En 2017, le candidat Macron avait mis l’accent sur le numérique et la tech dans son programme. Cinq ans plus tard, Numerama fait le point sur les promesses qu’il a tenues et celles qu’il a oubliées.

Officiellement, il n’est pas encore candidat à sa réélection. Même si les indices et les signaux quant à son éventuel prochain lancement de campagne se multiplient, Emmanuel Macron n’a, pour l’instant, pas encore publié son programme pour les élections à venir (à la date du 15 février 2022).

Numerama suit de près l’élection présidentielle de 2022. Dans une série d’articles qui vont s’attacher à décortiquer les programmes des candidats sur les sujets de la tech, du numérique et de la cybersécurité, Numerama va faire le point sur ce qui est important, ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. En attendant de voir si Emmanuel Macron va se représenter et publier un programme, il est l’heure de faire le bilan de son quinquennat.

Emmanuel Macron avait fait de nombreuses propositions sur le thème du numérique. Il était l’un des rares avec Jean-Luc Mélenchon à aborder longuement le sujet dans son programme. Au total, le candidat avait formulé 12 propositions concernant le secteur (haut débit, smartphone, numérisation des procédures, start-up, e-santé). Les a-t-il toutes tenues ?

Les propositions tenues

L’aide à la numérisation des entreprises

Dans son volet sur les sociétés et le numérique, Emmanuel Macron avait promis que les entreprises pourraient bénéficier « d’un accès privilégié à la formation professionnelle » si elles s’engageaient « dans des transformations ambitieuses exigeant de conduire sur une période de temps limitée une requalification de leurs salariés ».

Une promesse que le candidat a tenue : depuis le 15 décembre 2018, France Num, « la nouvelle initiative d’accompagnement à la transformation numérique des TPE et PME », offre des aides financières aux entreprises et les guide à travers certaines étapes du parcours. Le site de France Num propose également des accompagnements et liste les initiatives régionales d’aides à la numérisation.

La couverture haut débit en France

Emmanuel Macron avait promis qu’il couvrirait « en très haut débit l’ensemble du territoire d’ici la fin du quinquennat ». Le candidat devenu président avait expliqué qu’il exigerait des opérateurs qu’ils apportent la 4G dans les zones blanches afin d’éliminer « les zones sans réseau » en France. Des points centraux de son programme et un besoin qui s’est montré plus urgent que jamais avec le covid et les périodes de confinement, lorsque le télétravail est devenu la norme. Où en est-on de la couverture en haut débit en France en 2022 ?

Il est important de noter que les plans fibres et réseaux ne datent pas d’Emmanuel Macron. Le premier plan pour le déploiement de la fibre a été signé par Nicolas Sakozy en 2010, et a été renouvelé sous Hollande en 2013.Cependant, pour Michel Combot, le directeur général de la Fédération française des télécoms, « sur le très haut débit les choses ont bien avancé ».

Des câbles de fibres optiques // Source : Lars Kienle / Unsplash
Des câbles de fibres optiques // Source : Lars Kienle / Unsplash

Aujourd’hui, sur 40 millions de foyers, « 30 millions couverts par la fibre optique, et les autres ont des solutions satellites et de la 4G », explique-t-il, « mais dans tous les cas ils ont tous du haut et du très haut débit ». Les rares foyers n’ayant pas de solutions fibre ou satellite sont très minoritaires et « les dernières zones banches sont très compliquées à atteindre parce qu’elles sont très loin », souligne Michel Combot.

Pour ce qui est du réseau, 98% des antennes émettent en 4G aujourd’hui et 30% d’entre elles opèrent en 5G. Au début du quinquennat, seulement 70% des antennes diffusaient de la 4G. L’objectif aurait donc bien été atteint, même s’il reste de petits détails à régler.

Pas de smartphone dans les écoles

Emmanuel Macron avait promis d’interdire « l’usage des téléphones portables dans l’enceinte des écoles primaires et des collèges ». À l’époque, les équipes du candidat n’avaient pas précisé comment une telle mesure pourrait être mise en place et Numerama expliquait que sa mise en œuvre promettait d’être compliquée. Cependant, l’interdiction a été votée en 2018.

