Les yeux rivés sur son téléphone, Tabesh, 65 ans, cherche un rendez-vous pour renouveler son titre de séjour. « Cela fait des semaines que j’essaie, mais rien ne fonctionne. Il n’y a pas de place et je ne comprends pas. » Comme lui, de nombreux étrangers résidant en France se retrouvent à errer entre les sites des préfectures et les demandes à faire en ligne. Depuis une dizaine d’années, les préfectures dématérialisent de plus en plus ces processus. Une volonté gouvernementale puisque le ministère espère que l’intégralité des démarches pour les étrangers résidant en France aura son parcours en ligne d’ici 2022.
Seulement, aujourd’hui, certains réfugiés qui veulent renouveler leur titre de séjour, ou les personnes qui demandent un regroupement familial, se retrouvent parfois contraints de passer par une plateforme de démarches en ligne peu ergonomique et disponible uniquement en français.
« Chaque préfecture a son propre mode de fonctionnement, souligne Aude Le Moullec-Rieu, présidente d’Ardhis, une association qui aide les migrants LGBT+. Certaines n’accueillent plus les étrangers en physique, d’autres demandent à envoyer le dossier en ligne ou par la Poste. Mais dans tous les cas, c’est une réelle rupture d’égalité des droits, qui s’aggrave depuis un an. »
L’objectif affiché était de mettre un terme aux longues files d’attente devant les préfectures, et au commerce de rendez-vous qu’elles engendrent — c’est à dire les personnes qui revendent leur place dans ces files. Mais cela n’a pas été le cas, soulignent les associations. « Avec ce système, les files d’attente ont juste été dématérialisées, note Lise Faron de la Cimade. Elles sont moins visibles, mais elles sont toujours bien présentes. »
Impossible d’avoir un RDV
Cette dématérialisation n’a pas non plus mis un terme à la revente de rendez-vous. « Avant, devant les préfectures, des personnes dormaient là pour réserver le rendez-vous et le revendre pour quelques dizaines d’euros. Aujourd’hui, ce sont des bots qui aspirent tous les rendez-vous en ligne avant de les revendre pour plusieurs centaines d’euros. »
Tabesh, lui, a essayé de se rendre dans sa préfecture de rattachement. « J’y suis allé et j’ai expliqué que ça ne marchait pas leur prise de rendez-vous en ligne, que je n’y arrivais pas, que le français c’était compliqué pour moi et l’ordinateur aussi. Mais ils n’ont rien voulu savoir. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire. » Dans une autre préfecture, Somi, 38 ans, a rencontré le même problème. Elle aussi attend un rendez-vous pour un renouvellement de titre de séjour pour elle et sa famille. «Je commence un peu à paniquer parce que bientôt nos titres de séjours ne seront plus valides et je n’arrive pas à prendre de rendez-vous. »
La Cimade indique suivre de nombreux dossiers de personnes en situation régulière en France, avec le statut de réfugié, mais qui se retrouvent sans papiers ou atterrissent dans des centres de rétention administrative (CRA) faute d’avoir pu renouveler leurs titres de séjour dans les délais impartis. Une situation ubuesque, dénoncée à de nombreuses reprises par le Défenseur des Droits. Son dernier rapport sur la dématérialisation des procédures pour les étrangers a été publié en juillet 2020.
Il y pointe la saturation régulière du dispositif, des problèmes techniques récurrents, l’absence de traduction et de guichets mis en place pour les personnes n’ayant pas accès à internet. « Ces procédures dématérialisées aboutissent donc à ce que des étrangers, bien que disposant de l’ensemble des éléments leur permettant de déposer une demande de titre de séjour, se retrouvent en situation irrégulière ou soient maintenus dans cette situation », souligne le Défenseur des Droits. « Dans ces conditions, le nécessaire accompagnement des usagers dans le cadre de ces démarches repose sur les travailleurs sociaux et les bénévoles engagés dans des associations venant au soutien des ressortissants étrangers. Ce travail […] relève pourtant des préfectures. »
Des dossiers refusés pour d’obscures raisons
De son côté, le Conseil d’État avait estimé, en novembre 2019, que la dématérialisation des rendez-vous en préfecture devait rester une solution parmi d’autres. Pourtant, dans les préfectures, les étrangers continuent à être renvoyés vers les plateformes en ligne.
« Non seulement les demandes ne sont pas traitées plus vite avec cette démarche mais cela complique la vie des personnes, explique Vincent Souty, avocat en droits des étrangers et co-président de la commission droits des étrangers au Syndicat des avocats de France (SAF). Ce dernier donne en exemple le cas d’un homme ayant envoyé les pages non vierges de son passeport, exactement comme la préfecture le lui avait demandé. «Son titre de séjour a été refusé avec une obligation de quitter le territoire (OQTF). La préfecture a estimé, entre autres, que son passeport n’avait pas été scanné en entier et donc qu’il mentait. Pour moi cette plateforme sert avant tout à fabriquer des OQTF. »
La dématérialisation ne doit pas être imposée
Pour tenter d’apporter une solution, son syndicat, avec des associations comme La Cimade ou la Ligue des droits de l’homme (LDH), s’allient pour déposer des recours administratifs. Une manière de pousser les pouvoirs publics à changer l’accueil des étrangers en préfecture, espère Lise Faron. En février, le tribunal administratif de Rouen a condamné la préfecture de Seine-Maritime, après un arrêté relatif au dépôt obligatoire dématérialisé de certaines catégories de titres de séjour.
« Ils ont acté que la dématérialisation ne pouvait être imposée aux usagers du service public, continue Lise Faron. C’est un jugement qui fera date. » Depuis, d’autres recours collectifs ont été déposés contre les préfectures de l’Hérault, d’Ille-et-Vilaine, du Rhône, de la Seine-Saint-Denis ou encore du Val-de-Marne.
Contacté à de nombreuses reprises, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité répondre à nos questions mais précise que les titres de séjours ont été prolongés pendant le premier confinement et qu’une « attention particulière est portée aux usagers qui rencontreraient des difficultés à déposer en ligne leur demande (…) ils peuvent saisir le centre de contacts citoyens ». Une ligne téléphonique (0.806.001.620) est à leur écoute.
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