En politique, les discours peuvent évoluer rapidement, surtout en période de crise sanitaire, et encore plus lorsqu’elle est inédite dans l’histoire de la société moderne. Il y a deux mois encore, le gouvernement jurait que le pass sanitaire ne serait obligatoire que dans des cas très limités et très précis. Le 12 juillet 2021, Emmanuel Macron est revenu sur cette promesse, annonçant que le pass sanitaire serait désormais demandé pour accéder à de nombreux lieux.
À compter du 21 juillet, il faudra le présenter dans tous les lieux culturels (les parcs d’attraction, festivals, concerts) qui accueillent plus de 50 personnes. Puis, en août, il faudra le montrer dans tous les cafés, restaurants, centres commerciaux, hôpitaux, maisons de retraite, établissements médico-sociaux, ainsi que pour prendre le train, le car et l’avion pour les « trajets de longue distance ». En somme, pour quasiment toutes les activités en dehors de chez soi au cours desquelles vous risquez de croiser du monde.
Ce changement n’est pas si brusque lorsque l’on suit l’évolution de la pandémie au quotidien : cela fait plusieurs semaines que l’on voit se profiler une quatrième vague, provoquée par la propagation du variant Delta. Alors qu’on l’envisageait plutôt pour la rentrée de septembre, tous les indicateurs montrent qu’elle est en train de débuter en juillet en France : plus de 3 500 cas positifs ont été détectés le 13 juillet, soit 62 % de plus que la semaine passée. Dans l’Union européenne, nos voisins connaissent une hausse encore plus grande, ce qui a contraint plusieurs pays à prendre des mesures comme la remise d’un couvre-feu dans certaines zones au Portugal, tandis que les discothèques ont été refermées aux Pays-Bas.
Sur le fond, les mesures que le président de la République a annoncées — et qui vont être présentées devant le Parlement ainsi que le Conseil d’État — ne sont pas anachroniques ni tellement surprenantes. Sur la forme en revanche, la communication excessivement confiante de la fin du printemps tranche avec ces nouvelles restrictions.
Le discours sur le pass sanitaire obligatoire a bien évolué en 2 mois
Le 12 mai 2021, les Français apprenaient que pour la première fois sur le territoire, il leur faudrait montrer un document pour avoir accès à certains lieux ou activités (outre le fait de voyager). Il s’agissait à l’époque uniquement de situations très restreintes : des lieux accueillant plus de 1 000 personnes (stades, festivals, etc). Une mesure compréhensible, mais présentée d’une manière bien particulière sur le site internet officiel du gouvernement dédié au pass sanitaire, comme nous l’avions relevé à l’époque.
À la question « le pass est-il obligatoire ? », on voyait s’enchaîner deux phrases antinomiques : « Non, il ne pourra être un droit d’accès qui différencie les Français », suivie de « Il sera en revanche obligatoire dans les lieux ou des événements rassemblant plus de 1 000 personnes ». Bien sûr, cela n’a pas beaucoup de sens. L’intention semblait être de ne pas écrire noir sur blanc le mot « obligatoire », alors que c’était pourtant bien le cas.
Après la publication de l’article de Numerama, le site internet officiel a ensuite été changé en faveur de plus de cohérence.
Néanmoins, si vous prêtez attention à cette capture d’écran, une phrase vous sautera aux yeux. « En aucun cas, il ne s’agira d’appliquer ce pass à ce qui fait la vie quotidienne des Français. Les grandes surfaces, les lieux de travail, les services publics ou encore les restaurants ne seront pas concernés par ce pass », peut-on lire.
Ce discours était aussi porté par la majorité : le porteur du projet de loi de sortie de crise, Jean-Pierre Pont (LREM), avait bien insisté sur ce point à l’Assemblée : « Le dispositif est entouré de garantie suffisante car il ne s’appliquera pas aux activités quotidiennes », répondait-il à ses détracteurs le 11 mai dernier, alors que ceux-ci s’inquiétaient de voir les prémices d’une multiplication d’obligations liées au pass.
Yaël Braun-Pivet, la présidente (LREM) de la commission des Lois de l’Assemblée Nationale, avait aussi rappelé à la même période, dans un tweet et sur les plateaux de télévision, qu’elle tenait à ce que le pass sanitaire ne puisse jamais être demandé pour pénétrer dans un cinéma, un théâtre ou un restaurant.
Bien sûr, ces éléments de langage semblent complètement dépassés, à peine deux mois plus tard, alors que le président de la République a annoncé précisément l’inverse ce 12 juillet 2021. À ce jour d’ailleurs, le site officiel du pass sanitaire ne fait plus mention de la nécessité de ne pas demander un pass sanitaire pour les activités de la « vie quotidienne » des Français.
Un « phénomène d’accoutumance » prévisible
Pouvait-on s’attendre à ce volte-face ? La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) avait, dans son rapport du 13 mai 2021, déjà souligné ce qu’elle appelait le risque d’un « phénomène d’accoutumance préjudiciable » dans un avis qu’elle avait dû rendre en urgence sur le pass sanitaire.
On pouvait y lire qu’elle alertait « sur le risque de créer un phénomène d’accoutumance préjudiciable qui pourrait conduire à justifier, par exemple, que l’accès à un cinéma soit conditionné à la preuve que la personne n’est pas porteuse de certaines pathologies, autres que la COVID ». Elle rappelait que « la possibilité d’accéder aux lieux de sociabilité sans avoir à prouver son état de santé fait partie des garanties apportées à l’exercice des libertés et participe à dessiner une frontière raisonnable entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et du contrôle social. »
Dans le fond, la décision de l’élargissement du pass sanitaire sur le territoire français par le gouvernement est une décision complexe, politique, mais aussi de santé publique. Aucun Français et aucune Française ne souhaite voir augmenter le nombre de personnes contaminées par le covid-19, ni de connaître de nouvelles mesures de confinement, ni encore de voir refermer tous les lieux de sociabilisation qui leur ont tant manqués. Il est également clair que les hommes et femmes politiques doivent s’adapter au jour le jour à une situation inédite, et qu’il est normal que les décisions évoluent au fil de l’eau.
Cependant, les discours ont un poids, et la manière dont le gouvernement et la majorité ont martelé, il y a huit semaines, que le pass sanitaire ne devait pas être nécessaire pour accéder à d’autres lieux que ceux accueillant plus de 1 000 personnes, pose forcément des questions sur la confiance en la parole politique. Surtout lorsque cela touche aux questions si cruciales des libertés individuelles.
La vaccination n’est pas encore « obligatoire », mais le pass sanitaire étendu apporte plus de contraintes
Pour rappel, un pass sanitaire n’est pas un document unique : on peut le voir comme un dossier dans lequel vous pouvez glisser soit un certificat de vaccination, un certificat de rétablissement ou un test PCR négatif récent. La vaccination n’est donc toujours pas officiellement obligatoire (sauf pour les soignants), même si on voit bien que, peu à peu, le gouvernement ajoute des avantages pour les personnes vaccinées, et des désagréments pour celles et ceux qui ne le sont pas.
Ainsi, les tests PCR devraient devenir payants à partir de l’automne, tandis que la vaccination est gratuite et très largement conseillée par la communauté scientifique (même le professeur Didier Raoult a toujours maintenu que la balance bénéfices/risques penchait en la faveur du vaccin, et s’est montré favorable à une vaccination systématique pour tous les soignants).
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