Une supposée « enquête » et beaucoup, beaucoup de transphobie : c’est ce sur quoi se fonde le hashtag #JeanMichelTrogneux, entré dans le top des tendances sur Twitter en France le 13 décembre, et qui y figurait toujours le 14 décembre 2021 dans l’après-midi. Ce sont plus de 34 000 gazouillis qui ont été recensés sur le réseau social, partageant une information volontairement mensongère sur Brigitte Macron, la femme du président de la République.
Selon cette fake news transphobe, la première dame serait une femme trans, dont le nom à la naissance (qu’on appelle « deadname ») serait Jean Michel Trogneux.
L’histoire est fausse. Mais cette information mensongère est loin de passer inaperçue : partagée par certains des comptes complotistes les plus influents, discutée dans les cercles d’extrême droite et dans les groupes antisémites, elle a pris une ampleur considérable, au point qu’elle est désormais sortie des réseaux sociaux. Comment un discours comme celui-ci a-t-il pu se retrouver parmi les sujets les plus discutés en France ?
De l’extrême droite antisémite aux anti-vax
Tout a commencé avec la publication, le 29 septembre, du numéro 497 de Faits & Document, dédié en partie à une pseudo « enquête » sur le « mystère Brigitte Macron ». Faits & Documents ne publie pas, contrairement à ce que son nom indique, des informations basées sur des faits et des documents. La publication relaie régulièrement des théories du complot antisémites ou sur « loges maçonniques ». Faits & Documents a même droit à une émission sur la radio d’Égalité et Réconciliation, le média antisémite créé par Alain Soral, multicondamné pour négationnisme.
Dans les grandes lignes, Faits & Documents explique que Brigitte Macron serait en fait une femme trans. L’article explique également qu’elle ne serait pas la mère de ses enfants. Il est difficile de comprendre exactement l’origine de cette théorie : les éléments que nous avons rassemblés semblent indiquer que le fait que peu de photos de Brigitte Macron jeune aient été rendues publiques, ou encore le fait qu’elle cacherait souvent son cou, aient alimenté en partie cette désinformation sans aucun fondement.
L’histoire semble avoir pris une place importante sur Twitter autour du 12 décembre, avant de véritablement devenir une tendance le 13 décembre. Avant cela, on trouvait déjà des mentions de Jean Michel Trogneux sur Twitter dès le mois de novembre. L’une des toutes premières utilisation vient d’un compte twitter partageant des contenus anti-vaccin et pro Éric Zemmour. Depuis, la fake news a été reprise par des comptes de plusieurs figures de proue complotistes ou anti-vax : c’est notamment le cas de plusieurs comptes de la mouvance QAnon, ou encore de certains traducteurs de fake news américaines, mais aussi du… chanteur Francis Lalanne (notamment devenu une figure des anti-vax). La théorie complotiste a aussi été partagée par des groupes de soutiens à Éric Zemmour sur Facebook.
En tout, ce sont plus de 34 000 tweets qui ont été publiés avec le hashtag #JeanMichelTrogneux. Cependant, il est important de préciser que ces 34 000 tweets n’ont pas forcément été envoyés par 34 000 comptes différents : certains tweets ont pu être envoyés par les mêmes personnes. Néanmoins, twitter ne fera pas la différence entre 10 tweets venant de 10 personnes différentes, et 10 venant de 2 comptes. Afin de faire grossir artificiellement des sujets, certains comptes militants n’hésitent ainsi pas à multiplier les messages, une pratique qui s’appelle l’astrosurfing. Si beaucoup de comptes différents ont mentionné le hashtag #JeanMichelTrogneux, un certain nombre de comptes ont fait de l’astroturfing, ce qui important pour mettre en perspective le nombre de tweets.
La fake news a également été reprise par plusieurs sites de la complosphère, tels de Planète360, ou encore d’extrême droite, comme Profession-Gendarme. Tous les deux parlent de Natacha Rey, la journaliste qui aurait enquêté pendant 3 ans sur l’histoire de Brigitte Macron, et qui subirait depuis des pressions.
Celle qui se présente comme journaliste a également donné une interview à Amandine Roy, une médium suivie par plus de 17 000 abonnés, qui l’a interrogée pendant près de 4h sur sa chaîne YouTube. Entre deux propos extrêmement transphobes, Natacha Rey explique que la totalité des documents qu’elle aurait rassemblés se trouverait « dans une enveloppe scellée, qui a été déposée chez un avocat dont le nom est connu », et qu’elle les rendrait publics « le jour où l’obligation vaccinale est décidée », sans expliquer le lien logique entre ces deux phrases. La vidéo a été vue plus de 330 000 fois depuis sa publication, le 10 décembre.
Un impact en dehors des réseaux sociaux
Malgré son absurdité, cette rumeur semble rencontrer une certaine popularité. La page Wikipedia « Famille Trogneux », dédiée à la famille de la première dame, a subi une vague de modifications depuis le 12 décembre, qui visaient à préciser que le nom de naissance de Brigitte Macron serait Jean-Michel Trogneux. La page a depuis été mise en statut « semi-protégé », afin d’éviter de futures modifications de ce genre.
Malgré toute la bizarrerie de l’histoire, ça n’est pas la première fois qu’une fake news du genre vise des personnalités politiques. Des rumeurs similaires visant Michelle Obama, l’ancienne première dame des États-Unis, font ainsi régulièrement surface depuis 2014, et récemment, c’est Jacinda Ardern, la Première ministre néo-zélandaise, qui a été la victime de fausses informations de ce type. Pour l’instant, ni Brigitte Marcon ni le cabinet de la première dame n’ont officiellement commenté. Cependant, Libération indique que son avocat, Jean Ennochi, a confirmé qu’il « y aurait des poursuites ».
Ces attaques sont à la fois sexistes (Brigitte Macron étant ciblée sur son physique et son âge depuis l’élection de son mari à la tête de la France) et transphobes, montrant combien l’existence même des personnes trans est rejetée et tournée en ridicule par les sphères d’extrême droite et complotistes, et à quel point il est plus que jamais nécessaire de faire reconnaître leurs droits.
Mise à jour du 16 décembre à 17h : l’article a été mis à jour pour ajouter les informations de Libération sur l’intention de Brigitte Macron de porter plainte.
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