La machine devant nous est massive : elle pèse une vingtaine de kilos, pour presque un mètre de profondeur. Une fois dépliée, elle se transforme même en une sorte de mini isoloir, de sorte à protéger des regards les personnes en train de l’utiliser. Les machines à voter sont imposantes, et ont une apparence relativement antique. Ce n’est pas un hasard : la plupart des machines utilisées en France aujourd’hui ont été fabriquées entre 2004 et 2006, et elles arrivent à l’âge respectable de 18 ans.
Les machines restent tout à fait sures malgré leur âge, et elles sont en majorité en très bon état de marche. Elles rencontrent cependant un problème majeur à cause de leur ancienneté : le modèle n’est plus fabriqué depuis longtemps, ce qui rend difficiles les réparations. Car les villes françaises n’ont pas le droit d’acheter de nouvelles machines depuis 2008 — et l’interdiction n’est pas prête d’être levée.
Les machines à voter, c’est quoi ?
Les machines à voter sont encore relativement peu connues en France : bien qu’elles soient utilisées par 1,4 million d’électeurs, elles ne sont installées que dans 66 villes. Sur les 36 000 communes que le pays compte, elles sont donc une rareté. Utilisées pour la première fois en 2004 à Brest, les machines n’ont, depuis, pas changé. Les villes utilisent toujours les mêmes machines, qu’elles ont achetées il y a une vingtaine d’années, et leur fonctionnement est resté le même.
Il est tout d’abord important de préciser qu’il ne s’agit pas d’ordinateurs : il est plutôt question de grosses machines à compter, qui servent à enregistrer les votes. Elles doivent être branchées à une prise secteur afin qu’elles puissent alimenter l’écran et le processeur. Mais elles ne sont pas connectées à Internet, et les machines ne peuvent pas communiquer entre elles. Elles peuvent seulement enregistrer les votes, les conserver, et imprimer les résultats lorsque la journée de vote est terminée. Et c’est tout : il ne s’agit pas de machines complexes.
Mais il reste énormément d’appréhensions et de peurs autour de ses machines. Dès leur installation au début des années 2000, certains élus et citoyens se sont opposés à leur utilisation, arguant qu’elles représentaient un « danger ». Plus récemment, c’est le député La République en Marche Laurent Saint-Martin qui a appelé à interdire complètement les machines, expliquant craindre une « altération de la sincérité des opérations électorales ». Il n’en est pourtant rien : malgré leur vieillesse, les machines sont toujours sures, comme nous explique David Danthier, le directeur général des services de la mairie d’Antony, qui utilise des machines à voter depuis 2005.
Les machines sont sécurisées
« C’est un sujet sensible, donc c’est facile de faire peur en parlant des machines », nous raconte-t-il. Les machines passent par toute une série de tests et d’étapes de vérifications afin d’assurer qu’elles n’ont pas été manipulées. Elles contiennent des « urnes électroniques », qui sont programmées avant chaque élection par des employés de mairie en présence de témoins, des élus locaux et des représentants des candidats. Ces observateurs assistent ensuite à toute une série de tests ainsi qu’à la pose des scellés sur les machines, qui permettent d’attester du fait que les machines n’ont pas été modifiées entre leur programmation et le moment du scrutin.
En dehors des périodes électorales, le stockage des machines est également sécurisé : le code électoral indique qu’elles doivent être « maintenues dans un local sécurisé et n’être accessibles qu’à un nombre limité de personnels identifiés des services municipaux ». Le risque de manipulation et de fraude reste donc extrêmement faible. « On rencontre aussi de nombreux problèmes avec le vote papier, que ce soit avec les votes nuls, ou avec les erreurs humaines lors du dépouillement », continue David Danthier, « mais certains restent opposés au vote par machines, car ils ont peur ».
