Entre les selfies isoloir et les photos de bulletins en sortant des bureaux de vote, il est certain que des citoyennes et citoyens seront tentés de partager sur Twitter, Facebook ou Instagram des preuves de leur vote ce dimanche. Si vous n’êtes pas liés à un candidat en particulier et que vous avez peu d’influence en ligne, vous êtes libres de le faire, mais la pratique est très peu recommandée.

C’est une pratique si courante qu’on lui a donné un nom, le « selfisoloir ». Habile mélange entre selfie et isoloir, le mot-valise désigne le fait de se prendre en photo lorsque l’on a fermé le rideau, devant son enveloppe avec son bulletin de vote. Cette image est rarement gardée pour soi : le but est de la partager à ses proches, mais aussi parfois de la montrer publiquement sur les réseaux sociaux.

Que risquez-vous à divulguer votre vote au tout-venant ? En théorie, rien. C’est le scrutin qui est secret en France, pas le vote. Ainsi, vous auriez le droit, si l’envie vous en prenait, de sortir de l’isoloir, monter le métro et crier « je viens de voter Arlette Laguiller ! ». Personne ne vous enverra en prison, même si vous risquez d’attirer quelques regards interrogatifs. Mais sur les réseaux sociaux, votre message n’a pas de barrière géographique ; il peut se partager de manière exponentielle.

« S’abstenir de toute activité de propagande la veille et le jour du scrutin »

Le Conseil Constitutionnel

« Par principe, la communication sur internet est libre », rappelait le Conseil constitutionnel en 2017, au moment de l’élection présidentielle passée. Cependant, l’institution conseille de « s’abstenir de toute activité de propagande la veille et le jour du scrutin », même pour les citoyens dits lambda, qui n’ont aucun lien avec un parti politique.

Des interdictions plus strictes touchent « tout particulièrement ceux qui ont à la fois un intérêt à influencer l’électorat et les moyens de le faire », comme les comptes Twitter, Facebook ou Instagram officiels de candidats, qui sont soumis au respect strict de l’arrêt de toute campagne électorale la veille de l’ouverture du scrutin, soit samedi à minuit.

Source : Flickr/CC/Clémentine Gallot
Une personne dans un isoloir, peut-être en train de rajouter un filtre chien à son visage en posant à côté de son vote. Source : Flickr/CC/Clémentine Gallot

La question du « selfisoloir » n’est pas si simple

La question du « selfie isoloir » avait été abordée avec beaucoup de sérieux au cours des élections municipales de 2014. Le maire d’un petit village de Moselle de 264 habitants avait demandé l’annulation des résultats du vote dans sa commune, car les filles de son adversaire avaient pris des selfies dans l’isoloir, puis les avaient publiés sur leur compte Facebook pour inciter à voter pour leur père.

Le maire estimait que ces publications avaient joué un rôle dans sa défaite. Il se basait sur l’article L49 du code électoral, qui « interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ». Or le tribunal administratif de Strasbourg lui a donné tort : dans la décision (mise en ligne par NextInpact), il avance le fait qu’il n’a pas été prouvé que les selfies avaient vraiment eu un impact sur l’affluence dans le bureau de vote, ni que les publications (qui étaient sur des comptes Facebook privés) aient eu « un écho significatif auprès de la population ».

Un risque de « soupçon sur l’indépendance de l’électeur »

Le ministère de l’Intérieur, interrogé par Metronews (média qui n’existe plus aujourd’hui) avant la décision du tribunal, avait déconseillé publier un selfie avec son bulletin de vote, avançant un autre argument, celui de la sincérité : « Si le ‘selfie’ n’est pas en lui-même source de trouble à l’ordre public, il n’apparaît pas recommandé de le faire, car le simple fait de le faire et a fortiori de le publier peut générer un soupçon sur l’indépendance de l’électeur quant à son vote. En effet, rien ne peut garantir que cette publication n’ait été exigée, notamment par des pressions. »

Il s’agissait à l’époque d’une crainte liée à une campagne virale aux Pays-Bas, qui incitait les citoyens et citoyennes à prouver qu’ils avaient voté en publiant une photo d’elles et eux.

Il apparait donc qu’il n’existe pas de loi ni de règle qui interdise à un citoyen de publier une photo de lui dans l’isoloir avec son vote, sur les réseaux sociaux. Les autorités auront très certainement mieux à faire que d’aller traquer le moindre selfie en ligne dimanche 10 avril. Cependant, le devoir de réserve et de silence devient plus important lorsqu’il s’agit d’une personne qui a de l’influence : il serait très malvenu, pour quelqu’un qui est suivi par plusieurs millions de personnes, de partager son vote le jour de l’élection. L’incitation à voter pour un candidat plutôt qu’un autre risquerait alors d’entrer en contradiction avec l’obligation de « faire silence » à partir de samedi.

La meilleure solution reste de ne pas prendre de risque. Si vous souhaitez absolument vous prendre en photo dans un isoloir, réservez cette belle image pour vos proches, dans un cercle privé restreint.

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