« On sait que la Terre vibre, et d’ailleurs sa vibration est en train d’exploser. » Voilà ce qu’a déclaré l’acteur Guillaume Canet, le 18 octobre, à une heure de grande écoute sur France Inter. « Elle vibrait à 6 000 hertz en 2011, et elle était à plus de 150 000 hertz fin décembre », a poursuivi le comédien. Or, s’il y a bien une chose que l’on sait, au contraire, c’est que cette affirmation est fausse. Aucune documentation scientifique ne vient en effet mentionner ce dont parle Guillaume Canet. Contactée par Numerama, la chercheuse spécialiste en géophysique Kristel Chanard estime que ce type de propos appartiennent au domaine de la pseudo-science.
Il est vrai que la planète vibre : « La Terre est un solide qui, lorsqu’elle est soumise à un choc, entre en vibration et émet un son à certaines fréquences, comme les cordes d’une guitare », explique la chercheuse. Ces vibrations proviennent à la fois de causes naturelles, comme « les séismes, les éruptions volcaniques (…) l’impact des vagues sur les côtes ou du vent sur les arbres », mais aussi des activités humaines telles que le trafic routier et ferroviaire. « C’est l’ensemble de ces vibrations que l’on appelle le ‘bruit sismique’, et que les sismologues mesurent à l’aide de sismomètres. On observe par exemple un bruit sismique plus fort le jour que la nuit, et plus faible le week-end que la semaine. »
Cependant, Kristel Chanard pose une nuance de taille : la fréquence de ce bruit se situe entre 0.1 et 100 Hz. Elle est donc « pour l’essentiel imperceptible par l’oreille humaine, qui perçoit des plutôt des fréquences entre 20 Hz et 20 kHz ».
Mais alors sur quoi l’acteur peut-il bien se baser ? Une brève recherche permet d’identifier la source la plus probable : les blogs de « soins énergétiques bien-être ». C’est à ces endroits que la théorie d’une « fréquence vibratoire » est de plus en plus fréquemment évoquée. C’est en particulier le cas du site de Luc Bodin, un homme qui déjà été mentionné dans un rapport du Miviludes, l’organisme français de lutte contre les dérives sectaires.
Une unité qui n’existe pas n’est pas une unité valable
Luc Bodin, sur son blog, affirme que « le niveau vibratoire de la Terre s’élève de manière extraordinaire ». Il donne des chiffres : on serait selon lui passé, en 30 ans, d’une vibration de 6 000 UB à une vibration de 115 000 UB. Sauf que les UB, acronyme d’« unité Bovis », n’existent tout bonnement pas. Dans Wiktionnaire, l’unité est rangée dans la catégorie occultisme : « Unité de mesure pseudo-scientifique qui permettrait de mesurer un supposé taux vibratoire ou la supposée énergie cosmo-tellurique d’un lieu ou d’un corps. »
Si cette mesure n’est absolument pas utilisée en science et n’a pas de fondement, c’est parce qu’elle se base sur un ressenti purement arbitraire et une échelle que l’utilisateur peut adapter à sa convenance. L’auteur du blog justifie ses calculs ainsi : « Il n’existe pas d’appareil scientifique qui indique le niveau vibratoire terrestre. Celui-ci se mesure de manière empirique par la radiesthésie, le test énergétique, les baguettes coudées, le ressenti, le clair-savoir, etc. Ce n’est donc pas scientifique. »
Il n’y a, en effet, rien de scientifique dans tout cela. En revanche, bien sûr que des appareils existent et que le sujet est largement traité par la science. Les « vibrations » de la Terre sont, comme le rappelait la chercheuse Kristel Chanard, au début de cet article, une donnée largement surveillée par de véritables appareils — les sismomètres. Il s’agit d’études constantes, maîtrisées et d’instruments avec une grande sensibilité. Par exemple, durant les confinements liés à la pandémie, la réduction des activités humaines a causé une réduction du bruit sismique des activités humaines. Cela a été l’occasion, pour les sismologues, de mesurer plus précisément certaines ondes naturelles par compensation.
