Il y a déjà plus de quatre ans, alors que Numerama s’appelait encore « Ratiatum », l’auteur de ces lignes publiait une proposition de « Licence de diffusion culturelle » dont les bases ont été depuis reprises sous la dénomination de « Licence Globale ». Partant du principe que la lutte contre le piratage était vaine, et que l’évolution des technologies rendait absurde la pénalisation de la reproduction gratuite et à l’infini d’œuvres dématérialisées, nous proposions en 9 pages détaillées un mécanisme qui permettrait de légaliser le téléchargement et la mise à disposition des œuvres, tout en rémunérant ses créateurs grâce à l’instauration d’une taxe. Notre proposition, à l’époque, avait soulevé de vifs débats y compris au sein de la communauté Ratiatum. Nous y sommes toujours restés fidèles, malgré le déluge de protestations, de critiques ou mêmes d’insultes que nous avions reçues, en premier lieu de la part d’acteurs de l’industrie musicale.
Le point d’orgue de ce refus psychorigide de la licence globale a été vécu début 2006 lors des débats sur la loi DADVSI, après que dans la stupeur générale l’Assemblée Nationale eut adopté un premier volet de la licence globale quelques heures avant la veillée de Noël. Aidé par le gouvernement qui a financé par l’argent du contribuable une campagne de lobbying inédite sous la Vième République (et jamais renouvelée depuis), le groupe UMP a finalement enterré le projet de licence globale sous les applaudissements de toute la filière musicale, à l’exception notable des représentants des artistes interprètes. Tous se sont réjouis de sa mise en placard et prié très fort pour que DRM et répression fassent cause commune pour renvoyer le vil pirate dans ses cordes et qu’enfin la culture légale (comprenez marchande) fasse son grand retour. Ca a tellement bien marché que deux ans plus tard les DRM sont presque morts et qu’un nouveau projet de loi répressif s’apprête à être présenté au Parlement, par la même majorité, pour combler l’absence totale d’efficacité du premier texte.
Partout dans le monde, l’industrie du disque continue de s’écrouler, quelles que soient les méthodes répressives mises en place. Aux Etats-Unis, où plus de 20.000 plaintes ont été déposées contre des internautes, encore 41 millions d’Américains s’en fichent et s’adonent au P2P, selon les chiffres de NPD Group. Ce qui représente, calculette en main, moins de 0,05 % de P2Pistes épinglés. Soit 99,95 % d’internautes adeptes du partage de fichiers laissés en paix. Pas de doute, la répression, ça marche.
Ils n’en veulent toujours pas, de notre licence de diffusion culturelle ?
Et bien peut-être que si, après quatre ans de refus obstiné et de plaintes imbéciles contre ses clients, l’industrie commence à réaliser enfin que ça n’était peut-être pas une si mauvaise idée, ou en tout cas que la licence globale pourrait bien être bientôt leur seul moyen de continuer à gagner de l’argent sur un marché qui s’effondre de près d’un quart de son poids chaque année. « Les maisons de disques commencent à aimer l’idée d’une taxe pour accéder à la musique, parce qu’ils sont de plus en plus inquiets sur le fait que leur modèle économique puisse être cassé« , affirme ainsi l’ancien manager des Pink Floyd et des Clash, Peter Jenner, qui milite pour cette idée depuis déjà plus d’un an.
Selon Wired, alors qu’en façade le Midem était tourné cette année vers les appels à davantage de répression du manager de U2, en coulisse on se préparait enfin à discuter sérieusement des conditions de la mise en place d’une licence globale. Une réunion strictement privée d’une cinquantaine d’intervenants se serait ainsi déroulée à Cannes sur ce sujet précis, et rassemblé entre autres la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique (IFPI), Sony BMG, T-Mobile, Orange, et différentes sociétés de gestion collective.
Tous discutaient des modalités pour savoir, par exemple, s’il fallait taxer l’ensemble des internautes sur le principe de l’égalité et de la neutralité, ou au contraire ne taxer que les internautes dont les accès à Internet permettent l’utilisation de réseaux P2P (parce qu’ils ont suffisamment de bande passante et ne subissent pas de filtrage des protocoles). Un autre noeud du problème concerne la répartition des sommes collectées entre tous les ayant droits, d’une manière qui satisfasse à la fois les artistes les plus populaires et ceux qui ne sont que peu téléchargés mais dont les téléchargements méritent tout de même rémunération.
« C’est un modèle qui vaut le coup d’être étudié« , a reconnu pendant une conférence de presse au Midem le patron de l’IFPI, John Kennedy. « Si les fournisseurs d’accès veulent venir nous voir et discuter d’une licence légale pour un certain montant par mois, ayons cette discussion« , affirmait-il même. Un langage qui tranche avec celui entendu deux ans plus tôt au Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), le bras français de l’IFPI.
A Cabourg, lors des dernières Rencontres Européennes des Artistes organisées par l’Adami, le représentant de la Commission Européenne Tilman Lueder avait lui-même ouvert la porte à une proposition de licence globale européenne, sans que ça ne soulève la colère des professionnels de la musique qui auraient hurlé de toute leur voix quelques mois plus tôt.
A l’hiver 2006, en commémorant l’anniversaire de la licence globale, nous avions appelé de nos voeux l’ouverture d’un tel débat sur les conditions de la mise en place d’un régime de licence globale. Aucun rejet de principe ne peut avoir lieu sans avoir d’abord ce débat. Le fait qu’il s’ouvre en 2008 arrive bien tard, mais pas trop tard. Espérons-le.
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