La loi du 3 août 2018 dispose que « l’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges », de même que « pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte ». Cette interdiction n’a cependant pas été votée pour les lycées : la loi indique que c’est le règlement intérieur de ces établissements qui s’applique.

Le développement de l’e-santé

En 2017, le candidat Macron estimait que le numérique allait permettre « d’apporter des réponses aux déserts médicaux », et souhaitait « encourager le développement de la télé-médecine et du numérique dans le domaine de la santé ». Ce plan de développement de la télé-médecine n’avait pas été très développé, mais Emmanuel Macron avait déclaré à l’époque qu’il constituerait un « axe majeur d’investissement ».

Cinq ans de mandat et une pandémie mondiale plus tard, on peut en effet dire que la télé-médecine a été développée. C’est surtout le Ségur de la Santé, organisé en 2020, qui a rendu officiel un plan d’investissement et de développement du secteur : un plan de 100 millions d’euros d’investissement pour « consolider l’essor de la télésanté » a été acté. L’état s’est aussi engagé à « lever les freins à la téléconsultation et pérenniser la prise en charge à 100 % ».

Mais ces éléments sont, toutefois, à considérer avec des pincettes. Il est impossible de nier l’influence que la pandémie de Covid a eue sur le développement des télé-consultations, qui ont été largement démocratisées lors des confinements et autres périodes de restrictions. Y aurait-il eu autant d’investissement dans le secteur sans l’épidémie ? Impossible à dire.

Des investissements pour les startups du numérique

Le candidat de LREM avait promis la création d’un « fonds européen de financement en capital-risque doté d’une enveloppe de 5 milliards d’euros pour accompagner la croissance des start-ups européennes du numérique ». La création d’un tel fonds a été annoncée au début du mois de février. Nommé « European Tech Champions Initiative », le fonds fait partie de l’initiative « Scale Up Europe » lancée en mars 2021. Le fonds est pour l’instant doté de 3,5 milliards d’euros, dont un milliard versé par la France et l’Allemagne, et doit à terme disposer de 10 milliards d’euros, grâce à des levées de fonds.

Emmanuel Macron avait également promis de créer un « fonds pour l’industrie et l’innovation, doté de 10 milliards d’euros issus des actions d’entreprises possédées de manière minoritaire par l’État », avec pour but de « servir à financer l’industrie du futur ». Le FII, Fonds pour l’Innovation et l’Industrie, a été créé en 2018, et doit « capitaliser sur les atouts nationaux afin de générer 250 millions d’euros par an, qui seront dédiés au financement de l’innovation de rupture, notamment à travers les Grands Défis », des secteurs considérés comme stratégiques par le gouvernement, tels que le stockage d’énergie ou le développement de l’IA. Cependant, L’Opinion notait en 2021 que le fonds avait « raté tant sa cible de rendement que sa mission originale », et n’aurait dégagé que 125,4 millions d’euros en 2020.

Il est intéressant de noter que le président a également investi 5 milliards d’euros dans différentes startups françaises en 2019, avec comme objectif d’atteindre le passage au stade de « licornes » (une valorisation à plus d’un milliard de dollars, ndlr) pour 25 d’entre elles. Cet objectif a été atteint en début d’année 2022, même si Numerama expliquait que ce genre de liste et d’appellation ne voulait, au final, pas dire grand-chose.

Le développement de l’intelligence artificielle

Emmanuel Macron souhaitait mettre en place « une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle dont le développement [aurait] de profonds impacts sur une série de secteurs. Les chercheurs français sont bien armés pour y jouer un rôle majeur. La première étape sera d’évaluer ses usages potentiels et ses enjeux pour le travail et l’emploi de demain ».

La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle a été lancée en 2018, et a été dotée de 1,5 milliard d’euros de budget entre 2018 et 2022 pour « renforcer les capacités de recherche » sur l’IA en France. La première phase de la stratégie nationale pour l’IA tend à positionner la France comme l’un des leaders mondiaux de cet « ensemble de disciplines scientifiques et de technologies-clés du traitement de l’information », précise le site du ministère de l’Économie.

