« Créer un délit de trahison économique » : êtes-vous pour, sans avis ou contre ? Sur Elyze, c’est la question à la laquelle vous devrez répondre en swipant. Comme sur Tinder, vous pourrez indiquer votre préférence d’un simple geste du pouce : vers la droite pour indiquer que vous êtes d’accord, vers le bas pour un avis indifférent, et vers la gauche pour exprimer votre opposition. Mais contrairement à ce qu’il se passe sur l’app de rencontre, avec Elyze, ce n’est pas sur des profils de personnes que vous devez swiper, mais sur des propositions issues des programmes des candidats et candidates à l’élection présidentielle de 2022.
Elyze, disponible depuis le début de l’année 2022, est un succès aussi inattendu qu’éclair. Devenue très virale en peu de temps sur les réseaux sociaux, l’app a depuis été le sujet de très nombreux articles de presse. Le « Tinder de la présidentielle », décrit comme une arme pour lutter contre « l’abstention endémique » par ses deux créateurs, était même l’app la plus téléchargée en France le mardi 11 janvier, devant Doctolib, Tiktok, ou encore Tinder.
Mais l’app n’est pas à l’abri des critiques. Résultats pas toujours convaincants, problèmes de classement des candidats, formules floues … Tout le monde n’est pas conquis, et loin de là. Elyze va-t-elle vraiment pouvoir atteindre son objectif, et permettre de lutter contre l’abstention ?
Une interface claire, un fonctionnement simple, mais des propositions complexes
Ce qui a séduit Romain, c’est la simplicité de l’app. Pas besoin de créer un compte pour se servir d’Elyze : il n’y a qu’à l’ouvrir, à lire les propositions (qui sont anonymisées), et à swiper. « J’ai bien aimé l’interface, et le fait d’avoir des indications détaillées sur chaque proposition d’un simple clic », résume-t-il. En effet, un bouton « en savoir plus » situé en dessous de la proposition permet d’afficher plus d’informations et d’apporter du contexte. « Ça permet de mieux comprendre certaines propositions des candidats dont on entend parler dans les médias ou ailleurs ».
Dans Elyze, toutes les propositions sont en effet au même niveau —même les plus obscures. « Constitutionnaliser le droit de mourir dans la dignité », « créer une réserve éducative nationale » ou encore « instaurer la création d’un parlement de la francophonie » se trouvent à côté de cartes portant sur la sortie de la France de l’Union européenne ou encore sur l’arrêt du nucléaire. Un mélange des genres qui permet d’approfondir le débat selon certains, mais que d’autres trouvent regrettable, comme Pierre, un étudiant bordelais de 23 ans. « Des idées sont mises sur le même plan, alors qu’on parle de carottes bio à la cantine et d’arrêter le nucléaire ». Il regrette que les créateurs ne se soient pas concentrés sur « les 10 idées phares » de chaque candidat ou candidate.
Comment sont comptabilisés les points ?
De plus, certaines propositions ne sont pas du tout claires — même en se servant du bouton « en savoir plus ». La carte « supprimer les agences régionales de santé » n’explique ainsi absolument pas par quoi ces dernières seraient remplacées, ni même pourquoi elles devraient l’être — la partie « en savoir plus » précisant juste que le candidat à l’origine de la proposition les « juge dispensables car peu utiles ».
« Ils donnent le plus de contexte possible, mais parfois, ce n’est vraiment pas assez », juge Marie. « Typiquement, la carte ‘Supprimer la loi Travail‘, je suis ok avec ça. Mais pour faire quoi ? On ne sait pas ». Surtout que cette proposition a été faite par deux candidats radicalement différents : Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste français, et Florian Philippot, un candidat d’extrême droite, et que chaque proposition a sa propre carte.
Il en va de même pour d’autres propositions, qui sont partagées par l’extrême droite et l’extrême gauche, telle que le rétablissement de l’impôt sur la fortune. Concrètement, deux propositions semblables dans l’énoncé ont deux cartes différentes.
Or, il n’est pas toujours possible de savoir pour la proposition de quel bord politique on swipe, même en utilisant le bouton « en savoir plus ». Si un utilisateur est d’accord pour une proposition partagée par des candidats des deux bords, son classement peut s’en retrouver chamboulé. Surtout qu’Elyze ne précise pas comment sont comptabilisés les points accordés aux candidats, et rien sur l’app ne donne plus de détail. Seul le journal Les Echos explique qu’un « un algorithme (ratio entre les propositions acceptées et refusées) permet de connaître les candidats préférés » des utilisateurs, mais sans donner plus détail.
Il ne s’agit cependant pas vraiment d’un algorithme, mais d’un simple calcul, nous explique François Mari, l’un des co-fondateurs de l’app, joint au téléphone par Numerama (ce qui ressemble pourtant à la définition d’un algorithme, ndlr). « C’est plus une division qu’un algorithme. Pour un candidat, nous prenons en compte la proportion de likes par à rapport au nombre total de propositions jugées par l’utilisateur », explique-t-il.
