Dans un post sobrement intitulé « à propos d’une série d’actions graves », Maggie Dennis, l’une des vice-présidentes de la Fondation Wikimedia, qui chapeaute l’encyclopédie en ligne, s’est exprimée à propos d’un sujet inhabituel. « Nous avons banni sept utilisateurs, et enlevé les privilèges administrateurs de 12 autres personnes », explique-t-elle. Toutes les personnes concernées par ces sanctions faisaient partie du groupe Wikimedians of Mainland China, c’est-à-dire des utilisateurs vivant en Chine.
Une sanction rare sur Wikipedia, d’autant plus que la Fondation Wikimedia n’a pas pour habitude de devoir s’ingérer. Mais, l’occasion était grave : des soupçons d’infiltration planaient sur le groupe d’utilisateurs — et la sécurité d’autres utilisateurs de Wikipedia aurait été menacée. « C’est une affaire sans précédent », explique Maggie Dennis dans sa note.
Une longue enquête
Les sanctions sont tombées après une enquête longue de plus d’un an, explique Maggie Dennis à la BBC. « Les personnes suspectées d’infiltration ont essayé de promouvoir la Chine et ses actions, de toutes les façons possibles ». Leur but était de « capturer » le contrôle de Wikipedia en Chinois, et de pouvoir présenter les informations sous une lumière qui aurait été bénéfique à la Chine. Mais Maggie Dennis indique ne pas accuser directement l’état chinois. « Nous ne sommes pas en possession d’informations qui pourraient me permettre de les incriminer », a-t-elle écrit.
L’accès à l’encyclopédie depuis la Chine est complètement interdit depuis avril 2019. Mais cela n’avait pas empêché le groupe d’éditeurs chinois de continuer son travail, l’accès à Wikipedia restant toujours possible grâce à des VPN. Le groupe des Wikimedians in Mainland China comptait près de 300 personnes, dont certains suspectés d’infiltration. En plus des 7 personnes bannies et des 12 ayant perdu leurs privilèges administrateurs, la Fondation Wikimedia a également contacté un certain nombre d’autres utilisateurs, explique Maggie Dennis, afin de leur demander de modifier leur comportement. Ni Maggie Dennis ni l’article de la BBC ne donne d’exemple d’articles qui auraient pu être modifiés en faveur de la Chine.
« Nous avons hésité sur les actions à prendre, parce que nous ne voulions pas décourager les utilisateurs chinois de bonne foi. Nous ne voulons pas qu’ils sentent que leur contribution n’est pas voulue. Mais nous ne voulions pas non plus les mettre en danger en ne faisant rien pour les protéger », explique-t-elle. La Fondation Wikimedia aurait en effet été au courant de menaces sérieuses contre certains contributeurs.
« Nous espérons pouvoir parler avec la communauté sinophone internationale à propos des risques d’infiltration », a indiqué Maggie Dennis. « Nous voulons faire en sorte que nos utilisateurs se sentent en sécurité lorsqu’ils contribuent à des articles de Wikipedia en chinois ».
Ingérence et manipulation
Ce n’est pas la première fois que des personnes essaient de manipuler les informations présentes dans les pages de Wikipedia afin de soutenir un point de vue particulier. En juillet, l’agence de presse Hong Kong Free Press avait déjà remarqué la bataille que se livraient de nombreux éditeurs de Wikipedia hongkongais et chinois sur des articles sensibles, comme celui sur l’attaque du métro Yuen Long, en 2019, lors des manifestations à Hong Kong.
Les cas de la Chine et de Hong Kong ne sont pas les seuls. Pendant près de 10 ans, des administrateurs de Wikipedia Croatie ont volontairement manipulé certains articles portant sur la Deuxième Guerre mondiale ou des conflits en Yougoslavie afin de mettre en avant un point de vue nationaliste d’extrême droite. Les administrateurs avaient réussi à prendre le contrôle complet du Wikipedia Croatie, avant qu’une action collective n’arrive à les destituer.
Mais les problèmes sont courants en France aussi. À l’approche des élections régionales d’avril 2021, de nombreux hommes et femmes politiques ont tenté de caviarder leur page Wikipedia, gommant les articles de presse gênants ou mettant l’accent sur leurs réussites. Au total, la page d’une tête de liste sur trois avait été impactée par des caviardages, des vandalismes ou des éloges biaisés. Et en 2020, le cas de plusieurs agences de e-réputation, payées par de riches clients pour modifier leur page Wikipedia ou celle de leur concurrent, avait obligé les administrateurs français à intervenir.
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