Les propositions non tenues

La transparence des données

Emmanuel Macron avait promis la création « d’une banque de données numériques réutilisables » s’il était élu président. Le but de cette banque était de forcer les « administrations qui délivrent des licences (dont les hôtels), ndlr) […] à mettre à disposition leurs données ». La mesure devait permettre aux nouvelles startups de « s’adresser par exemple à tous les hôteliers pour leur offrir une alternative aux services existants », notamment pour faire face aux « géants étrangers ».

Cinq ans après, aucune trace de l’existence de cette banque. Contactée par Numerama, la direction interministérielle du numérique ne nous avait pas encore répondu au sujet de la banque de données au moment de la publication de cet article.

Fiscalisation des géants du numérique

Emmanuel Macron avait annoncé vouloir créer au niveau européen « une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans nos pays pour des prestations de service électronique ». « Cela éliminera ainsi les montages consistant à rapatrier les profits dans des paradis fiscaux », avait-il estimé. Il avait de plus ajouté que « la lutte contre l’optimisation fiscale (des grands groupes de l’Internet, ndlr) » serait une priorité de son quinquennat au niveau européen.

La création d’une « taxe Gafa » a bien été discutée au sein de l’Union européenne. Le projet d’harmonisation a cependant connu de nombreuses réticences, notamment de la part de l’Irlande et du Luxembourg, des pays à la fiscalité avantageuse qui accueillent les sièges sociaux de certains de ces Gafa. Au final, le projet a été suspendu en juillet 2021 suite à l’opposition de la secrétaire du Trésor américaine, qui avait demandé à l’Union de « reconsidérer » le projet.

Le projet de taxe sur les Gafa n’a toutefois pas été complètement abandonné : en 2019 en France, une loi instaurant une taxe sur les services numérique a été votée. Elle prévoit que les entreprises ayant réalisé un certain chiffre d’affaires devront s’acquitter d’un prélèvement de 3% sur le chiffre d’affaires réalisé dans le pays.

Les propositions difficiles à analyser

Favoriser l’exercice de la citoyenneté

Le candidat Macron avait longuement parlé de l’engagement citoyen sur Internet en 2017. Il avait notamment déclaré que « le numérique participe à l’exercice de la démocratie » notamment avec « les plateformes de Civic Tech, [qui] déploient des outils numériques pour améliorer le fonctionnement de nos institutions ». Emmanuel Macron n’avait cependant proposé aucune piste concrète de loi qui aurait permis d’intégrer des services de « Civic Tech », ou de mettre en place des outils numériques.

Le président avait cependant tweeté à ce sujet le 15 juin 2017, peu de temps après son élection, insistant sur le fait que la civic tech serait au coeur de la « transformation politique ».

Cinq ans après, il est difficile de faire le point sur ce sujet spécifique, qui n’a jamais eu de projet précis. Toutefois, quelques initiatives concernant la civic tech ont été prises durant le mandat d’Emmanuel Macron. En 2018, le président a ainsi signé « l’Initiative pour une Démocratie durable », un projet porté par une quarantaine d’entreprises de la Civic Tech et dont la France, la ville de Paris et Taïwan sont également signataires.

Autre point marquant : le « Grand Débat », lancé après le mouvement des gilets jaunes, et dont le but était de « permettre à toutes et tous de débattre de questions essentielles pour les Français ». En plus de réunions locales organisées, il était également possible de faire des contributions en ligne, grâce à une plateforme montée par une entreprise spécialisée dans la Civic Tech. En tout, près de 2 millions d’entre elles ont été déposés pendant les quelques mois où la consultation a eu lieu.

Régulations au niveau européen

« Nous proposerons la mise en place d’une agence européenne pour la confiance numérique, chargée de la régulation des grandes plateformes numériques afin d’assurer le respect d’une concurrence équitable et la protection des droits des utilisateurs », avait fait savoir Emmanuel Macron lors de la campagne de 2017. Cette proposition est difficile à juger, étant donné qu’elle se rapporte à l’Union européenne, et donc où le président n’a pas forcément de pouvoir.