Dans les faits, lorsqu’un utilisateur regarde ses résultats, ce sont donc les candidats avec lesquels il partage le plus de points communs qui apparaissent en premier, sans forcément prendre en compte le nombre total d’idées exprimées. Ainsi, nous avons été d’accord avec 100 % des propositions du candidat qui apparait en haut de notre classement, Yannick Jadot. Mais nous avons aimé plus de propositions d’Anne Hidalgo, candidate qui apparait en n°2. Sa note plus basse est due au fait que nous avons été contre une de ses propositions, ce qui l’a fait baisser dans le classement général.
Ce n’est pas le seul problème qu’Elyze rencontre
Ce n’est pas le seul problème soulevé par les utilisateurs de l’app. Un grand nombre de personnes que nous avons interrogées déplorent que l’app propose des résultats dès les 25 premières questions : selon elles, c’est trop rapide pour pouvoir se faire une véritable idée du bord politique. L’app précise sur la page des résultats que le classement peut ne pas être très fiable, mais cette information n’est pas toujours bien mise en avant.
Le fait qu’une proposition portée par plusieurs candidats soit présentée à plusieurs reprises (une fois par candidat) créé par ailleurs des doublons. Résultat : malgré un nombre relativement important de swipes, le nombre de propositions par candidat qui nous sont présentées n’est finalement pas si élevé. « Seulement 2 ou 4 propositions par candidat, pointe Romain. Cela ne permet logiquement pas de conclure grand-chose ». La répétition des propositions peut conduire à des résultats parfois déroutants : on peut se retrouver à swiper deux fois de suite les mêmes propositions, mais qui auront des conséquences très différentes sur nos scores finaux.
Max, qui a essayé Elyze, craint ainsi que « beaucoup de gens utilisent ça au sérieux, sans aller dans le fond des discours. Ça réduit le champ politique, qui est quelque chose de profond et sérieux. Ça n’est pas une petite appli sympa qui en 15 swipes va nous donner une compatibilité politique ».
D’autres encore pointent que les personnes jugées « centristes » seraient plus mises en avant que les autres, à score égal. Sur Twitter, plusieurs personnes ont vu ainsi que leurs résultats affichaient Emmanuel Macron en premier — alors qu’elles étaient également d’accord avec 100% des propositions d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot, respectivement 2e et 3e. D’autres sont parvenus au même résultat en tentant d’autres manipulations, avec toujours un trio centriste en tête, et Emmanuel Macron en premier.
Comment expliquer ces résultats ? François Mari nous indique qu’ils étaient dus à la façon dont a été programmé l’app. « Les candidats sont inscrits dans un tableau java script », nous explique François Mari, « et en cas d’égalité, c’était le candidat en inscrit en premier dans ce tableau qui apparaissait en premier dans le classement par défaut. Emmanuel Macron portait le numéro 1, et Anna Hidalgo le numéro 2, Yannick Jadot le 3etc ». Ce bug a depuis été corrigé, nous explique le co-fondateur.
Parler de l’élection autrement
Manque de clarté, calculs peu transparents, mise en avant de certains candidats par rapport à d’autres… Elyze accumule les problèmes. Mais c’est une situation qui est parfaitement normale : l’app a été développée par une toute petite équipe de jeunes, la plupart bénévoles, avec peu de moyens techniques. S’il est important de souligner ses défauts, il l’est tout autant de rappeler que l’app n’en est encore qu’à sa première mouture.
Et Elyze n’a pas que des défauts. L’app a permis à de nombreuses personnes de découvrir les programmes politiques de petits candidats, auxquels ils n’auraient pas pensé autrement. « Ça m’a permis de me faire une bonne idée », raconte ainsi Pierre. « Je ne pense pas que mon vote [sera influencé par Elyze], mais on peut dire que l’app m’a donné des idées ». Pour François, au contraire, « on perd un peu la nuance du fait qu’il faut aussi voter pour une vision, pas juste un catalogue de mesures ».
Cependant, tous reconnaissent qu’Elyze permet d’avoir accès à des résumés simples des programmes des candidats, et tout cela gratuitement — alors que les programmes politiques sont rarement des choses passionnantes à lire. Elyze a rendu la politique accessible et divertissante (l’app serait même « addictive » selon François).
Réussira-t-elle son pari, qui est de réduire l’abstention ? « Si elle est perfectionnée, cela permettra de mieux connaître les promesses des candidats », selon Michel, 49 ans. « Mais pour séduire les abstentionnistes, il manque une analyse plus politique, afin de donner la probabilité qu’une promesse soit tenue — certaines ne le peuvent pas si on ne sort pas de l’UE, d’autres nécessitent d’avoir la majorité à l’Assemblée nationale ».
Certains utilisateurs semblent en tout cas conquis, et pensent se servir d’Elyze sur le long terme. C’est notamment le cas de Pierre, qui compte bien continuer d’utiliser l’app à l’approche des élections, afin de découvrir les programmes des candidats. Surtout, pour François, « dans notre génération où pas mal de monde se désintéresse complètement du sujet et ne va pas voter », avoir une app comme Elyze, « permet déjà de générer de l’intérêt ». Et voir un certain engouement politique pour les programmes des candidats à l’élection présidentielle, c’est déjà une petite victoire.
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