« Nous y sommes », s’est félicité sur Twitter Emmanuel Macron lundi 17 janvier 2022. La raison de son engouement est simple : il y a désormais « 25 licornes françaises ».
Être une licorne est devenu le Graal à atteindre pour les entrepreneurs, qui y voient un gage de sérieux et un statut particulièrement prestigieux dont peuvent se vanter les investisseurs. Emmanuel Macron peut s’en vanter aussi : en 2019, le président avait fixé ce nombre de 25 licornes à atteindre avant 2025 et investi 5 milliards d’euros dans différentes entreprises.
L’entrée d’une 25e licorne au sein de la French Tech est donc une très bonne nouvelle pour l’exécutif. Pourtant, la réalité n’est pas si simple. Les listes des startups en question trouvables sur Internet cachent une subtilité : ce sont rarement les mêmes. Et en fonction des décomptes, il n’y a pas toujours 25 licornes.
Pourquoi est-ce difficile de savoir qui sont les licornes françaises ?
La définition d’une licorne, en économie, parait pourtant plutôt simple : il s’agit d’une entreprise non-cotée en bourse et qui n’est pas une filiale d’un groupe, valorisée à un milliard ou plus de dollars. Simple, direct, strict. Mais il n’est pas si évident que cela de savoir qui sont les 25 licornes françaises, car tout le monde ne compte pas exactement de la même manière.
Pour s’en apercevoir, il suffit simplement de faire une recherche Google « liste licornes françaises ». Aucune des listes proposées ne sera exactement la même, ni même les chiffres — alors que l’actualité est pourtant entièrement tournée vers cette fameuse 25e licorne. Elles n’affichent même pas toutes le même chiffre : certaines parlent de 24 entreprises, d’autres de 26. La liste disponible sur la page Wikipedia dédiée au sujet en compte 31. En tout, il y a pas moins de 6 classements différents.
Il est important de préciser que la plupart des licornes reviennent dans tous les classements, il ne s’agit pas à chaque fois de listes complètement opposées. Ce « coeur » d’entreprises sur lesquelles tout le monde s’entend est composé seulement de 20 licornes. En combinant toutes les listes, ce sont en tout 35 entreprises différentes qui sont citées. Que se passe-t-il ? Pourquoi y a-t-il tant de différences ?
Les classements ne sont pas fixes
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la définition de « licornes » laisse la place à de nombreuses ambiguïtés. « C’est un vrai problème », nous explique Charlie Perreau, journaliste aux Echos et spécialisée dans les startups. « Nous nous sommes basés sur la même liste que le label French Tech pour faire nos articles, mais d’autres ne vont pas prendre en compte les mêmes points ».
Ainsi, alors que l‘hébergeur français OVH est entré en bourse depuis octobre 2021, l’entreprise figure toujours sur deux listes en 2022. Viennent ensuite les cas d’Owkin, Dataiku, Aircall ou encore Algolia. Les startups sont prises en compte dans certaines listes, tandis que d’autres les ignorent car elles ont transféré leur siège aux États-Unis. Mais là encore, toutes ces startups n’apparaissent pas dans les mêmes listes, ce qui fausse encore plus le tableau. Certaines acceptent ainsi seulement Aircall, qui, malgré son implantation à New York, défendrait son « son identité tricolore », estime L’Usine Nouvelle.
Il y a également la question de l’âge de l’entreprise. « Par exemple, certains considèrent que Veepee, qui a été créée en 2001, est trop vieille pour être une startup, et donc que l’entreprise ne peut pas être considérée comme une licorne », explique Charlie Perreau. « Le phénomène des licornes est arrivé trop vite pour qu’on ait le temps de se poser la question de la définition ». Et au final, c’est parfois la définition même de startup qui est trop floue pour que tous les organismes de notation et officiels s’accordent.
Mais le plus gros problème est celui de la valorisation en elle-même, qui est pourtant le critère principal du succès des licornes. Ces valorisations sont faites par des analystes et par des investisseurs, et les données sur lesquelles ces derniers se basent ne sont pas toutes publiques. L’Usine Nouvelle l’explique d’ailleurs très bien : « tous les classements ne sont pas identiques, les analystes ne possédant pas les mêmes critères pour accorder à une société le statut de licorne française ».
CBInsight, une plateforme d’analyse d’entreprises qui édite une liste des licornes, n’explique ainsi pas sa méthodologie. Même chose du côté de La French Tech, dont le site ne précise jamais comme sont réalisés les calculs. Un processus opaque, qui fait que la valorisation en elle-même de ces startups n’est pas forcément synonyme de grand-chose. « C’est un vrai problème, je ne vois pas pourquoi il n’y a pas une liste avec des critères plus stricts, ça ne devrait pas être compliqué à faire », regrette Charlie Perreau.
Est-ce que ça sert vraiment à quelque chose de compter les licornes ?
Au final, est-ce donc bien pertinent de compter le nombre de licornes ? Dans ce cas précis, le chiffre 25 avait été choisi par Emmanuel Macron, ce qui en faisait un événement tout aussi politique que financier. Mais dans le futur, il n’est pas forcément dit que tant d’attention sera accordée à la 30e ou à la 50e licorne.
Et si le statut n’est pas forcément révélateur en soi, « il reste un indicateur intéressant », estime Charlie Perreau. Avoir plein de licornes est un bon signe de santé économique. Mais « ça n’est pas le plus important. Il faut surtout que ces entreprises aient un bon chiffre d’affaires, un EBITDA positif, et qu’elles se développent ailleurs ».
Il faut également prendre du recul avec le statut de licorne : il ne dure pas toujours, et il n’est pas l’assurance de la survie et du succès de l’entreprise dans le futur. Si certaines licornes figurent déjà dans le classement depuis des années, il n’est pas non plus impossible qu’elles sortent du classement. En 2017, sept entreprises avaient perdu leur place dans le classement général, comme l’avait raconté Recode, et, en 2016, un spécialiste interviewé par Business Insider estimait que « 90% des licornes seront dévaluées et mourront, et seuls 10% d’entre elles survivront ».
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !