L’équipe dirigeante d’Amazon respire sans doute un peu mieux depuis quelques jours. Les résultats du vote portant sur la création de la toute première section syndicale Amazon aux Etats-Unis sont tombés le 9 avril et offrent au « Non » une victoire éclatante. Sur les 6 000 salariés du site Amazon de Bessemer, en Alabama, seuls 738 ont déposé un bulletin dans l’urne en faveur du syndicat, tandis que 1 798 ont voté contre.
Un résultat qui peut surprendre, car les conditions de travail au sein de l’entreprise de Jeff Bezos sont régulièrement pointées du doigt. Même si Amazon propose un salaire horaire de départ de 15 $ — soit le double du salaire minimum en Alabama — et une couverture santé à l’ensemble de ses employés, certains éléments soulèvent de nombreuses questions. C’est notamment le cas de son taux d’accident du travail élevé : 7,7 % en 2019 .
On a également, à nouveau, beaucoup entendu parler, ces derniers mois, des chauffeurs Amazon parfois contraints d’uriner dans des bouteilles plastiques, faute d’avoir le temps de faire une pause.
Plus généralement, les partisans de la création d’une section syndicale dénonçaient des cadences de travail trop élevées et également un manque de mesures de protection contre le Covid-19.
De la méfiance envers les syndicats
Le résultat de ce vote historique n’est cependant pas surprenant. Dans ce pays qui promeut constamment le mythe du self-made man, les Américains se montrent en effet assez méfiants vis-à-vis des syndicats. En 2020, seul 10,8 % d’entre eux étaient syndiqués. Un chiffre assez proche de celui de la France — alors que la législation du travail est bien moins protectrice aux Etats-Unis — et très éloigné de celui de pays comme l’Irlande ou la Finlande (respectivement 31 % et 75 %). Le taux de syndicalisation aux États-Unis tombe même à 6,3 % si l’on enlève le secteur public.
Le fait que le chômage a augmenté de manière importante en Alabama avec la pandémie (de 2,6 % à 13,6 % entre mars et avril) a forcément aussi pesé dans la balance.
Un troisième facteur a cependant certainement beaucoup influencé l’élection : le fait que la loi américaine autorise les employeurs à faire campagne contre les syndicats sur le lieu de travail. Amazon ne s’est pas privé d’exploiter cette possibilité. La firme de Jeff Bezos a ainsi convié ses salariés à des réunions, afin de leur faire connaître sa position sur les syndicats. Elle a également placé des affiches sur le sujet dans les toilettes de son site et a été jusqu’à envoyer, à ses employés, des SMS de campagne contre le syndicat.
« Il est extrêmement difficile pour les travailleurs de mettre en place une section syndicale, et exagérément facile, pour les employeurs, de les inciter à ne pas le faire en les intimidant » juge Rebecca Kolins Givan, professeure associée à l’école de management et relations au travail de Rutgers interrogée par The Verge. La position d’Amazon dans ce débat est évidemment très différente : « Le syndicat dira qu’Amazon a gagné cette élection parce que nous avons intimidé les employés, mais ce n’est pas vrai. Nos employés ont entendu beaucoup plus de messages anti-Amazon de la part du syndicat, des décideurs politiques et de la presse qu’ils ne nous ont entendus. »
Le syndicat auquel aurait été rattaché la section Amazon, si les employés avaient voté en ce sens, a cependant prévu de demander au bureau du Travail d’ouvrir une enquête sur le comportement du groupe pendant ces élections. Un point en particulier soulève des questions : l’installation, à proximité du site Amazon, d’une boîte aux lettres permettant de recueillir les bulletins de votes. Le groupe avait, dans un premier temps, demandé à ce que le vote puisse être organisé au sein même de l’entrepôt, ce qui avait été refusé. Le bureau du Travail avait en effet jugé que cela pourrait donner aux salariés l’impression qu’Amazon participait ou contrôlait l’organisation du vote et, par conséquent, les décourager de faire connaître leurs souhaits réels.
Le Washington Post a cependant révélé vendredi qu’Amazon avait demandé à USPS d’installer une boîte aux lettres à l’extérieur du site puis encouragé les employés à s’en servir pour voter. Une démarche que les pro-syndicats critiquent, car ils estiment qu’elle a pu donner l’impression aux salariés qu’Amazon était impliqué dans le processus de vote — même si ce n’était pas le cas. Reste à voir désormais si le bureau du Travail américain jugera que ce point mérite investigation.
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