Pour Goar Avestisyan, c’est « 10 ans de communication quotidienne, des milliers de publications et des millions d’histoires » qui disparaissent. Helen Yes raconte, elle, « qu’elle ne va pas bien », que « les larmes coulent », et qu’elle va transférer toutes ses activités sur VKontakte, une sorte de « Facebook russe ». L’actrice Anna Kilkevich explique qu’elle va devoir se « réadapter », et le chanteur David Manukyan a, à grand renfort d’emojis en pleurs, dit « adieu Insta », en enjoignant ses fans à le suivre sur Telegram.
Les influenceurs russes ont fait leurs adieux à Instagram ce 14 mars. Ils s’y préparent depuis le vendredi 11 mars : l’annonce de l’interdiction du réseau social fait suite à la décision de Facebook d’autoriser les insultes contre les soldats russes. Cette suspension a généré son lot de larmes et de regrets pour les influenceurs, qui vivent parfois des revenus publicitaires encaissés sur la plateforme. Mais au milieu de l’organisation de leur exode sur d’autres plateformes et des adieux larmoyants, jamais l’Ukraine n’est mentionnée.
De la tristesse et un repli vers Telegram
La fermeture d’Instagram dans le pays s’est décidée très rapidement — et pour la plupart des influenceurs russes, elle ne semble pas encore bien ancrée dans la réalité. La plupart des profils affichent encore des stories, signe qu’ils ont été mis à jour il y a moins de 24h, et leurs dernières publications, mises en ligne juste avant le début de l’interdiction de la plateforme, sont majoritairement des selfies éclatants, ou des photos ensoleillées de leurs dernières vacances. Ce n’est qu’en lisant les descriptions que l’on peut se rendre compte de la situation.
Ils sont aussi nombreux à penser que l’interdiction n’est qu’un mauvais moment à passer. Les messages appelant à « rester un gang », et à « toujours échanger et discuter » sont légion, tout comme ceux renvoyant vers leurs nouveaux comptes, sur les réseaux sociaux acceptés par le Kremlin. Les solutions de repli sont en grande majorité VKontakte, le Facebook russe, l’app de messagerie Telegram, dont le fondateur est Russe, ou encore Odnoklassniki, une sorte de Copain d’Avant longtemps tombé en désuétude et à nouveau mis en avant par le service des communications.
Mais peu importe le site de repli choisi : pour l’instant, la migration des fans semble être très poussive. Helen Yes, forte de 10 millions de fans sur Instagram, en compte moins de 100 000 sur VKontakte. Pour le chanteur Egorkreed, qui compte plus de 14 millions de followers sur la plateforme, la baisse est tout aussi brutale, avec seulement 390 000 abonnés à sa chaîne Telegram. Mais sur ces nouveaux réseaux comme sur les anciens, la guerre en Ukraine n’est jamais mentionnée.
Rares sont les personnes qui osent parler de l’Ukraine
L’Ukraine et la guerre sont les deux grandes oubliées de tous les posts des influenceurs russes. De toutes les publications que Numerama a consultées, aucune ne parlait des combats en cours dans le pays. En dehors de rapides allusions aux sanctions économiques et de déclarations patriotiques, le sujet est absolument tabou.
Les seules traces du conflit que Numerama a pu trouver sont quelques commentaires affichant un drapeau ukrainien, ou encore souhaitant de la « force à l’Ukraine ». La seule véritable exception vient de la chanteuse ukrainienne Vera Brezhneva, installée en Russie, et suivie par 12,4 millions de personnes — elle est la seule à avoir ouvertement appelé à soutenir son pays.
Le silence autour de l’Ukraine n’est pas étonnant : Vladimir Poutine a voté, peu de temps après le début de l’invasion, une loi condamnant toute « information mensongère » sur l’armée. Outre une très forte censure appliquée aux médias, cette loi vise également les civils, qui peuvent être punis de 15 ans de prison.
Une enquête de Vice a notamment permis de révéler que le Kremlin avait payé un grand nombre de Tiktokeurs pour publier des vidéos de propagande en faveur de la guerre en Ukraine. Ces influenceurs, dont certains comptaient près de 500 000 abonnés, devaient promouvoir le discours du gouvernement, notamment l’existence d’un « génocide » exercé contre les minorités russophones dans la région ukrainienne du Donbass. Le fait que les principaux influenceurs russes, dont la popularité est largement supérieure à celle des Tiktokeur, n’aient pas participé à la campagne de propagande n’est pas anodin.
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