La cagnotte en ligne de Scott compte aujourd’hui 1 200 euros, celle de Flora 300 euros, et celle de Pomme, 4663 euros. Comme de nombreuses autres personnes trans, il et elles ont fait appel à la générosité des internautes et de leurs proches pour financer les actes médicaux coûteux, et les achats nécessaires à leur transition.
Même si les plateformes de collecte sont simples d’utilisation, s’y dévoiler et faire vivre sa cagnotte demande un investissement émotionnel intense.
De la honte à la légitimité
Une partie des bénéficiaires d’aides sociales ne les demandent pas, en partie par honte ou fierté de se débrouiller sans. Les personnes transgenres sont plus touchées que la moyenne par la précarité, faute d’accès à un emploi stable et n’échappent pas à la règle, alors qu’elles ont des besoins spécifiques pour débuter ou poursuivre leur transition. Scott s’est créé une cagnotte pour récolter les 2 700 euros nécessaires pour réaliser sa mammectomie.
En arrêt maladie et handicapé, il a d’abord eu honte de demander de l’argent. Mais ce n’est pas sa première collecte : «Je n’ai pas vraiment hésité à faire cette cagnotte, par rapport aux précédentes aux montants largement plus bas. Tout simplement parce que j’ai besoin de cette opération, et que je sais que je n’aurai jamais la somme nécessaire. Des ami·es m’ont aidé à franchir le pas et m’ont confirmé que j’étais légitime à faire une telle demande.»
Flora a aussi perdu son emploi pour raison de santé. La nécessité de consulter un praticien non-remboursé a eu le dessus sur ses hésitations. Elle a lancé une cagnotte, sans objectif chiffré. Pour Pomme, c’est le fait de devoir aller en Thaïlande pour espérer une chirurgie satisfaisante, mais non-remboursée (plus de 15 000 euros en comptant les trajets et l’hébergement), qui l’a motivée. « Les personnes cisgenres [personnes dont le genre correspond au genre assigné à la naissance, ndlr] n’ont pas à envisager ce genre de coûts. C’est injuste, d’une certaine façon. Je me suis dit que moi aussi, j’avais le droit d’avoir une aide financière. Mes proches m’auraient fait des cadeaux à Noël ou pour mon anniversaire, donc je leur ai dit que s’ils ne savaient pas quoi m’offrir, ils pouvaient participer à ma cagnotte. »
Trouver ses mots et sa plateforme
Une fois la décision prise, encore faut-il créer la cagnotte. Leetchi, Le pot commun, Paypal… Le choix est vaste. Scott et Flora ont choisi Paypal par commodité. Pomme, elle, s’est tournée vers Le pot commun. « J’ai vu beaucoup de cagnottes créées avec, et ça fait solidaire. Je l’ai trouvé facile à utiliser et à partager. » Le site prend une commission de 4 % sur la somme totale du pot commun si le montant est inférieur à 2 000 euros, 2,9 % au-delà. Flora a indiqué son deadname (son prénom de naissance, qu’elle n’utilise plus — on peut aussi appeler ça « morinom » en français ) sur son profil Paypal.
« Ça ne m’a même pas traversé l’esprit d’indiquer que le compte Paypal n’était pas à mon vrai nom. J’ai pensé à en refaire un, mais ça pourrait me poser des problèmes, car ça arrive à Paypal de demander une vérification via une carte d’identité » si le nom diffère de celui du compte bancaire bénéficiaire. « Ça a été une galère à changer pour moi, quand j’ai fait les démarches après mon changement de prénom », témoigne aussi Scott. Le sujet épineux du patronyme officiel lié aux cagnottes en ligne méritant un article complet, Numerama a décidé de le traiter dans un autre article, qui paraîtra bientôt sur notre site.
Le choix de Pomme d’indiquer son prénom actuel et sa photo est lié à sa présentation globale: « Ça personnalise le tout, les gens voient qu’il y a quelqu’un derrière le texte. C’était aussi pour pouvoir le partager à ma famille et à mes ami-es, leur dire qu’il s’agit de ma vie.» Flora et Scott ont choisi leurs mots sans trop les peser: « J’ai juste décrit ma situation comme je dois le faire quasiment tous les jours », indique ainsi Scott. A l’inverse, Pomme s’est beaucoup plus appliquée… et impliquée: « Je me suis posée une soirée pour mettre mes idées en ordre et j’ai écrit très vite. Ce n’était pas un coming-out, mais il fallait que je fasse comprendre la légitimité de ma décision. Et que ça soit catchy et clair: les pots se partagent mieux quand ils le sont. »
Des dons de proches
Les personnes transgenres sont parfois accusées de se faire opérer par « caprice », quand ce ne sont pas des attaques transphobes encore plus violentes qui les attendent sur les réseaux sociaux. Il et elles ont cependant vu les dons affluer avec beaucoup d’étonnement: « Je m’attendais à recevoir de l’argent, mais pas autant c’est sûr », se souvient Scott. « Les premiers dons m’ont fait plaisir, car j’avais peur que ma cagnotte passe inaperçue. Je me suis senti très stressé après l’avoir lancé, car je m’attendais aussi à recevoir de la haine ».
« Au début je me sentais un peu coupable, je n’estimais pas mériter autant de générosité » détaille Flora, qui a dû essuyer quelques propos transphobes. « Mais ce sentiment a assez vite laissé place à la reconnaissance et l’euphorie d’enfin pouvoir aller de l’avant vis-à-vis de ma transition. Je m’attendais à une cinquantaine d’euros de dons tout au plus. » Elle en attribue le succès au #TransDayOfVisibility qu’elle a intégré à son tweet de lancement, le jour de la visibilité trans, le 31 mars.
Pomme a partagé sa cagnotte sur Facebook, le plus efficace pour toucher ses proches, ainsi que Twitter et Instagram. En deux jours, elle a récolté près de 2 000 euros « C’est fou! Je ne m’y attendais pas.» Elle a reçu quelques remarques mais surtout de la bienveillance : « Ça fait beaucoup de bien, des amis de très longue date ou avec qui je n’étais plus trop en contact ont donné, ou étaient contents pour moi. J’ai reçu beaucoup d’amour ! C’est trop touchant de voir que les gens sont toujours là. »
La pandémie de coronavirus a repoussé la date de départ de Pomme en Thaïlande et elle se pose des questions sur l’avenir de son pot: « Ceux qui voulaient donner l’ont déjà fait. Et c’est difficile de relancer avec le temps. Mais les gens me demandent des nouvelles… Donc quand je relancerai, je le ferai bien.» Même esprit pour Scott: « Je la partage souvent car les gens oublient la plupart du temps qui fait quoi comme cagnotte. Certains veulent donner mais ne peuvent pas tout de suite. Et c’est une manière de tenir au courant de l’avancée du montant.»
La journée mondiale de la lutte contre l’homophobie et la transphobie le 17 mai prochain sera sans doute l’occasion de nouveaux coups de pouce aux cagnottes et initiatives LGBTIA sur le net.
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