RadioFreeEurope a enquêté sur Fazze, la mystérieuse agence qui a contacté des influenceurs français pour qu’ils dénigrent le vaccin de Pfizer. Les journalistes ont remonté la piste jusqu’en Russie.

Que se passe-t-il avec la campagne de dénigrement contre le vaccin développé par Pfizer contre le covid ? L’affaire, qui ne touchait au début que la France, a largement dépassé les frontières du pays. Les investigations se poursuivent pour répondre aux questions qui enveloppent encore cette histoire, et le média RadioFreeEurope, une station de radio financée par le parlement américain, vient de publier de nouveaux éléments, qui pointent vers la Russie.

Après avoir mis la lumière sur la mystérieuse agence qui a contacté des influenceurs français, Numerama a également révélé que la campagne de dénigrement n’a pas touché que la France. Un Youtubeur allemand comptant plus d’un million d’abonnés a été contacté par Fazze, qui lui proposait de participer contre rémunération à la même « campagne d’information » que les influenceurs français. Plusieurs sites ont également repris le tableau et les éléments de langage contenus dans les mails envoyés par Fazze.

Un « réseau russe »

« Un réseau d’entreprises russes, spécialisées dans le marketing et connues pour vendre des complètements alimentaires douteux et propager des virus informatiques, et derrière la campagne de dénigrement du vaccin de Pfizer », affirme le média RadioFreeEurope. Dans une enquête publiée sur son site internet, la radio, qui est financée par le Congrès des États-Unis mais revendique sa liberté éditoriale, explique avoir pu remonter jusqu’à l’origine de la campagne. Quatre journalistes ont travaillé sur le sujet.

RadioFreeEurope a révélé que Fazze, l’agence qui a contacté les influenceurs, était en fait une branche de la société Adnow, présente au Royaume-Uni et en Russie et enregistrée en Angleterre en 2014. Numerama avait pu le vérifier également, tout comme d’autres médias français quelques jours plus tôt.

Jusqu’en 2018, la propriétaire de l’entreprise était Yulia Serebryanskaya, une femme d’affaires russe possédant plusieurs autres entreprises en lien avec Adnow, qui font partie du « réseau » dont parle RadioFreeEurope.

Une de ces entreprises, 2Wtrade, spécialisé dans le marketing de produits de beauté, était ainsi installée à la même qu’Adnow à Moscou. Yulia Serebryanskaya a également créé l’organisation Russian Initiative (initiative russe), dont le but est de promouvoir une juste représentation de la Russie, selon RadioFreeEurope. RadioFreeEurope a également trouvé qu’un employé russe d’Adnow, Vyacheslav Usoltsev avait renseigné qu’il était CEO de Fazze sur Linkedin. Son profil a depuis été supprimé.

Pas de lien avec des institutions publiques

Yulia Serebryanskaya est décrite dans l’article comme une personne influente et versée dans la politique : après avoir travaillé pour des médias d’État, elle a participé à plusieurs campagnes politiques. Elle a notamment travaillé en 2007 pour la campagne de Dmitri Medvedev, président de Russie de 2008 à 2012.  Elle a ensuite travaillé pour la campagne de réélection de Vladimir Poutine, en 2012.

Les journalistes de RadioFreeEurope précisent bien qu’ils n’ont pas trouvé de liens entre les entreprises gérées par Yulia et les pouvoirs publics russes, ou une agence gouvernementale. « Cependant, leurs propos font échos à ceux du Russian Direct Investment Fund », notent-ils. Le RDIF est un fonds souverain russe chargé d’investir dans les « entreprises prometteuses de Russie », selon son site. Les journalistes de RadioFreeEurope expliquent dans leur article que, sur Twitter, le RDIF a largement communiqué sur les succès du vaccin russe Sputnik V.

Il n’y a cependant aucune indication que le RDIF aurait participé à la campagne de dénigrement de Pfizer en France ou ailleurs.

Le site de l'agence Fazze // Source : Capture d'écran Numerama

Le site de l'agence Fazze

Source : Capture d'écran Numerama

Toujours beaucoup de questions

Si l’article de RadioFreeEurope apporte un éclairage intéressant sur l’affaire, il ne répond pas à toutes les questions. Ainsi, on ne sait toujours pas qui était le « client » pour lequel Fazze aurait travaillé et qui aurait préféré rester « incognito » auprès des influenceurs français.

On ne sait toujours pas non plus combien de personnes Fazze a contacté, ni si certaines personnes ont accepté de prendre l’argent promis et de réaliser des vidéos ou des publications sur les réseaux sociaux pour dénigrer le vaccin de Pfizer. Enfin, on ne connait toujours pas l’origine du fameux tableau censé montrer le nombre de morts que l’on peut lier aux vaccins AstraZeneca et Pfizer.

Le tableau en question semblait constituer la « preuve » principale dans la campagne de Fazze : il était censé indiquer le nombre de morts à cause du vaccin en Europe, et aurait prouvé que celui de Pfizer est trois fois plus dangereux que celui produit par AstraZeneca.  Cependant, ce tableau est intraçable : il n’y a ni date, ni nom, ni légende, rien qui prouve qu’il n’y a pas été fabriqué de toute pièce.

Fazze expliquait, dans des échanges de mails que Numerama a pu consulter, que le tableau proviendrait d’AstraZenece, et qu’il aurait fuité. L’agence proposait ensuite aux influenceurs de diriger leurs abonnés vers un article du Monde. L’article en question existe et parle bel et bien d’une fuite de documents, mais il ne s’agit pas des mêmes : le journal parle de documents volés à l’Agence Européenne du Médicament, et il n’est jamais question du tableau.

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