Sur Telegram, des internautes français s’échangent tous les jours des vidéos de « revenge porn ». Dans ces groupes, que Numerama a pu consulter, on trouve également de la pédopornographie, et des vidéos d’une extrême violence. Pourtant, Telegram ne modère rien. Les victimes sont, dans l’immense majorité des cas, des femmes.

Les photos et les vidéos pornographiques défilent sur l’écran, sans interruption. Tous les jours, des dizaines et des dizaines d’entres elles sont partagées sur le groupe Telegram, pour le plus grand bonheur de ses milliers de membres, en immense majorité des hommes, et tous français.

Entre les vidéos, les internautes n’hésitent pas à faire des demandes plus précises : « Qui a des nudes de mères de familles ? », « Est-ce que quelqu’un a des bails sur elle ? », en envoyant la photo d’une femme. D’autres proposent « des échanges de nudes d’ex », et certains les publient, tout simplement, pour se venger : « Mon ex m’a trompé, je vous envoie toutes ses nudes ici ». Car les photos et vidéos partagées ne viennent pas toujours de sites pornographiques : il s’agit quasiment systématiquement de photos volées provenant d’Only Fan, ou bien de revenge porn.

C’est Clarisse, une utilisatrice de Twitter, qui a donné l’alerte le 19 mars. « Je suis rentrée dans un groupe Telegram pour voir un truc, dedans il y a presque 30 000 personnes et les gens s’échangent des nudes et des sextapes de meufs qui ont rien demandé à personne c’est affligeant je sais pas quoi faire ». Depuis, elle a signalé, avec d’autres personnes, le groupe auprès des équipes de Telegram, sans résultat. Le groupe en question existe toujours, et les échanges de nudes continuent.

Le partage de revenge porn n’est malheureusement pas une nouveauté. La pratique a cependant explosé l’année dernière, lors du premier confinement. De très nombreux groupes Snapchat « fisha » (pour « affiché », ndlr) avaient été créés dans le but de partager des vidéos intimes, et ont regroupé des milliers des personnes. Ils ont depuis été en majorité supprimés, même si certains continuent d’exister. Sur Telegram, cependant, il n’y a jamais eu de contrôle sur le partage de revenge porn (qui est puni par la loi). Et il est toujours très facile d’en trouver.

Des milliers de photos volées

Pour Clarisse, tout a commencé « il y a 3 semaines », nous explique-t-elle au téléphone, lorsqu’une de ses amies lui demande de l’aide. « Elle a appris qu’une sextape d’elle, prise sans son consentement, tournait sur des groupes Telegram. Elle m’a demandé de l’aider à la retrouver ». À force de chercher, elle arrive à obtenir le nom du groupe où la vidéo circule, et à l’intégrer. Et ce qu’elle voit fait froid dans le dos : des milliers de photos et de vidéos.

Sur les groupes Telegram, des milliers de fichiers s'échangent // Source : Capture d'écran Numerama

Sur les groupes Telegram, des milliers de fichiers s'échangent

Source : Capture d'écran Numerama

Numerama a également pu intégrer le groupe Telegram auquel Clarisse fait référence, (il n’est pas composé de 30 000 personnes, mais de 7 000 internautes français), ainsi que de nombreux autres groupes. Et à chaque fois, on retrouve le même genre de contenus volés.

Les photos ou les vidéos, qu’elles soient érotiques ou pornographiques, viennent de comptes Instagram, de comptes Onlyfan, ou portent parfois la mention du compte Snapchat dont elles proviennent. Mais elles sont aussi parfois accompagnées de la mention « fishafrance », indiquant bien qu’il s’agit de revenge porn. Sur les groupes, personne ne s’en émeut. Certains demandent même spécifiquement qui aurait des « dossiers » sur des personnes qu’ils connaissent, ou sur des personnes de leur département. D’autres encore proposent des échanges de « nudes d’ex » ou « d’amies filles » contre d’autres photos ou des sextapes.

Des conversations sur les groupes Telegram // Source : Capture d'écran Numerama

Des conversations sur les groupes Telegram

Source : Capture d'écran Numerama

De la pédopornographie

Plus sordide encore : des membres proposent régulièrement des photos de mineures et mineurs. Les photos ne sont jamais publiées directement sur les groupes. Au lieu de cela, un message est envoyé aux plusieurs milliers de personnes présentes, les invitant à parler en privé pour obtenir ces images. Les messages que Numerama a vus ne sont pas dissimulés par un quelconque code, et les utilisateurs ne cachaient pas qu’ils étaient en possession d’image pédopornographiques.

Dans le code pénal français, selon l’article 227-23, fixer, enregistrer ou transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Il est cependant possible que d’autres groupes existent, dédiés uniquement aux photos de mineurs, et que d’autres échanges se fassent, plus secrètement, en utilisant des noms de code. L’accès à certains groupes de nudes de mineurs se paierait d’ailleurs cher : Numerama a pu voir une conversation entre plusieurs personnes dans laquelle il était fait mention d’un « échange de doss » et d’un de ces groupes. « Tout le monde sait que j’ai un groupe mineurs j’assume », explique même l’un d’entre eux en rigolant.

