C’est à la date du 30 juin 2024 qu’aura lieu le premier tour des élections législatives anticipées. Mais pour les Françaises et les Français qui vivent à l’étranger, le scrutin a d’ores et déjà commencé : leur premier tour a lieu du 25 au 27 juin. Ils peuvent voter par Internet, mais aussi à l’urne, à condition de se déplacer physiquement jusqu’au consulat.
Ce sera la même chose au second tour, programmé le 7 juillet 2024 : les expatriés auront un créneau anticipé du 2 au 4 juillet, selon les mêmes modalités. Pour une partie des électeurs et des électrices, la procédure est connue. En effet, le vote par Internet a déjà été mis en œuvre en 2012 lors d’une précédente élection législative.
Mais, comme chaque année, cette possibilité octroyée aux Françaises et aux Français vivant à l’étranger n’est pas transposée au territoire national. Pour les autres, il faut passer par le vote classique à l’urne, faire une procuration (celle-ci peut désormais être entièrement dématérialisée, sous conditions) ou utiliser une machine à voter, le cas échéant.
Cela pose une question légitime : pourquoi diable ne peut-on pas voter sur Internet pour les élections, alors même que l’on peut déjà mener bien des démarches en ligne (par exemple, vérifier sa situation électorale et savoir à quel bureau de vote se présenter) ? Cela, alors que les particuliers semblent pour nombre d’entre eux familiers du numérique.
Pour pousser en faveur du vote en ligne, on entend parfois l’argument selon lequel la possibilité de voter à distance permettrait de réduire l’abstention, qui peut être très élevée pour des scrutins moins suivis. Pour le premier tour de la présidentielle de 2022, le taux de participation était de 65 % (deux électeurs sur trois) à 17 heures en France métropolitaine
Dès lors, on peut arguer qu’il serait judicieux de faire du vote par Internet une modalité de vote supplémentaire, en plus du vote à l’urne ou bien la procuration essentiellement. Après tout, le haut débit est partout, et puis beaucoup d’internautes ont déjà touché vote en ligne lors de scrutins non politiques (tels représentants syndicaux).
Pour qui connaît bien ces problématiques, la perspective d’élargir le vote à Internet peut sembler mal éclairée. Cependant, ce n’est pas le cas de tout le monde. C’est donc l’occasion de faire un tour d’horizon des raisons qui font qu’il n’y a toujours pas de vote en ligne en France pour des élections politiques.
Pourquoi le vote en ligne n’existe-t-il pas en France pour les élections ?
Le temps manque pour que tout soit prêt à temps
La première raison est d’abord un problème de calendrier : on n’aurait pas eu le temps de déployer un système en ligne avant le jour J.
Les deux premiers tours des législatives ont eu lieu trois et quatre semaines après la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale. Déjà à la présidentielle de 2022, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait évoqué ce problème : « On n’en aura pas le temps d’organisation ».
D’aucuns diront qu’il aurait fallu s’y prendre beaucoup plus tôt. Le sujet du vote électronique figurait dans le programme d’Emmanuel Macron lors de la présidentielle de 2017. Reste que, compte tenu des besoins très hauts de sécurisation, les délais restent quoiqu’il arrive trop courts : ce n’est pas une simple page web qu’il faudrait mettre en place.
L’effet positif sur l’abstention n’est pas garanti
Voter par Internet pourrait-il enrayer l’érosion du taux de participation à laquelle on assiste à chaque scrutin ? Des travaux sur la question ont eu lieu à l’étranger, indiquait Véronique Cortier, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la sécurité des protocoles de communication. Et elle faisait observer que « la tendance générale de ces études suggère que non. »
Un rapport rédigé par des universitaires belges et daté de fin 2020 a abordé le cas de la France. On y lit que « le vote par Internet n’a eu aucun impact sur le taux de participation. Le vote par Internet a eu un impact négatif sur le nombre de bulletins de vote valides. Il y a peu de différences entre les votes papier et les votes par Internet. »
Le vote en ligne risque de dégrader le caractère solennel du vote
Le vote constitue l’un des rendez-vous les plus importants pour la population. Or, des inquiétudes existent sur les conséquences qu’aurait cette modalité de vote. Risque-t-elle d’affaiblir la symbolique de ce moment de citoyenneté en le réduisant à quelques clics sur une page web ou sur une application mobile, exactement comme on visiterait un site de streaming ou on lancerait un jeu vidéo sur son smartphone ?