De plus, il y aurait eu des « bêtises » publiées dans des rapports sénatoriaux, assène David Danthier. « Ils ont dit que c’était impossible de recompter les votes avec les machines en cas de problèmes, car il n’existe pas de trace papier du vote. Mais c’est trompeur, parce que le code électoral indique qu’il faut détruire les votes immédiatement après le dépouillement ». En cas de recompte, il faut se rapporter aux procès-verbaux où sont inscrits le nombre de votes de chaque bureau de vote. Il n’y aurait donc pas différence de fonctionnement entre les machines et les bulletins papier.
Le moratoire de 2008 limite l’utilisation des machines à voter
C’est en partie parce qu’elles ne sont utilisées que dans une minorité de villes que la plupart des électeurs ne connaissent pas ces machines. Mais c’est surtout à cause d’une décision du gouvernement : depuis 2008, un moratoire restreint largement l’utilisation des machines à voter, et participe à la défiance générale envers les machines.
Les villes qui n’en étaient pas équipées avant 2008 n’ont pas le droit de se procurer des machines à voter. Quant aux villes qui étaient déjà en possession de machines avant cette date-là, elles ont le droit d’en acheter de nouvelles mais seulement pour procéder à des remplacements, ou si elles ouvrent de nouveaux bureaux de vote. Elles ne peuvent cependant acheter que des modèles agrémentés par le gouvernement. Or, ces modèles, très vieux, ne sont plus produits aujourd’hui. Alors, lorsque les machines ont besoin de réparation, la situation peut vite devenir un casse-tête.
C’est la société France Election, l’entreprise qui a fourni les machines dans les années 2000, qui assure encore les réparations des machines aujourd’hui. Mais l’entreprise aurait parfois des difficultés à se procurer de nouvelles pièces : les machines Nedap, qui équipent l’immense majorité des villes de France, ne sont plus produites depuis des années. « Il y a quelques années, la ville d’Issy-les-Moulineaux a voulu changer son parc de machines, et passer sur des modèles Nedap. Ils ont demandé à France Election de les équiper, et l’entreprise a eu du mal à se fournir, il a fallu aller chercher dans les machines de secours », raconte aujourd’hui David Danthier.
La situation actuelle est donc celle d’un étrange statu quo : le gel des achats de machines a été motivé en grande partie par les craintes des membres du gouvernement de l’époque, qui avaient peur de potentiels soucis de sécurité. Mais aujourd’hui, malgré le fait qu’il n’y a pas eu de scandale lié aux machines, il n’y a pas eu de changement. Les machines sont désormais vieilles d’une vingtaine d’années — et le jour où elles arriveront en fin de vie se rapproche à chaque année.
Pour Hervé Palisson, directeur de France Election, « il n’y a pas encore de soucis d’obsolescence, ni même d’accélération du taux de panne ». Selon lui, il y aurait très peu d’accidents pour chaque élection, entre 0 et 2 pour les 1 300 machines installées dans toute la France. Mais les efforts de l’entreprise ne seront pas toujours suffisants : Hervé Palisson estime que les machines arriveront en fin de vie entre 2028 et 2029.
Les villes demandent de lever le moratoire
« Il faudrait commencer à remplacer les machines », reprend David Danthier, « mais pour l’instant c’est impossible. Il faudrait que le ministère de l’Intérieur adopte un nouveau règlement technique sur les machines à voter et lève le moratoire. Cela ne serait pas très compliqué de le faire, mais ça n’est pas un sujet qui intéresse aujourd’hui », déplore-t-il.
Si, pour l’instant, leur utilisation n’est pas remise en question, elle deviendra techniquement impossible lorsque les machines commenceront à connaître trop de problèmes techniques. Rien n’est sûr quant à leur futur : les parlementaires ne semblent pas vraiment prêts à lever le moratoire. Le gouvernement avait déposé au Sénat en février 2021 un amendement qui aurait permis de déployer plus largement les machines à voter. Mais ce dernier a été rejeté de façon écrasante par la quasi-intégralité des Sénateurs, enterrant l’idée de la levée prochaine du moratoire.
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