Presque exclusivement des photos et vidéos de femmes

Capture d'un échange sur un de ces groupes Telegram // Source : Numerama

Capture d'un échange sur un de ces groupes Telegram

Source : Numerama

Une fois rentré dans ce genre de groupes, il est extrêmement facile d’en trouver d’autres, qui partagent des contenus de l’ordre du revenge porn. Des hommes (en très, très grande majorité) s’échangent des liens et des invitations en permanence, certains faisant même de la pub pour leur chaîne sur d’autres groupes. En quelques dizaines de minutes, Numerama a pu intégrer sans mal 9 groupes ou chaînes Telegram, dont la plus populaire compte plus de 80 000 membres.

Toutes les vidéos pornographiques et tous les contenus de revenge porn que nous avons vus concernaient des femmes : elles sont tour à tour humiliées, objectifiées, violentées. Nombreux sont les internautes qui utilisent ces groupes pour faire du mal à leur ex-compagne, voire encourager les autres à aller harceler leur ex, en partageant des informations sur elles.

La plupart du temps, les mêmes sextapes sont partagées de groupe en groupe. On retrouve les mêmes dossiers, téléchargés à l’infini. Mais sur certains groupes, en plus du revenge porn et de la pédopornographie, on trouve d’autres types de contenus encore plus répugnants. Sur une chaîne comptant plus de 20 000 abonnés, des images extrêmement violentes sont partagées quotidiennement : on peut voir des vidéos de bagarres, des vidéos d’agressions où une personne à terre est frappée au visage, des vidéos représentant de la violence animale, des vidéos zoophiles. Numerama a pu trouver une vidéo dans laquelle une femme est sauvagement agressée au couteau.

La modération de Telegram

De fait, les contenus que Numerama a pu visionner contreviennent aux règles de Telegram, qui interdisent « la promotion de la violence sur les chaînes publiques, et le partage de contenus pornographiques illégaux sur les chaînes publiques ». Mais malgré la violence de ces vidéos, Telegram ne modère pas. La plateforme est pourtant censée exercer un minimum de contrôle sur les chaînes. « Les groupes Telegram sont privés, et nous n’acceptons pas les signalements qui les concernent », précise bien la firme sur son site, « cependant, si vous voyez un contenu sur une chaîne publique qui vous semble illégal, vous pouvez nous le signaler ».

Ce qui se passe en « privé» est donc censé être intouchable. Mais un groupe qui compte plusieurs milliers de participants peut-il vraiment être considéré comme privé, simplement parce qu’il est accessible par un lien et non dans les recherches publiques ?

Dans les faits, rien n’est donc fait en faveur de plus de modération. Clarisse a signalé le groupe dans lequel la vidéo de son amie a été partagée, en vain. Elle n’a jamais reçu de message de la part des équipes de Telegram, que ce soit pour accepter ou même pour refuser d’agir sur sa requête. « Même si c’est supprimé dans le futur, c’est déjà trop tard », regrette-t-elle. « À partir du moment où c’est posté, ça peut être téléchargé ». Telegram, que nous avons contacté, ne nous a pas non plus répondu.

Des délits passibles de prison

S’il n’y a pour l’instant aucun recours disponible auprès de Telegram, il reste néanmoins possible de porter plainte pour la diffusion de nudes. « Photographier ou filmer une personne ou transmettre son image, sans son accord, lorsque l’image a un caractère sexuel, est sanctionné de 2 ans d’emprisonnement et de 60 000 € d’amende », explique le site du Service Public. De même, « diffuser cette photo ou cette vidéo, même si elle a été obtenue avec l’accord de la personne, est également sanctionné de 2 ans d’emprisonnement et de 60 000 € d’amende.»

L’association StopFisha, qui lutte contre l’existence des groupes de revenge porn sur SnapChat ou sur Telegram, a également compilé une liste de conseils et de ressources afin d’agir contre ces groupes. Il reste néanmoins toujours difficile de porter plainte, tant le stigmate est important pour les personnes affectées par le revenge porn. L’amie de Clarisse a d’ailleurs renoncé à le faire.

Mise à jour du 31 mars à 16h30 : Un des groupes dont il est fait mention dans l’article n’est plus accessible : Telegram l’a supprimé. Un message s’affiche lorsqu’on essaie d’y accéder, indiquant que « ce groupe ne peut être affiché parce qu’il était utilisé pour propager du contenu pornographique ». Les autres groupes que Numerama avait rejoints sont toujours, pour l’instant, accessibles.

Un groupe de revenge porn a été supprimé par Telegram // Source : Numerama

Un groupe de revenge porn a été supprimé par Telegram

Source : Numerama
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