Depuis le début de la guerre en Ukraine, les sanctions pleuvent contre la Russie. Outre le gel des actifs de certains oligarques russes, et de Vladimir Poutine lui-même, l’exclusion de la Russie du réseau de messagerie bancaire Swift a également été actée. Mais d’autres options sont étudiées par les ministres des Finances européens, notamment pour éviter que la Russie n’échappe aux conséquences de ces sanctions grâce aux crypto-monnaies.
« Nous prendrons des dispositions sur les crypto-monnaies, qui ne doivent pas être utilisées pour contourner les sanctions financières décidées par l’Union européenne », a ainsi déclaré Bruno Le Maire lors d’un point presse organisé le 2 mars 2022. Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, avait aussi appelé à réguler plus fortement le secteur des crypto quelques jours auparavant.
Mais là où il est facile d’imposer des instructions aux banques et aux institutions financières, les choses ne sont pas aussi évidentes pour le monde des devises numériques. Comment obliger un secteur qui mise sur la décentralisation de son fonctionnement d’exécuter des sanctions ? Et comment s’assurer que tout le monde joue le jeu ?
Imposer des sanctions, pas évident dans le secteur des crypto
Il est important de souligner au préalable qu’il serait impossible d’infliger des pénalités directement sur les blockchains. Par essence, les chaînes de blocs ne sont pas conçues pour autoriser de telles actions : elles ne font qu’enregistrer les opérations qui s’y déroulent. Elles n’obéissent pas aux ordres d’un quelconque organisme bancaire, et ne pourraient donc pas empêcher les propriétaires russes de portefeuilles de réaliser des opérations.
La piste évoquée par les Européens serait donc de passer par les plateformes, telles Binance, qui permettent d’acheter des devises numériques ou de les changer avec des monnaies ayant cours légal — comme l’euro ou le dollar. Christine Lagarde, lors d’une réunion avec les ministres des Finances de l’UE, a ainsi proposé de légiférer sur les sites échanges et d’achat de devises pour leur interdire d’avoir des liens avec des clients russes, rapporte le Financial Times.
La FCA, l’autorité financière anglaise, a quant à elle précisé qu’elle comptait « contacter toutes les entreprises du secteur des cryptos enregistrées au Royaume-Uni », et qu’elle entendait surveiller leurs activités. « Nous avons clairement indiqué aux sociétés, aux banques et autres que nous nous attendons à ce qu’elles mettent en place des sanctions et des contrôles, et avec nos partenaires, nous superviserons leurs actions ».
Les sanctions sont « contraires à l’esprit des crypto-monnaies »
En attendant une éventuelle loi européenne, qui mettrait sans doute un peu de temps à être votée et appliquée, les efforts européens reposeront sur la coopération et la bonne volonté des plateformes. Or, celles-ci ne voient pas d’un bon œil les sanctions envisagées contre la Russie. La plupart des plateformes d’échanges ont accepté de mettre en œuvre les sanctions déjà existantes, rapporte le Financial Times. Mais elles sont également très nombreuses à s’opposer ouvertement à l’idée d’interdire l’accès à tout un pays.
« Décider de manière unilatérale d’interdire à des gens d’accéder à leur compte, c’est tout le contraire de l’esprit des crypto-monnaies », a déclaré Binance à la chaine américaine CNBC. La plateforme a accepté de faire respecter les sanctions pour les personnes directement visées par les sanctions et les gels des avoirs, mais se refuse à bloquer l’accès à tous les Russes.
Jesse Powell, le PDG de Kraken, l’une des plus importantes plateformes d’échange, a lui aussi fait part de son opposition à cette décision. « Malgré mon respect pour le peuple ukrainien, Kraken ne peut pas geler les comptes de ses clients russes sans recevoir une obligation légale », a-t-il expliqué sur Twitter. « Le Bitcoin est l’incarnation des idées libertaires, qui mettent au-dessus de tout l’individualisme et les droits de l’homme ».
Le PDG de KuCoin a tenu des propos similaires auprès de CNBC, exprimant son désaccord avec des « actions qui auront un impact sur la vie d’innocents ». OKX, une autre plateforme d’échange, a également fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention de bannir massivement les comptes russes, tout comme FTX et Coinbase.
De plus, même si des lois sont votées, reste la question importante de la régulation des plateformes : la plupart sont officiellement enregistrées dans des paradis fiscaux. Binance est ainsi implantée aux îles Cayman, OKX aux Seychelles, et FTX aux Bahamas. Difficile dans ces cas-là de leur faire appliquer les règles européennes. D’autant plus que certaines d’entre elles ne sont pas régulées et leurs activités pas toujours légales dans de nombreux pays, comme pour Binance. Il est dur dans ces cas-là de déterminer précisément quelles règles elles doivent respecter, et les limites qu’elles peuvent légalement imposer.
Par quels autres acteurs pourraient passer les sanctions ?
Faire appliquer des sanctions contre la Russie serait envisageable en forçant la main aux plateformes récalcitrantes — mais cela nécessiterait de s’engager dans un long processus. Pour faire en sorte que les sanctions arrivent rapidement, l’Union européenne devra donc peut-être trouver une alternative, ou bien se contenter de viser les entreprises implantées sur son territoire.
Pour l’instant, aucun plan définitif n’a été ébauché — contacté par Numerama, le ministère de l’Économie nous a annoncé que des mesures plus précises seraient annoncées « dans les jours qui viennent ». Et malgré les difficultés apparentes, l’UE semble déterminée à aller jusqu’au bout.
Il faut dire que la Russie est l’un des pays où la population a le plus adopté les crypto-monnaies, selon une étude de Chainalysis citée par le Financial Times, qui classe le pays dans le top 20. Plus révélateur encore, la Russie est le 3e pays où les envois de crypto à l’étranger sont le plus courant, derrière la Turquie et … l’Ukraine. Priver le pays de ces canaux serait un coup dur pour toute une partie de la population.
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