Gérald Darmanin est remonté contre Instagram. Le ministre de l’Intérieur a demandé au service de partage de photo de fermer le compte des « Dalton », un collectif de rappeurs effectuant des rodéos urbains et postant leurs exploits sur la plateforme.
« Je dis à Instagram qu’il faut fermer leur compte (…) Je ne comprends pas pourquoi le groupe Facebook ne ferme pas ce compte », s’est énervé Gérald Darmanin. « Ça fait trois jours que nous leur écrivons. On va commencer effectivement à se fâcher », a ajouté le ministre de l’Intérieur dans une dépêche AFP relayée par BFM TV le 15 novembre.
Signalé plusieurs fois sur Pharos, le compte Instagram officiel des Dalton est encore accessible ce mardi 16 novembre. On peut y voir des vidéos de rodéos urbains qui tombent sous le coup de la loi et des conditions d’utilisation d’Instagram qui précisent que « vous ne pouvez rien faire qui soit illégal, trompeur ou frauduleux, ni agir dans un but illicite ou interdit.» Certaines vidéos mériteraient donc techniquement d’être supprimées.
Facebook et Instagram, mauvais élève de la modération
Si l’on peut trouver l’action des Dalton répréhensible, il peut être cependant étonnant de voir le ministère de l’Intérieur prendre le temps de s’émouvoir d’une situation comme celle-là.
Premièrement, car la modération d’Instagram (et plus largement du groupe Facebook/Meta) pose problème depuis des années maintenant, et que des choses bien plus graves ne sont jamais examinées, ni supprimées. En 2018 déjà, on apprenait que les modérateurs et modératrices de Facebook examinaient en moyenne, 8 000 publications problématiques par jour, soit une toutes les 10 secondes environ. Il aura fallu attendre 2019 pour qu’Instagram cesse d’héberger des contenus prônant l’automutilation. La même année Facebook bannissait enfin les discours des nationalistes et séparatistes blancs. Plus récemment, la modération du métaverse, ce monde virtuel imaginé par Mark Zuckerberg, était aussi source d’inquiétudes.
Le problème de modération de ces plateformes n’est en effet pas nouveau ; il est plutôt paradoxal que le ministère s’en émeuve en 2021, sur ce sujet précis, lorsque l’on sait combien des militants et militantes galèrent à faire modérer des contenus agressifs ou haineux, chaque jour.
On peut toutefois évidemment s’inquiéter du fait que des vidéos montrant des actes répréhensibles ne soient pas supprimés plus tôt, surtout quand le contenu fait l’objet de plusieurs signalements sur Pharos, mais le problème est loin d’être nouveau et loin d’être limité aux sujets traités par Gérald Darmanin.
Facebook et Instagram sont devenus de tels béhémoths du web social qu’il est mécaniquement difficile de modérer tous les contenus qui sont publiés, mais les sites de la galaxie Meta n’y mettent pas exactement toute la bonne volonté du monde. Le scandale récent des Facebook Files nous apprenait par exemple que les moyens alloués à la modération dans les langues non anglaises étaient ridicules.
Frances Haughen, l’ancienne employée de Facebook devenu lanceuse d’alerte, révélait récemment que « 87 % de leurs investissements pour assurer la sécurité du réseau social ont été faits dans le Facebook anglophone. » On peut être d’accord avec l’énervement du ministre de l’Intérieur, mais se concentrer sur ce phénomène est équivalent à traiter des symptômes plutôt que la maladie.
Un « effet Streisand » à redouter ?
Au-delà de la question des moyens, on peut s’interroger sur le timing de cette déclaration, à quelques mois de la présidentielle 2022. Les rodéos urbains, aussi répréhensible soit-il, méritent-ils autant d’attention et de telles déclarations de la part du ministère de l’Intérieur ? Le problème de la modération des plateformes est important, mais en isolant le cas des Dalton, le ministre de l’Intérieur semble se concentrer sur l’arbre qui cache la forêt.
Enfin, il y a un dernier risque à isoler et communiquer sur un cas comme celui des Dalton : attirer l’attention sur eux. À vouloir dénoncer leurs pratiques, Gérald Darmanin expose potentiellement les agissements de ce groupe à des internautes qui en ignoraient l’existence. Ce phénomène pervers est parfois surnommé « effet Streisand », du nom de la chanteuse bien connue qui en 2003 avait tenté de faire disparaitre des images aériennes de sa maison, sans succès. En revanche, l’écho médiatique de cette affaire avait conduit des milliers d’internautes à aller consulter ces photos.
On peut partager l’indignation du ministère de l’Intérieur pour la prolifération de contenus moralement répréhensibles, mais le problème est plus profond et plus structurel. Les plateformes n’accordent pas assez de moyens à la modération et l’espace médiatique alloué à l’affaire des Dalton détourne l’attention des problèmes plus systémiques et donc plus politiques.
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