Facebook a sans doute vécu l’un des lundi les plus stressants de son histoire : le groupe a souffert d’une panne mondiale inédite qui a rendu sa plateforme et ses services (Instagram, WhatsApp, Messenger) inaccessibles pendant des heures. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, ce n’est cependant pas l’élément le plus inquiétant de ce début de semaine pour Facebook.
Dimanche 3 octobre, la lanceuse d’alerte qui a fourni la plupart des éléments étayant la série d’enquêtes accablantes du Wall Street Journal sur Facebook a révélé son identité, lors d’une interview donnée à la chaîne TV américaine CBS : il s’agit de Frances Haugen, une ancienne ingénieure cheffe de produit de Facebook, qui a auparavant travaillé pour d’autres sociétés du web de premier plan (Google, Pinterest, etc.). Cette action forte s’est accompagnée de prises de position qui montrent qu’elle entend continuer d’alerter sur les risques que le fonctionnement du réseau social pose, selon elle, sur le plan politique et sociétal. Elle est d’ailleurs auditionnée ce 5 octobre par le Sénat américain à ce sujet.
Que dénonce la lanceuse d’alerte Frances Haugen sur Facebook ?
La lanceuse d’alerte pointe les conflits d’intérêts significatifs auxquels Facebook est confronté : son intérêt (retenir l’attention du public) n’est pas nécessairement aligné sur ceux de ses utilisateurs et utilisatrices (échanger, se divertir, mais aussi obtenir des informations fiables). Et selon Frances Haugens, l’entreprise n’y répond pas de manière éthique, privilégiant nettement « les profits aux dépens de notre sécurité ».
Selon elle, le géant du web dissimule des informations susceptibles de révéler dans quelle mesure Facebook peut — et est — exploité par des acteurs malveillants (pour répandre de fausses informations, des contenus haineux, etc.). Elle accuse d’ailleurs non seulement la société de tolérer ce type de contenus, mais aussi d’avoir conçu un algorithme qui a tendance à les mettre plus en valeur que les autres. Comme nous vous l’expliquions il y a peu, l’algorithme de Facebook accorde en effet 5 points chaque fois qu’une réaction « en colère » est utilisée sur une publication, alors qu’un « j’aime » ne vaut qu’un seul point. Le bouton « j’adore » vaut également 5 points, mais comme les publications les plus clivantes reçoivent souvent le plus de réactions, elles sont finalement davantage mises en avant.
Frances Haugen affirme par exemple qu’une personne qui se mettrait à suivre quelqu’un comme Donald Trump se verrait rapidement proposer des théories complotistes (QAnon, etc.). Et selon elle, Facebook sait pertinemment qu’il ne traite qu’une petite fraction seulement de la désinformation qui circule sur ses plateformes, et ne fait pas suffisamment d’efforts pour la réguler.
Elle révèle également que Facebook a conscience du fait que le fonctionnement de réseaux sociaux comme Instagram a des effets néfastes sur beaucoup de jeunes. « 32 % des jeunes filles ont déclaré qu’Instagram les faisait se sentir encore plus mal dans leur peau », explique ainsi une note de 2020 qu’elle a transmise au Wall Street Journal. Dès 2019, un document avait circulé en interne, expliquant qu’Instagram donnait « une image négative d’elle même à une jeune fille sur trois ».
Comme un numéro récent de notre newsletter Règle 30 le soulignait : « le problème n’est pas seulement que les adolescentes se comparent à des influenceuses bien maquillées et retouchées (comme on aurait pu le faire, il y a dix ans, en regardant un magazine people). Il est aussi très facile de tomber dans ce qu’on appelle un rabbit hole, un trou sans fond, dédié aux contenus de régime. » L’algorithme oriente alors très clairement les sujets auxquels vous allez penser et l’importance que vous allez leur accorder, en fonction entre autres, de l’importance qu’ils semblent avoir dans la société. Les sondages effectués par Facebook révélant ce type de problèmes n’ont cependant pas amené une réelle remise en question du fonctionnement de ces réseaux.
Facebook juge qu’il fait plus de bien que de mal
Frances Haugen milite pour une régulation et non un arrêt de la plateforme. « Si mes actions se limitent à faire que les personnes détestent Facebook davantage, j’aurais échoué. Je crois en la vérité et la réconciliation. Nous devons voir la réalité telle qu’elle est. La première étape pour cela est de documenter la situation », a-t-elle indiqué au Wall Street Journal. « J’aime Facebook. Je veux le sauver. » a-t-elle écrit par message lors de son départ, d’après le WSJ.
Facebook estime que les accusations de Frances Haugen donnent une vision déformée de la réalité. Interrogé par CNN, le VP de Facebook Nick Clegg a notamment mis en avant les ressources humaines et techniques déployées pour lutter contre la désinformation. « Même avec les technologies les plus sophistiquées (…) et les dizaines de milliers de personnes que nous employons pour assurer la sécurité et l’intégrité de la plateforme, nous ne pourrons jamais tout contrôler à 100 %, car il s’agit d’une communication instantanée et spontanée, où des milliards d’humains peuvent échanger entre eux, comme ils le souhaitent et quand ils le souhaitent ». Le message central de Facebook à ce sujet est que ses réseaux sociaux font globalement plus de bien que de mal.
Frances Haugen est toutefois loin d’être la première personne à s’inquiéter du fonctionnement de la plateforme. De nombreux chercheurs extérieurs qui travaillaient sur le système de publicité du réseau ont encore récemment dénoncé la manière dont Facebook a fait cesser leurs travaux.
Une situation de monopole
Les dysfonctionnements de Facebook sont, tout à la fois, causés par le poids qu’il occupe dans l’économie et amplifiés par celui-ci. Même si Facebook s’en est toujours défendu, la panne mondiale à laquelle la société et ses divers réseaux ont été confrontés le 4 octobre a très clairement montré en creux le monopole qu’il s’est bâti. Il y a un an, la FTC avait porté plainte contre Facebook pour atteinte à la concurrence. « Alors qu’il n’arrivait plus à concurrencer les nouveaux innovateurs, Facebook les a rachetés illégalement ou les a enterrés lorsque leur popularité devenait trop menaçante », indiquait alors Holly Vedova, membre du bureau de la concurrence de la FTC. Si la plainte de la FTC a pour l’heure été rejetée, la Commission est revenue à l’attaque en août dernier et demande à nouveau que Facebook soit contraint de revendre Instagram et WhatsApp.
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