif », répond la développeuse lorsqu’on lui demande si elle a eu des retours d’utilisateurs ou utilisatrices. Récemment, sur Twitter, plusieurs internautes se sont enthousiasmés en découvrant l’existence de cette extension. Mais des usagers et usagères ont également identifié des limites à ce genre d’outil.

Accents, noms communs ou connexion à une boîte mail : plusieurs limites

« L’extension ne fonctionne juste pas s’il y a un accent, car elle ne reconnaît pas le prénom. J’ai tenté l’extension avec mon deadname avec accent, je l’ai ensuite écrit sur Google, il ne se passe rien », nous raconte par exemple Elie. Il a ensuite écrit son deadname sans accent, toujours sur Google, et constaté que son véritable prénom s’affichait bien. Elie a tenté de faire la même manipulation avec des extensions comparables, mais s’est toujours trouvé confronté au même souci. Impossible pour lui de trouver, à l’heure actuelle, une extension française qui résolve le problème.

Un autre cas de figure peut se présenter : l’extension n’est pas un outil idéal lorsque le deadname s’avère également être un nom commun (à titre d’exemple : fleur, rose). Dès lors, « les phrases ne sont pas lisibles », constate Beathan, que nous avons interrogé.

Écriture inclusive et point médian

Numerama utilise l’écriture inclusive et les accords de proximité dans tous ses articles. Dans ce papier, nous avons conservé l’écriture avec point médian lorsqu’elle était utilisée comme telle par nos interlocuteurs et interlocutrices. Le pronom « iel » est un pronom qui est utilisé à la troisième personne du singulier et qui permet de désigner une personne sans distinction de genre.

L’extension peut aussi poser problème lorsque le deadname figure dans une adresse mail, comme l’a constaté Lillia. « À l’école, j’ai fait ma transition sociale : tout le monde m’appelle Lillia. Nous avons tous des adresses scolaires en ‘prenom.nom’, qui sont liées à l’office de l’état civil. Sur mon adresse, le prénom qui s’affiche, c’est donc mon deadname », nous explique-t-elle. Lillia a découvert l’extension par l’intermédiaire d’un groupe WhatsApp d’une association LGBT. « Un·e des membres a parlé de cette extension et je me suis dit que ça pouvait être intéressant. Je pensais m’en servir uniquement pour mon adresse scolaire, puisque c’est le seul cas sur Internet dans lequel j’ai affaire à mon deadname. Mais c’est une utilisation qui n’est pas possible », s’est-elle rendu compte ensuite.

« J’ai dû désactiver l’extension pour me connecter »

L’extension permet certes de remplacer le deadname dans les mails reçus, mais également lorsque le deadname est écrit. « Lorsque je saisissais mon deadname pour me connecter à mon adresse mail, je cliquais sur ‘Entrée’, puis cela remplaçait mon deadname par Lillia. Je ne pouvais pas me connecter et j’ai dû désactiver l’extension pour pouvoir le faire », résume Lillia.

Elle a également identifié une autre difficulté. Deadname Remover permet de remplir plusieurs champs : « first name », « middle name », « last name ». Le deuxième, « middle name », peut s’avérer utile pour les personnes dont le deadname est composé de deux prénoms. « Dans mon cas, mon deadname étant un prénom composé, seul le premier était changé. Le deuxième prénom n’était pas changé. Comme je rencontre très peu mon deadname en ligne, cette extension n’avait plus d’intérêt, donc je l’ai enlevée », explique Lillia.

L'extension installée sur Chrome. // Source : Capture d'écran Chrome

L'extension installée sur Chrome.

Source : Capture d'écran Chrome

« Un espace safe à soi, surtout si l’on n’est pas outé à son entourage »

Néanmoins, l’idée d’un outil comme Deadname Remover reste globalement bien accueillie par ces personnes trans, malgré les limites de l’outil. « Cela peut énormément aider les personnes qui en ont besoin, surtout celles qui ne sont pas ‘out’, si personne ne les appelle par le prénom qu’iels ont choisi, ça peut faire beaucoup de bien et apporter beaucoup de confort », nous explique Elie. « C’est pratique d’avoir un espace safe à soi, surtout si l’on n’est pas outé [faire un coming-out, ndlr] à son entourage », confirme Beathan.

Elie ajoute que même pour certaines personnes trans outées, il peut devenir délicat d’être régulièrement confronté à son deadname (bien que d’autres peuvent être à l’aise avec cela). « Si le changement de prénom à l’état civil peut être compliqué ou impossible, c’est un bon moyen de se détacher de son deadname », poursuit-il. En outre, certaines personnes peuvent ressentir une forme de rejet face au deadname lorsque, comme dans son cas, il n’est plus utilisé que par des personnes irrespectueuses de son identité de genre.

Quant à Lillia, elle nous indique avoir finalement « supprimé l’outil car il devenait inutilisable ». Elle souligne tout de même l’avoir « trouvé réactif, car le deadname est immédiatement remplacé par le prénom choisi

Willow Hayward est consciente que les utilisateurs et utilisatrices de son outil peuvent rencontrer des difficultés. Elle invite les personnes qui s’en servent à lui faire des retours via GitHub et souligne que le développement de cette extension est entièrement bénévole : « Personne ne s’est fait (ou ne se fera) un centime sur l’extension, affirme-t-il. Je reçois environ 10 à 20 mails par mois qui m’offrent de l’argent pour installer des logiciels espions dans l’extension, mais ceux-ci vont directement dans mes spams ». Elle conclut en ajoutant que « les retours positifs, quant à eux, sont incroyables. Nous entendons beaucoup de gens, en particulier des lycéens, parler de l’impact que l’extension a eu sur eux

>> Comment les médias peuvent-ils s’améliorer dans leur manière de couvrir les sujets liés aux personnes trans ? L’association des journalistes LGBTI (AJL) a mis en ligne ces ressources utiles et pédagogiques, qui sont accessibles librement ici.

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