Le message est on ne peut plus clair. Pour le Sénat, il est hors de question d’autoriser un vote anticipé pour l’élection présidentielle de 2022 au moyen de machines à voter. Le 18 février, la chambre haute a rejeté à une très large majorité (321 voix contre 23) l’idée de permettre aux électeurs de voter en avance à ce scrutin, dans des communes qui auraient été préalablement sélectionnées.
Cet amendement déposé par le gouvernement, que Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, décrivait comme un « dispositif très innovant pour simplifier et renforcer la participation », n’a reçu que le soutien du groupe de La République en marche au Sénat. En la matière, toutes les autres formations politiques de droite, de gauche et du centre se sont opposées à cette proposition.
L’idée de l’exécutif était de proposer un vote par anticipation pour l’élection clé de la Cinquième République, en permettant à la population de se prononcer avant le jour J, pendant la semaine précédant le scrutin. Il était aussi prévu de permettre de voter dans une autre commune que la sienne, via des machines à voter, avec des mécanismes pensés pour éviter un double vote et, donc, des fraudes.
Cette proposition se serait ajoutée à d’autres modalités de vote, comme le vote par procuration ou le vote par correspondance (par exemple pour les élections législatives dans le cas des Français vivant à l’étranger), et le vote à l’urne, qui demeure le moyen classique de se prononcer lors d’un scrutin, avec un déplacement en personne jusqu’au bureau de vote.
La Commission des lois au Sénat, qui a aussi voté contre, a détaillé sa position dans un communiqué. Sur la forme, elle observe qu’il est gonflé d’aborder un sujet aussi sensible à travers un simple amendement glissé dans un projet de loi, alors que cela mériterait sans doute un débat à part. Pour ne rien arranger, l’amendement a été déposé « tardivement », ce qui a réduit le temps pour l’analyser.
Rupture d’égalité entre les votants
Sur le fond, elle a aussi mis en lumière le risque d’une rupture d’égalité entre les votants, car une personne votant par anticipation qui apprendrait ensuite un fait politique de nature à lui faire changer d’avis ne le pourrait pas. Les illustrations en la matière ne manquent pas : l’’affaire des courriels aux États-Unis qui a entaché la campagne de Hillary Clinton, ou bien celle ayant frappé François Fillon, avec des emplois fictifs.
« Ces électeurs ne voteront pas au même moment et donc ne disposeront pas des mêmes éléments d’information dans le cadre d’une campagne électorale que les autres électeurs » a expliqué Jean-Philippe Derosier, spécialiste de droit constitutionnel, à France Info. Ils ne sont pas « confrontés au même instant électoral, au même instant politique », ce qui peut dès lors nuire à la sincérité du scrutin, faute d’égalité.
Sur les machines à voter, l’avocat Jean-Baptiste Soufron estime de son côté qu’elles « n’ont aucune justification dans un pays où l’accès au vote n’est pas un problème lourd, et où la participation est régulièrement élevée ». Elles « dénaturent le processus électoral », ajoute-t-il, reprenant une critique formulée par ailleurs par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État.
Est-ce si nécessaire et urgent ?
Pour la Commission des lois, le gouvernement se complique la vie et surtout risque « d’alimenter la suspicion sur la sincérité de l’élection présidentielle et à remettre en cause la légitimité du président élu » — ce que l’on a vu avec le vote par correspondance aux États-Unis, avec un président américain alimentant de lui-même la défiance à l’égard de cette modalité de scrutin pourtant bien ancrée aux USA.
« Des solutions beaucoup plus simples ont pourtant fait leur preuve : chaque électeur empêché peut se rendre en gendarmerie ou au commissariat de police pour établir une procuration. Dès le 1er janvier 2022, il sera possible de confier à sa procuration à tout électeur de confiance, y compris lorsqu’il réside dans une autre commune », rappelle au passage la Commission des lois..
Toute la question est de savoir si le gouvernement osera redéposer son amendement, cette fois à l’Assemblée nationale. En effet, l’exécutif sait qu’il peut avoir le dernier mot dans cette chambre, puisque son parti politique est majoritaire et qu’il fait généralement bloc derrière Matignon et l’Élysée. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Et surtout, est-ce bien raisonnable de le faire à un an de l’élection ?
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