« Comment frapper une femme sans que personne ne le sache » n’a pas été recherché sur Google 163 millions de fois en 2020. Cette information a beau être non vérifiée, elle a pourtant été beaucoup partagée en ligne, depuis que des sites américains s’en sont emparés. En France, le compte Instagram d’une association féministe très suivie a aussi été berné : la publication qui reprend cette fausse information a été likée plus de 76 000 fois depuis sa mise en ligne il y a quatre jours.
Il est important de le noter : cet article n’a pas pour but de minimiser l’ampleur des violences faites aux femmes et des féminicides, qui sont encore trop peu pris en compte comme des enjeux graves de société contre lesquels la lutte devrait être une priorité. De même, il est exact que les recherches Google peuvent être considérées comme un indicateur pertinent pour dégager certaines tendances et comportements d’internautes. Mais cet exemple précis n’a absolument aucune valeur, car il est tout simplement faux.
Concernant cette information erronée en particulier, il y a plusieurs indices qui auraient pu, et doivent mettre la puce à l’oreille.
Google ne communique pas ces chiffres
D’une part, même si les données concernant cette requête avaient été vraies, il s’agit d’une phrase en anglais, tirée d’une étude anglophone. Cela signifie que les mots prétendument recherchés 163 millions de fois auraient été en anglais, et non pas en français. Il n’est donc pas cohérent de dire que « Comment frapper une femme sans que personne ne le sache » aurait été cherché autant que la phrase « How to hit a woman so no one knows ».
De deux, et c’est là le plus important : Google ne communique pas sur le nombre de requêtes faites sur son moteur de recherche. Il est donc absolument impossible de savoir combien de gens ont tapé une requête précise dans le moteur de recherche. Seule la multinationale dispose de ces informations, et elle les partage selon son bon vouloir, généralement sous forme d’une page en ligne dédiée.
L’entreprise ne partage que deux types d’informations chiffrées sur les recherches dans son moteur de recherche :
- Les « tendances » (ou trends) qui permettent de voir l’évolution de l’intérêt de recherche pour un sujet en particulier dans le temps, mais qui ne donne qu’un indicateur très peu précis (de 0 à 100). Par exemple, on peut voir que le terme de « féminicides » n’était quasiment pas présent dans le web français avant 2019. Il y a un « pic » au 17 novembre 2019, qui correspond à la sortie d’un grand rapport sur les homicides conjugaux.
- Le nombre de résultats de recherche, qui est très différent du nombre de recherches. Lorsque vous effectuez une recherche sur Google, un nombre s’affiche, en gris foncé, sous la barre. Pour le mot « féminicides » par exemple, on peut lire « Environ 735 000 résultats (0,51 secondes) », ce qui signifie que Google a trouvé environ 735 000 pages web à vous présenter, en rapport avec ce terme. Cela ne signifie pas que des internautes ont tapé 735 000 fois le terme « féminicide » dans Google.
Que s’est-il passé pour que cette information fausse se répande ?
Alors, comment des médias et sites, probablement très bien intentionnés, se sont-ils fait berner, et d’où vient ce chiffre de 163 millions ? Tout a commencé le 26 avril 2021, lorsque le média MSNBC (ici en cache) a publié un article intitulé « les hommes sont de plus en plus violents à travers le monde envers les femmes, et Google montre comment ». La journaliste, décrite comme éditorialiste, y cite très longuement une étude publiée dans le Journal of General Psychology, qui est accessible ici en ligne, menée par Katerina Standish.
« ‘Comment frapper une femme sans que personne ne le sache’ a été tapé dans Google 163 millions de fois, soit 31 % de plus qu’en 2019 », peut-on lire dans l’article de MSNBC. « La phrase ‘je vais la tuer quand elle rentre à la maison’ a été tapée 178 millions de fois dans Google, soit une augmentation de 39 % par rapport à l’année suivante. » C’est exactement le même paragraphe que l’on retrouve dans l’étude de Katerina Standish, qui s’est donc monumentalement trompée dans ses données.
Il semblerait que la chercheuse ait en fait, comme montré plus haut, confondu le nombre de termes recherchés par les internautes et le nombre de résultats présentés par Google une fois que l’on tape ces termes. Ces deux chiffres ne sont pas du tout les mêmes, et n’ont même pas forcément de liens entre eux.
Après la mise en lumière de son étude par MSNBC, reprise par les sites d’information américains Blavity et Unilad, la chercheuse Katerina Standish a été alertée par des observateurs, médias et internautes de son erreur. Elle a ensuite, le 27 avril, publié une série de tweets dans lesquels elle revient sur son travail et admet qu’il ne s’agit pas de données correctes : « Je reconnais que les résultats de mon étude présentent des défauts », a-t-elle notamment écrit, précisant qu’elle avait contacté le Journal of General Psychology afin de le signaler immédiatement.
« Ces résultats n’ont aucun sens »
Dans ses messages, elle fait preuve de beaucoup d’humilité et de remise en question, précisant que son but était uniquement de « s’intéresser au stress psychologique » provoqué par les confinements en temps de pandémie, et qu’elle souhaitait mettre en avant des problèmes sociétaux bien réels. Il a d’ailleurs été montré, par exemple en France, que les signalements de violences conjugales ont grandement augmenté pendant les confinements successifs.
Le site d’information Snopes, spécialisé dans le fact-checking, a également obtenu une réponse de la chercheuse, qui a admis que les résultats de son travail « n’avaient aucun sens » : «Tout ce que j’ai réussi à montrer c’est une hausse des pages web à travers le temps. Ce n’est pas du tout ce que je pensais que je faisais », a-t-elle concédé, regrettant également : « Mon seul objectif était de chercher des signes de gens qui souffraient, leur donner de la visibilité et pouvoir les aider.»
Paradoxalement, la recherche « How to hit a woman so no one knows » a désormais explosé sur Google. Dans l’option « tendance », on observe une augmentation substantielle en avril 2021. Dans la barre de recherche, le moteur indique également qu’il y aurait 2,2 milliards de résultats avec cette requête, soit bien plus que les 163 millions constatés en 2020 par la chercheuse.
>> Si vous êtes victime ou témoins de violences conjugales, il existe de nombreuses ressources vers lesquelles vous pouvez vous tourner : Numerama les a vérifiées et listées ici.
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