En 2007, le Conseil constitutionnel avait adressé une mise en garde, en citant le cas des machines à voter. L’institution fait observer que « leur utilisation […] rompt le lien symbolique entre le citoyen et l’acte électoral que la pratique manuelle du vote et du dépouillement avait noué ». De facto, cette rupture ne peut que s’aggraver avec le vote en ligne, qui peut même se faire à la maison, et non sur place.
Comment s’assure-t-on que chaque vote en ligne est bien libre ?
Grâce à l’isoloir, il est facile de se dire que la personne qui est en train de voter choisit la personne de son choix, sans pression extérieure. Elle ressortira de sa petite cabine avec une enveloppe fermée, qu’elle glissera ensuite quelques secondes plus tard dans l’urne transparente, sous l’œil des responsables du bureau de vote. Mais derrière un écran de PC ou de smartphone, peut-on avoir la même certitude ?
Inévitablement, il y aura toujours une incertitude sur le caractère solitaire de chaque vote en ligne. Des pressions peuvent s’exercer au moment de glisser le bulletin virtuel. Faudrait-il allumer la webcam de chaque téléphone au moment du vote, pour s’assurer qu’il n’y a pas d’influence ? Cela serait une usine à gaz (il faudrait prévoir des effectifs pour vérifier les vidéos) et cela pourrait ne rien résoudre au fond.
C’est toute la question de la sincérité du vote, mais aussi de la sincérité de l’élection qui est en toile de fond. Des problèmes additionnels pourraient émerger, comme l’achat de vote, en cédant ses identifiants de connexion contre de l’argent. Sans doute le problème serait-il marginal, mais il pourrait apparaître assez frappant pour être une source de polémique et jeter une ombre sur le reste du scrutin.
La question de la transparence du vote en ligne reste en débat
Dans un bureau de vote, il est relativement facile de constater l’intégrité du processus. N’importe qui peut, s’il le désire, assister aux opérations de dépouillement et y participer. L’urne est transparente. Les isoloirs sont conçus de façon à vérifier qu’il n’y a qu’une seule personne par cabine. Des représentants de partis politiques peuvent être sur place pour voir que tout va bien et, le cas échéant, signaler un souci.
Cette transparence est complexe à retranscrire avec le vote en ligne : il faudrait ouvrir le code source de tous les composants qui ont un rôle à jouer dans la comptabilisation des bulletins et la sécurisation du processus. Or, si tout le monde peut assister et comprendre les rouages d’un dépouillement dans un bureau de vote, saisir le fonctionnement de lignes de code et d’algorithmes reste réservé aux spécialistes.
La sécurité et la fiabilité du vote en ligne : deux autres difficultés
Il ne suffit pas de rendre tout transparent pour gagner la confiance de l’électorat avec le vote en ligne et, par conséquent, légitimer le résultat d’un scrutin, même s’il n’est pas favorable à ses convictions. Il faut aussi sécuriser toute la procédure pour que l’on soit sûr que l’élection n’ait pas été piratée par une puissance étrangère ayant des intérêts à peser sur la politique française.
Les accusations d’ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016 sont dans toutes les têtes. Comment être sûr que chaque vote sera bien compté ? Que chaque vote vient d’une personne physique ayant le droit de voter ? Que le nombre de votants correspond à celui des bulletins ? Que le système sera assez résilient pour rester en ligne le temps de l’élection ?
Il faut en effet assurer l’authentification correcte de l’électeur, avec peut-être de hautes contraintes pour ne laisser aucune place à l’incertitude, mais aussi le chiffrement réussi de son bulletin de vote, sur son ordinateur (en espérant qu’il ne soit pas vérolé d’une façon ou d’une autre), du bon transfert du bulletin dans une urne virtuelle et que celle-ci soit assez résiliente pour résister à des menaces internes ou externes.
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