«Je n’ai jamais parlé à une autre streameuse qui ne s’était jamais pris de remarques sexistes », nous lance Chloé_Live. Quant à la streameuse Jack0tte, elle « n’a jamais rencontré de streameuse qui ne s’était pas fait emmerder ». De nombreuses streameuses que Numerama a interrogées nous partagent le même constat : quand on est une femme sur Internet, et tout particulièrement lorsqu’on se montre, le cyberharcèlement et les menaces sexistes de la part des hommes représentent un risque presque inévitable.
Le cyberharcèlement est partout sur la plateforme, que ce soit sous la forme de messages sexistes, de sous-entendus graveleux ou de vagues de messages d’insultes et de menaces de mort. L’année dernière, face à l’ampleur du phénomène, Twitch avait annoncé de nouvelles règles et a mis en place de nouvelles mesures, censées permettre de mieux lutter contre les cyberviolences. Mais, pour les streameuses que nous avons interviewées, ce n’est pas assez : «Twitch n’est pas à la hauteur », estime la streameuse Nat’Ali.
Pour le 25 novembre et la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Numerama a parlé à cinq streameuses, professionnelle ou amatrice. Elles nous ont raconté leur quotidien, entre messages d’insultes et vagues de cyberharcèlement — des témoignages que vous pouvez retrouver en vidéo sur la chaîne YouTube de Numerama. Elles nous ont aussi parlé de tous les progrès qu’il reste à faire, notamment pour les outils mis en place par Twitch pour les protéger.
Pour les streameuses, rien n’a changé
Les nouvelles règles de Twitch en matière de cyberharcèlement sont appliquées depuis le 22 janvier 2021. Outre le fait qu’elles élargissaient considérablement ce qui était considéré comme du harcèlement sexuel par la plateforme (auparavant, les avances sexuelles non sollicitées vers une autre personne n’étaient pas strictement considérées comme du harcèlement), ces nouvelles règles interdisent également l’organisation de raids haineux.
Mais dans les faits, elles n’ont… rien changé au quotidien des streameuses. « Je ne trouve pas que ça soit pire ou mieux qu’avant », raconte Chloé_Live, qui a commencé le stream il y a deux ans, « quand on est une femme sur Internet, il faut malheureusement qu’on s’attende à être cyberharcelée ». « Je ne peux pas dire que la situation ait changé sur Twitch, en termes de cyberharcèlement », tranche quant à elle Nat’Ali, qui streame sur la plateforme depuis plus de 5 ans. « J’ai l’impression qu’ils punissent des gens pour l’exemple, mais c’est tout ». Et encore, ce n’est pas vraiment toujours le cas : les propos sexistes du streamer Inoxtag pendant le Zevent 2021 n’ont pas été sanctionnés par la plateforme. « La modération de Twitch est tellement opaque qu’on ne peut pas dire que ça s’est amélioré », regrette-t-elle.
Malgré les Twitch Leaks et la divulgation de nombreux secrets de la plateforme, notamment au niveau de la modération, les streameuses semblent être toujours autant dans le noir. Et elles semblent surtout s’est résignée au fait que Twitch ne les protégera pas. « YouTube ne fait rien, Twitter ne fait rien, pourquoi est-ce que Twitch ferait quelque chose ? Ils ne font pas leur argent sur ce que font les femmes, donc il n’y a pas de raison pour qu’ils nous protègent », estime la streameuse Jack0tte, qui fait surtout des directs sur la politique et les sujets de société.
