Si Twitter est le réseau social militant par excellence, les comptes qui font de la pédagogie sur l’écologie, le féminisme ou encore l’anti-racisme sont aussi nombreux sur Instagram. Internet est devenu un terrain politique comme un autre, et de nombreuses personnes l’ont investi. Des mouvements comme #MeToo ont aussi donné le sentiment que les réseaux sociaux étaient d’importants vecteurs de changement. Pourtant, des activistes plus ou moins suivis s’en détournent, pour différentes raisons.
Il y a bien sûr le cyberharcèlement violent qui cible certains et certaines militantes — Alice Coffin témoignait ces jours-ci de l’impact de celui-ci sur sa vie. C’est certainement le problème le plus grave (et voici ce que vous pouvez faire si vous en êtes victime). Ce n’est néanmoins pas le seul. Les réseaux sociaux charrient un flux constant d’informations, dont une bonne partie est assez négative. Cet environnement génère une sorte de colère permanente, estime Ariane qui indique avoir frôlé le burn-out militant : « Je n’étais face à personne concrètement, ou bien face à des gens haineux. J’étais devenue une véritable cocotte-minute, même mes proches me le faisaient remarquer. »
Incités à l’interaction permanente
C’est un des reproches que fait aussi le militant anti-raciste et en santé sexuelle Amador Maldoror aux réseaux sociaux : produire des analyses, mettre en lumière des systèmes de domination, sans donner d’outils pour lutter contre celles-ci. « La déconstruction nous incite à être hyper-vigilant au moindre rapport de pouvoir. La réalité nous montre qu’ils sont partout. C’est épuisant et ça abîme notre résilience. La politisation devrait nous permettre de mettre notre énergie là où ce sera salvateur pour nous. » Le fonctionnement même des réseaux sociaux peut avoir un impact fort sur le travail mené par les militantes et les militants. Sur Instagram ou Twitter, nombreux sont ainsi les exemples de posts supprimés ou de comptes suspendus. Les changements d’algorithmes influent grandement sur la portée du travail produit par les activistes des réseaux sociaux.
« Je n’aime pas utiliser mon image dans mes discours numériques. Poster des photos de moi parce que c’est ce qui génère le plus d’engagement, faire des reels ou des vidéos, publier souvent pour être promue par les algorithmes, ça ne me correspond pas du tout », explique Béné, militante écolo du compte @mellebene. C’est l’illustration de ce que la sociologue Josiane Jouët, qui a travaillé sur les mobilisations féministes en ligne, nomme le « harassement du travail de production sur les réseaux sociaux ».
« Réagir à la dernière polémique »
La militante Béné a trouvé une porte de sortie en réduisant le temps qu’elle consacrait à sa présence en ligne, au bénéfice de celui passé à militer dans des organisations telles que le collectif Stop Carnet — qui lutte contre un projet de zone industrielle en bordure de Loire. Autre militante et syndicaliste, Missa a longtemps utilisé Twitter de manière intensive avant de supprimer son compte. Elle déplore le fonctionnement de ces plateformes qui incitent à l’interaction permanente : « Je trouve que ça flatte de mauvais instincts chez les utilisateurs. C’est toujours la réaction à la dernière polémique, la surenchère, celui ou celle qui trouvera la position la plus radicale. »
Certaines personnes interrogées déplorent que cet environnement finisse par monter des personnes les unes contre les autres, au sein d’un même camp progressiste. Elles se sentent aussi parfois piégées dans une dynamique où la moindre maladresse peut être utilisée contre elles. Autant de choses qui font dire à ces activistes que les réseaux sociaux ne sont pas le meilleur endroit pour militer. S’y ajoute aussi parfois un sentiment de vacuité. « On ne peut pas tout faire. Et je me sens mieux à agir de manière concrète, en rencontrant des gens et en m’émancipant dans ma vie qu’en utilisant des outils numériques », explique la militante écolo Béné.
Ne pas laisser le terrain à l’extrême-droite
Bien sûr, on ne peut nier l’importance des réseaux sociaux aujourd’hui. Et une partie des militants sait bien qu’occuper le terrain permet aussi de ne pas le laisser à l’extrême droite. Très bien organisée, celle-ci sait en effet se coordonner afin de faire émerger des sujets dans l’agenda médiatique. Pour Missa comme pour Amador Maldoror, l’indignation et la pédagogie sur les réseaux sociaux ont toutefois un impact limité si elles ne s’accompagnent pas d’autre chose. « Ce sont de bons outils d’information, de développement personnel, de regroupement, mais on n’a pas encore réfléchi à la manière dont on pourrait les utiliser dans un but précis », estime la première.
Pour elle, il faut induire un rapport de force et produire du changement, ce qui demande a minima d’avoir des objectifs, des stratégies et des critères pour mesurer l’impact qu’on a. Amador Maldoror fait une analyse similaire de la situation : « Ce n’est pas impossible de militer via les réseaux sociaux, mais cela demande de la méthode. Si on passe son temps à réagir à chaud, sur tout et n’importe quoi, sans agenda, sans stratégie, ce n’est pas de l’activisme mais de la presse à scandale. » Baptiste Kotras, sociologue du numérique, analyse ces réactions comme une forme de désillusion. Il souligne que certains mouvements en ligne ont produit des changements de société (à l’image de #MeToo ou #BlackLivesMatter) mais qu’aujourd’hui, « il peut y avoir une insatisfaction liée au fait que des hashtags ne suffisent pas à faire évoluer des rapports sociaux complexes, et de vieilles dominations ».
Il pointe une nécessaire interconnexion entre le militantisme en ligne et hors ligne. Josiane Jouët insiste quant à elle sur le collectif, indispensable pour tenir dans la durée, peu importe le terrain d’expression. On a d’ailleurs vu des comptes militants personnels devenir collectifs, à l’image de T’as pensé à, sur la charge mentale. Ces analyses expliquent que, sans délaisser complètement les réseaux sociaux, les activistes sont de plus en plus nombreux et nombreuses à ne pas vouloir s’y cantonner. « Je n’ai jamais prétendu avoir un impact uniquement à partir d’Internet, confirme Amador Maldoror. C’est un médium qui peut avoir son intérêt et peut être complémentaire à d’autres espaces plus réels. Mais il faut cultiver un ancrage. »
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