A l’heure où l’industrie culturelle se mobilise contre le Peer-to-Peer, il existe tout un pan du piratage largement épargné des assauts de leurs lobbys : les blogs pirates. Petit tour d’horizon de ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur.

Lorsque l’on parle de piratage, on imagine tout de suite les multiples échauffourées entre The Pirate Bay et l’industrie du disque ; la lutte intestinale contre les réseaux de Peer-to-Peer ; les procès lancés à l’encontre de YouTube et ses consorts. Mais un phénomène échappe plus ou moins à l’objectif des caméras : les blogs pirates. Pourquoi ? Parce qu’individuellement, ils n’ont jamais eu une fréquentation massive digne d’inquiéter les ayants droit. Et pourtant, mis bout à bout, ces blogs constituent un dragon dont la puissance de feu est largement sous-estimée, et dont les flux échappent totalement aux FAI et ayants droit qui ont tendance à les traquer ou bloquer pour le Peer-to-Peer (au Danemark ou aux Etats-Unis notamment). Numerama braque les projecteurs sur cette tendance.

Définissons d’abord de quoi nous parlons, car ces blogs ont de nombreuses caractéristiques communes.

  • La première chose qui les rassemble, c’est qu’ils proposent la plupart du temps des albums complets en libre téléchargement (certains préfèrent se cantonner à un seul morceau, ils mais sont clairement minoritaires). Il reprennent pour cela une structure relativement récurrente : la photo de l’album, la liste des titres, parfois un petit mot ou une chronique dessus, et un lien pour les télécharger sur une plateforme d’hébergement de fichiers type RapidShare, MegaUpload, zShare, Badongo, etc.
  • Ils peuvent être l’œuvre d’un bloggeur ou de multiples contributeurs, afin de multiplier les sources. Certains blogs se spécialisent dans un style de musique particulier, d’autres sont plus ouverts. Le parcours des différents bulletins variera selon le blog : par date, étiquette musicale, artiste, etc…
  • Une bonne majorité de ces blogs sont hébergés par Blogger (Google) via sa plateforme Blogspot, ce qui explique que la même construction se retrouve souvent d’un blog à l’autre. Généralement, ils offrent des liens vers des blogs amis. Une fois que vous tombez sur l’un d’entre eux, il donc devient facile de sauter de l’un à l’autre, à condition d’avoir le courage de fouiller un peu. Certains blogs se sont même fixé comme mission de les répertorier. « L’absence de catégorisation était frustrante pour moi » explique le responsable de Digital Meltd0wn. « C’est une des principales raisons pour laquelle j’ai crée ce blogroll. »
  • Un certain nombre d’entre eux proposent comme seule interface et possibilité d’interaction entre les visiteurs et le(s) créateur(s) du blog la « Comment Box » de Blogger. On y trouve requêtes d’albums, remerciements, liens vers d’autres albums ou d’autres blogs (image ci-contre tirée de IDM Trade).

Les blogs pirates sont tenus par des passionnés qui partagent plus ou moins une idéologie commune : celle de vouloir soutenir, par leur contribution, des artistes ou des courants musicaux qu’ils apprécient. C’est ainsi qu’un plombier australien répondant au pseudo de Skids nous expliquait « je cherchais du rock australien, mais n’ai trouvé aucun blog là dedans spécialisé sur l’ausrock [NDLR : contraction de aussie (australien) et rock]. Tous les albums sont issus de ma collection, des contributions des autres, et des forums. »

D’autres sont parfois plus vindicatifs : « Je suis juste un type qui aime la musique et hais la RIAA » explique l’auteur de I Killed The Darkness. « En tant que tel, je pense qu’au plus vous écoutez de la musique, au plus vous en achetez (par opposition à la notion archaïque de la RIAA qui consiste à dire que chaque téléchargement est une vente perdue). […] Je suppose que vous êtes comme moi et dépensez la plus grande partie de votre argent en CD et vinyles. Qu’on se le dise, si la musique que j’ai dégueulé ne vous pousse pas à l’acheter, qui s’en fout ? C’est qu’elle n’était pas sensée vous toucher. »

Il est assez fréquent que les créateurs de ces blogs mettent en tête quelques messages d’avertissement qui servent bien plus à prouver leur bonne foi qu’autre chose : « Ce site offre de la musique pour la pré-écoute et la promotion seulement, effacez les fichiers sous 24 heures. Si vous aimez la musique publiée, allez l’acheter et soutenez l’artiste que vous aimez de la façon dont vous voulez » peut-on lire sur Kharibulu. Sur Alphawellen : « Notre but est de promouvoir des artistes qui méritent plus d’attention, en partageant des albums limités ou durs à trouver, pendant une courte période de temps. Nous ne voulons escroquer personne. Si ce que nous postons vous fait chier, merci de laisser un commentaire et l’objet sera retiré. »

Vous l’aurez compris, le propos n’est généralement pas de prôner le piratage ou la mort de l’industrie du disque, mais de partager une passion. Une très grande majorité d’entre eux diffusent illégalement, excepté quelques rares exceptions comme FluoKids dont l’engouement autour a été tel que leurs créateurs ont choisi de négocier les droits des titres qu’ils y diffusent (nous y dédierons plus tard un article). Est-ce que cela leur mérite pour autant d’être condamnés ? Non, bien au contraire, car ils constituent une veine intarissable d’enthousiastes de la musique qui essaient tant qu’ils le peuvent de faire découvrir ce pour quoi ils ont un profond respect.

Le Peer-to-Peer a souvent été défendu contre ses détracteurs en avançant le fait qu’il permettait de partager et découvrir de la musique. Ici, le concept est plus fort encore, puisque les adeptes de ces blogs ne s’y rendent rarement pour y télécharger un disque de façon préméditée, mais plutôt pour découvrir des artistes en suivant le conseils de prescripteurs. C’est le renouveau de la presse musicale alimentée par cette génération qui a baigné dans le Peer-to-Peer et le discours schizophrène de l’industrie du disque.

La position du secteur se borne bien sûr à leur inégalité, mais plutôt que de les attaquer uns à uns, les lobbys essaient de saper ce qui constitue leur base vitale : les sites d’hébèrgement, à l’image de RapidShare condamné par la justice allemande sous l’impulsion de la GEMA. Le combat est pourtant aussi inutile que celui qui consiste à attaquer les éditeurs de logiciels de Peer-to-Peer. Faites-en fermer un et dix autres éclosent.

Ces blogs mettent en exergue le paradoxe même de l’industrie culturelle face à Internet. Les labels n’hésitent pas à envoyer à la pelle des centaines de disques promo aux magazines dans l’espoir d’y voir consacrer deux trois lignes (quand ils ne leur achètent pas des espaces publicitaires pour se les assurer). Ici, des passionnés qui font le même travail sans rien leur demander sont perçus comme des cibles à abattre. Alors, on trouve des compromis ; on autorise, mais seulement un titre. Mais un titre est-il suffisant pour convaincre un auditeur de la qualité du travail d’un artiste ? Il a pu l’être un moment, mais Internet a plus ou moins fait tomber en désuétude l’achat aveugle ou basé sur si peu. L’auditeur essaie l’album complet, avant, éventuellement, de soutenir l’artiste de la façon dont sa conscience s’en sentira la mieux apaisée.

Ce que prouvent ces blogs, c’est encore une fois la nécessité de repenser les modèles économiques d’une autre manière qu’ils ont été conçus jusque là. Simples auditeurs, pirate-journalistes ou collectionneurs passionnés veulent soutenir et partager les artistes dont ils apprécient le travail, mais pas selon les règles que leur impose le secteur.

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