« Leurs outils de modération sont dépassés »
Autre point qui attise la colère des streameuses : les outils proposés par Twitch pour limiter le harcèlement et les propos haineux ne marchent pas bien. Ainsi, Twitch propose un outil pour la modération du chat directement sur la plateforme. Mais « personne ne l’utilise, car il ne marche pas », raconte Chloé_Live. « Il faut qu’on ait recourt à des modérateurs ou à des bots externes pour avoir des outils qui fonctionnent », continue Chloé. La streameuse Manonolita est du même avis : « Leurs outils de modération sont dépassés. Il suffit que les gens fassent juste une petite faute d’orthographe ou qu’ils changent une lettre pour que des mots interdits passent, du coup ils ne servent à rien. »
Twitch a beau avoir annoncé de nouvelles fonctions, comme la possibilité pour les streameurs de limiter la participation à leur chat aux utilisateurs ayant vérifié leur compte avec leur numéro de téléphone ou leur adresse mail, le harcèlement continue. « Twitch n’est pas à la hauteur. Ils sont arrivés en disant qu’il y avait de nouveaux outils, mais c’est ridicule », assène Nat’Ali. « Twitch dit que le harcèlement est l’une de ses priorités, mais je n’y crois pas. C’est le strict minimum, il faut faire beaucoup plus. »
La première mesure que les streameuses aimeraient voir, ce serait de rendre impossible de créer plusieurs comptes avec une même adresse mail. Toutes les personnes avec qui nous avons parlé, sans exception, ont mentionné ce problème : les personnes bannies, qui sont très très majoritairement des hommes, n’ont aucun problème à revenir sur leur chat quelques minutes plus tard avec un nouveau compte. « Les inscriptions sur le site sont trop faciles. J’ai dû bannir une personne au moins 150 fois, car à chaque fois elle se refaisait un nouveau compte », se souvient Shakaam, qui stream depuis près de 3 ans.
Pour faire changer les choses, « il faut absolument que les gros streameurs parlent à leur communauté de ce sujet, et que Twitch le fasse aussi », dit-elle. C’est un point crucial de la lutter contre les cyberviolences : certains influenceurs ou vidéastes sont très suivis par de très nombreux jeunes hommes, et ne mesurent pas l’ampleur de l’impact qu’il peuvent avoir sur cette « communauté » (bien qu’elle soit protéiforme). Il arrive ainsi que des fans de streameurs aillent harceler « en masse » une femme sur le web, après une simple remarque d’un influenceur qu’ils apprécient — posant la question de la responsabilisation de ces jeunes stars de la vidéo dans la prévention du cyberharcèlement de leurs consœurs.
« Une priorité absolue », selon Twitch
Enfin, Twitch doit également mieux aider les victimes de cyberharcèlement. « Mon avocate a demandé à Twitch qu’ils nous aident à identifier des comptes », nous explique Manonolita, qui a subi de grosses vagues de cyberharcèlement et qui a porté plainte. « Twitch a répondu qu’ils ne donneraient pas les identités des personnes, seulement qu’ils confirmeraient si jamais il s’agissait bien de mes harceleurs. C’est la preuve qu’ils ne font pas du tout assez pour nous protéger, il faut absolument qu’ils travaillent plus avec la justice », déplore-t-elle.
« Chez Twitch, la sécurité de notre communauté est une priorité absolue et l’un de nos plus grands domaines d’investissement », a commenté la plateforme auprès de Numerama. « Nous travaillons continuellement et de toute urgence pour écarter de Twitch [le harcèlement et les comportements haineux] grâce à de nouvelles et meilleures politiques de sécurité, des produits et des technologies à l’échelle du site.»
« Des acteurs malveillants s’obstinent à trouver de nouveaux moyens d’échapper à notre détection »
La plateforme a également reconnu que des « acteurs malveillants s’obstinent à trouver de nouveaux moyens d’échapper à notre détection, et nous savons que nous avons encore du travail à faire pour empêcher les comportements toxiques d’entrer sur Twitch. Tant qu’un seul membre de la communauté pourra être victime de harcèlement sur le service, d’autres mises à jour de sécurité seront envisagées. »
En attendant les changements qu’elles réclament, les streameuses s’échangent des conseils sur les meilleures attitudes à adopter en cas de raids. « Si on fait face à un gros raid, on se dit qu’il faut tout boucler [le chat de discussion, ndlr], on se partage les bots [de modération] etc… c’est du bricolage, mais ça aide vraiment, d’avoir une communauté », raconte Chloé_Live. Ce sont également ces communautés qui les poussent à rester sur Twitch. « J’adore vraiment ce rapport au public, il est très enrichissant, ce sont ces échanges-là qui me font rester », explique Jack0tte. « De temps en temps des gens m’envoient un message pour me dire que ça leur a fait du bien qu’on parle d’un sujet en particulier, et je me dis que rien que pour ça, ça vaut le coup. »
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