Comme prévu, le gouvernement a déposé le 27 décembre, dans la soirée, le projet de loi « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique ». Et comme prévu, ce texte va conduire à la transformation du pass sanitaire en pass vaccinal, ce qui se traduira par l’exclusion du résultat du test de dépistage des justificatifs présentables.
Concrètement, le pass vaccinal sera imposé à compter du 15 janvier 2022 pour « l’accès aux activités de loisirs, aux restaurants et débits de boisson, aux foires, séminaires et salons professionnels ou encore aux transports interrégionaux ». Seule exception : le pass sanitaire sera encore accepté pour les établissements et services de santé et médico‑sociaux.
Le 1er article du texte, qui concentre l’essentiel du projet de loi, prévoit aussi ce qui est évoqué depuis quelques semaines : le renforcement des sanctions à l’encontre des personnes utilisant des faux pass sanitaires ou vaccinaux (il est question d’un relèvement de la première amende à 1 000 euros, contre 135 euros aujourd’hui), à des fins accrues de dissuasion.
Vers des contrôles d’identité avec le pass vaccinal
Mais surtout, et c’est l’élément le plus controversé de la future loi, le texte prépare des changements sur le terrain du contrôle d’identité.
Dans un contexte de flambée épidémique à cause du variant Omicron, qui s’avère très virulent (d’après CovidTracker, il approcherait des 30 % des cas positifs en France, à date du 24 décembre), le gouvernement tient à resserrer les mailles du filet contre le faux pass, en enrôlant dans cette tâche toutes les professions qui sont amenées à demander le pass.
« L’article renforce la lutte contre la fraude à ces documents en permettant aux personnes chargées d’en contrôler la présentation de vérifier, en cas de doute, l’identité de leur détenteur », lit-on. En clair, il pourra être demandé la présentation d’un document officiel, comme une carte nationale d’identité, un passeport ou bien un permis de conduire, par exemple.
Cela veut dire que les restaurateurs, les agents à l’entrée des salles de cinéma ou des théâtres, le personnel des salles de sport et les autres salariés des lieux accueillant du public qui sont soumis aux règles du pass sanitaire (et bientôt vaccinal) pourront vérifier si le nom affiché dans le pass correspond bien au nom (et donc à la photo dessus).
En France, le contrôle d’identité est d’ordinaire réservé à certaines forces de l’ordre : un officier de police judiciaire, un agent de police judiciaire placé sous l’autorité d’un OPJ ou bien un agent de police judiciaire adjoint, toujours sous la responsabilité de l’OPJ. Dans certaines circonstances, des douaniers peuvent aussi faire ce genre de contrôle.
Il existe toutefois des situations où un contrôle similaire peut exister, même s’il n’en porte pas directement le nom. Un exemple : un commerçant a interdiction de vendre de l’alcool à un mineur et il peut exiger, dans ce cadre, une pièce d’identité s’il a un doute au moment du paiement en caisse. C’est ce que prévoit l’article L3342-1 du Code de la santé publique.
Il ne s’agit certes pas d’un contrôle d’identité au sens strict — en effet, cet article dit qu’il faut que « la personne qui délivre la boisson exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité ». Même si c’est flou (le commerçant demande une preuve de majorité, mais sans exiger une pièce d’identité, alors que la présentation d’une pièce d’identité permet justement de prouver son âge facilement).
Même si ça ne se présente pas comme un contrôle d’identité, dans les faits ça y ressemble beaucoup. C’est un contrôle dans les faits. Dans tous les cas de figure, pour le pass, ça reste un contrôle d’identité qui est nécessaire (il faut pouvoir comparer l’identité affichée sur le pass par rapport à un document officiel), et pas une preuve de majorité.
La perspective de déléguer des pouvoirs de contrôle d’identité aux personnes qui doivent vérifier les pass soulève des interrogations juridiques sur les implications que ce transfert peut provoquer, car c’est en principe une prérogative réservée exclusivement à certaines forces de l’ordre. Cette évolution pourrait faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel.
Une mesure « nécessaire » contre la fraude, estime le Conseil d’État
Il s’avère qu’une première analyse juridique de ce projet de loi a été fournie le 26 décembre par le Conseil d’État, la plus haute juridiction de l’ordre administratif français, dont le rôle est littéralement de conseiller l’État sur certaines initiatives — en particulier, le gouvernement a l’obligation de recueillir l’avis du Conseil d’État lorsqu’il présente un projet de loi.
En l’espèce, l’institution estime « aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle à ce que l’accès des personnes dans un établissement, un lieu ou un service de transports soit subordonné à la justification par les intéressés de leur identité, lorsqu’une telle demande est motivée par des considérations objectives. »
Le Conseil d’État avance deux arguments pour valider cette délégation : il s’agit d’une part d’une mesure « nécessaire pour prévenir le recours à des documents frauduleux », à des fins de santé publique. En somme, la mesure est prise dans un contexte où un nouveau variant se développe très rapidement en France et alors que le nombre de cas positifs explose.
« Aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne fait obstacle à ce que l’accès des personnes dans un établissement […] soit subordonné à la justification par les intéressés de leur identité. »
Le Conseil d’État
D’autre part, il existe déjà une certaine délégation dans la vérification d’identité. il y a le contrôle pour l’achat de boissons alcoolisées, mais aussi l’accès aux casinos et salles de jeux d’argent, le paiement par chèque, les transactions bancaires ou par les compagnies aériennes. Et ces missions, note le Conseil d’État, sont effectuées par des professionnels et non pas des OPJ.
Il reste maintenant à voir quel sera le parcours législatif du texte et s’il fera l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, compte tenu de la polémique autour de ces contrôles d’identité à venir. L’examen au parlement ira vite : la procédure accélérée a été demandée, ce qui veut dire que le texte ne passera qu’une fois devant chaque chambre (Assemblée nationale et Sénat), au lieu de deux.
Que dit la Cnil ?
À ce jour, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ne s’est pas exprimée sur ce contrôle d’identité.
Contactée le 23 décembre par Numerama à propos du projet de loi du gouvernement, elle nous rappelait toutefois qu’en « tout état de cause, la Cnil avait appelé dans un précédent avis à ce que les contrôles d’identité liés au passe sanitaire, s’il devait y en avoir, soit encadrés par la loi et proportionnés aux risques, et avait appelé à une grande vigilance sur un dispositif qui conduirait à une multiplication de contrôles d’identité sur tout le territoire.»
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