Ils étaient plus de cinquante bénévoles, le 17 février 2022, à se prononcer en faveur d’un bannissement de sept contributeurs de Wikipédia qui modifiaient l’encyclopédie en ligne pour favoriser Éric Zemmour. Des pratiques contraires non seulement aux principes de Wikipédia, mais dangereuses pour la qualité de l’information publique en ligne.
Quelques heures plus tôt, Jules, administrateur de Wikipédia, publiait un long bulletin dans lequel il retraçait l’historique des révélations du livre Au Cœur du Z (paru en 2022 aux éditions Goutte d’Or), dans lequel un journaliste relate son infiltration dans la campagne des jeunes avec Zemmour.
Il y raconte comment une cellule d’une petite dizaine de militants pro-Zemmour s’organisait pour modifier l’encyclopédie en ligne. Parmi eux, une tête pensante reconnue : le contributeur surnommé Cheep, qui a joué de son expérience (176 000 contributions en 15 ans) et sa stature pour trahir les règles de la communauté wikipédienne. « Lorsque j’ai découvert le pseudo de Cheep dans la liste, j’ai été estomaqué », écrit Jules.
Un bandeau d’avertissement sur la page Wikipédia d’Éric Zemmour
Contacté par le journaliste de Au Cœur du Z, l’administrateur a pu suivre pendant quelques mois les agissements de Cheep et des autres, qui contreviennent à de nombreux principes de Wikipédia : neutralité de traitement des sujets, mais aussi savoir-vivre et bonne foi.
Dans la majeure partie des cas, l’encyclopédie s’est bien « auto régulée », en annulant par exemple certaines modifications militantes. Cependant, Cheep reste le premier contributeur de l’article d’Éric Zemmour, comme le rappelait le 17 février Numerama : en connaissant son engagement politique et militant, cela ne peut que questionner la neutralité de la page du candidat d’extrême droite.
À l’aune de ces révélations, la page a été affublée d’un bandeau rose en tête d’article qui met en garde les internautes : « Cet article semble être une page autobiographique ou autocentrée qui a fait l’objet de modifications substantielles, soit par le principal intéressé, soit par une ou plusieurs personnes en lien étroit avec le sujet », peut-on désormais y lire. L’avertissement est salutaire, vu combien la page est lue : en 2021, elle était la plus consultée du Wikipédia francophone avec 5,2 millions de visites.
« Comportement inacceptable », « accablant », « très sale coup porté à l’encyclopédie qu’un ancien très expérimenté se prête à ce jeu malsain » : les réactions des bénévoles vont toutes dans le même sens. La communauté de Wikipédia a agi rapidement pour émettre des sanctions, en proposant parfois le blocage, mais souvent directement le bannissement des sept personnes concernées.
« Cet utilisateur est actuellement bloqué », peut-on lire sur l’historique des modifications de Cheep. La durée est indiquée : « indéfiniment ».
La réaction du camp Zemmour
Samuel Lafont a vivement critiqué cette décision sur Twitter, niant la subjectivité militante de Cheep. Le chef de la stratégie numérique d’Éric Zemmour était pourtant à la tête de la cellule dont Cheep faisait partie (il était surnommé « Grand Chef » dans la boucle de messagerie), comme l’a montré le livre Au Cœur du Z.
En décembre 2021, il confirmait aussi au Parisien l’existence d’une « dizaine de personnes sont par exemple en charge spécifiquement de Wikipédia ». On peut lire dans l’article : « Elles connaissent les usages de la communauté qui alimente la célèbre encyclopédie collaborative et y mènent une bataille d’image en veillant aux informations qui y sont relayées ». Ce papier avait d’ailleurs fait réagir dans la cellule « WikiZédia » en question, qui s’inquiétait d’être mise en avant de la sorte dans les médias.
Lafont ajoute notamment « ce que les médias ne vous ont pas dit, c’est que « Cheep » a créé et amélioré de nombreux articles sur Wikipédia. C’est donc un contributeur talentueux qui est expulsé pour des raisons politiciennes », ce qui est aussi factuellement faux. Cheep a été justement présenté partout comme un contributeur historique de l’encyclopédie, actif depuis 15 ans, et qui a profité de cette aura pour se sortir de certaines situations houleuses — notamment lorsqu’il avait tenté de publier sur Wikipédia que « la responsabilité dans la Shoah en France [de Philippe Pétain et Pierre Laval] est sujette à débat.»
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le 18 février à midi, Samuel Lafont dénonce une « censure » de Wikipédia en générant de nombreux tweets sur le sujet. Il y a deux semaines, le Monde décortiquait ces opérations d’exposition sur Twitter, menées et assumées par le responsable de la stratégie numérique d’Éric Zemmour, qui permettent à certains hashtags de devenir artificiellement populaires sur le réseau social.
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