L’idée fait tout de suite penser à la création d’une sorte de Cnil européenne, qui pourrait veiller à la protection des données des utilisateurs. Sauf qu’un tel organisme existait déjà en 2017 : l’EDPB, le Comité Européen de la Protection des Données. Le comité a pour rôle de garantir « l’application cohérente des règles en matière de protection des données au sein de l’Union européenne », est-il expliqué sur son site. Il a été institué par le RGPD, adopté en 2016, date à laquelle Emmanuel Macron n’était pas encore élu — il n’a donc pas eu d’influence sur sa création.

Pour ce qui est de la régulation des grandes plateformes du numérique, au niveau européen, l’autre partie de la proposition d’Emmanuel Macron, elle est là aussi difficile à évaluer. Pour l’instant, il n’est en tout cas pas question de la création d’une agence particulière, mais d’introduire un cadre juridique. Le DMA et le DSA sont des règlements européens, actuellement en négociation au Parlement, qui visent à réguler les GAFA. Bien qu’Emmanuel Macron se soit exprimé en faveur des textes, ils ne sont pas vraiment de son fait.

Le Parlement européen. // Source : Frederic Koberl
Le Parlement européen // Source : Frederic Koberl

La vie privée face à la Silicon Valley

« Nous renégocierons avec les États-Unis le Privacy Shield, le cadre de protection des données, d’ici 2018, afin de garantir réellement la préservation des données personnelles de tous les Européens », s’était engagé le candidat lors de la campagne.

Le Privacy Shield était un accord, négocié entre l’Union européenne et les États-Unis entre 2015 et 2016, qui encadrait le transfert de données personnelles des citoyens de l’Union vers les US. Depuis 2018, l’accord était de plus en plus critiqué par les députés européens, qui estimaient que les États-Unis ne faisaient pas assez pour protéger les données européennes. Washington avait dans la foulée engagé des changements que la Commission avait estimé suffisants, même si l’EDPB, la Cnil européenne, avait émis des doutes. Mais en juillet 2020, la cour de justice de l’Union européenne a invalidé le traité, estimant qu’il ne protégeait pas assez les Européens et Européennes.

Au final, comme pour toute proposition concernant des actions prises au niveau européen, il est difficile de juger les actions d’Emmanuel Macron et de faire un bilan sur ce point précis.

100% des démarches réalisables en ligne

En 2017, le candidat de La République en Marche avait proposé plusieurs idées pour simplifier les démarches administratives et les rendre accessibles en ligne. « D’ici 2022, 100 % des démarches administratives pourront être effectuées depuis Internet », avait promis Emmanuel Macron. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas encore à 100% des démarches, mais la proposition est en cours de réalisation. Sur les « démarches phares de l’État », l’Observatoire du numérique rapportait en octobre 2021 (les dernières données disponibles) que, sur 242 démarches, 199 avaient été complètement dématérialisées. Pour le reste, 4 sont en « cours de déploiement local », 10 ont été « partiellement » dématérialisées, et 29 ne le sont pas encore du tout.

Le reste de la proposition d’Emmanuel Macron concernait la création d’un « service public numérique de la justice, avec portail unique d’accès. Les citoyens et leurs avocats y trouveront toutes les informations pratiques et la jurisprudence applicable à leur cas. Ils pourront se pourvoir en justice depuis leur ordinateur, transmettre une requête, des pièces, ou suivre leur dossier depuis leur smartphone ». Un tel site a bien été mis en ligne : il s’agit de justice.fr.

Enfin, la dernière piste du candidat concernait la mise en ligne d’ « un nouveau service [sur Internet] d’explication de la réglementation pour les entreprises, [qui] donnera à chaque TPE ou PME les obligations légales et conventionnelles qu’elle doit respecter en fonction de sa situation. Les réponses fournies en ligne seront valables face à l’administration ». Numerama n’a pas réussi à trouver de traces de ce site, et n’avons pas reçu de réponse de la part du secrétariat d’État en charge des PME que nous avons interrogé.

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