Par ailleurs, il n’y a rien d’empirique dans ce que décrit le blog, contrairement à ce qu’il prétend. Une preuve empirique — obtenue par l’observation et/ou l’expérience — ne peut faire l’économie de la méthode scientifique pour être valide (hypothèse, plan d’expériences, évaluation par les pairs, examen contradictoire, reproduction…).
Les pseudo-sciences et les dérives sectaires
Ces théories fallacieuses relèvent de la pseudo-science, c’est-à-dire une démarche qui consiste à présenter des idées comme relevant de faits scientifiques, alors qu’il n’en est rien. C’est ce qui a poussé un acteur pour Guillaume Canet à commencer son affirmation, probablement lue sur internet, par « on sait que ». À cette image, tout en affirmant ne pas relever de la science, le blog de Luc Bodin — et d’autres qui sont dans la même mouvance — fait régulièrement référence à des termes et à des éléments issus de la science (« champ magnétique terrestre », « photons », etc.). Mais ces éléments sont mal utilisés et ne servent qu’à tenter de donner une apparence sérieuse à des affirmations qui ne reposent sur aucune preuve.
Le problème est que les théories pseudo-scientifiques usent de ces mécanismes pour faire croire qu’elles portent des vérités absolues. C’est alors que s’insinue le risque des dérives sectaires. Le blog que nous avons évoqué est sous surveillance du Miviludes, qui, dans un rapport, indique ceci : « M. Luc Bodin est un ancien médecin inscrit à l’Ordre des médecins du Pacifique-Sud en qualité de médecin non exerçant. Bien qu’ayant pris la décision de ne plus exercer la médecine, il propose des stages et des publications en prenant soin de faire référence à sa qualité de docteur en médecine. En réalisation de ce qu’il appelle sa ‘mission’, M. Bodin a mis en œuvre un dispositif commercial de vente de formations dont les théories et les pratiques s’inscrivent dans le vaste courant des approches dites ‘énergétiques’ du corps et de la santé, inclus lui-même dans une vision ‘énergétique’ globale de l’univers. »
Un des exemples relevés par le Miviludes est révélateur de la relation d’autorité que ces sites cherchent à construire, vis-à-vis de leur lectorat : « De nouvelles énergies arrivent sur la Terre, elles vont pousser le monde humain vers une évolution merveilleuse et obligatoire… oui, vous avez bien lu : OBLIGATOIRE. » L’usage d’une notion d’obligation n’a évidemment rien d’anodin dans ce contexte. Pareillement, lorsqu’il vend ses « soins », Luc Bodin écrit : « Tout le monde peut (devrait) faire ces soins. » La parenthèse à l’impératif est, là encore, un indice problématique.
Le risque de dérive sectaire avec ces pratiques pseudo-scientifiques réside dans la vente — à des tarifs élevés qui plus est — de « soins » qui se présentent comme des pratiques médicales, sans en être réellement. Cela peut pousser certaines personnes atteintes de pathologies graves à ne plus se soigner avec de la médecine conventionnelle. Pour contourner tout risque de poursuite judiciaire, les praticiens comme Luc Bodin précisent toujours sur leur site que leurs formules ne dispensent pas de recourir aux soins conventionnels.
Toutefois, « des personnes atteintes par des maladies graves et soumises à des traitements conventionnels très éprouvants peuvent être incitées à abandonner ces traitements, au risque d’une aggravation de leur état de santé, par un excès de confiance vis-à-vis de traitements ‘énergétiques’ ou autres, dénués de toute validation scientifique », alerte le Miviludes. Attention, donc, aux discours pseudo-scientifiques, qui peuvent avoir des conséquences graves, en particulier lorsqu’ils servent à vendre des pratiques ou des produits.
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