L’affaire Encrochat vient de connaître un rebond juridique en France. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé ce vendredi 8 avril sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les circonstances dans lesquelles une messagerie chiffrée, utilisée à des fins malveillantes, a pu être compromise par la gendarmerie, dans le cadre d’une vaste enquête.
Pour qui ne sait pas de quoi il retourne, Encrochat est le surnom donné à une opération qui a émergé dans les médias en 2020. La gendarmerie nationale, était-il rapporté alors, a conçu un logiciel offensif pour compromettre les conversations se passant dans la messagerie chiffrée Encrochat — prisée par des criminels pour passer sous les radars.
Cette opération a mobilisé d’autres forces de l’ordre en Europe et a permis de démanteler des réseaux, de procéder à des arrestations et d’effectuer des saisies, notamment dans le domaine de la drogue et des armes. D’importantes sommes d’argent ont aussi été récupérées. Tout comme les données Encrochat obtenues par les autorités : 120 millions de messages.
« C’est comme si nous étions à la table des criminels », s’était félicitée alors Janine van den Berg, la patronne de la police néerlandaise. Mais depuis, un problème juridique s’est développé autour du secret qui a entouré le développement et l’emploi des techniques de captation des données informatiques utilisées par la gendarmerie pour percer Encrochat.
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En effet, le dispositif mobilisé par la gendarmerie nationale s’avère couvert par le secret de la défense nationale. Or pour les avocats de certaines parties mises en cause dans cette affaire, cette opacité les prive « de la possibilité de contester la régularité de l’opération », et constitue une infraction de l’égalité dans un débat contradictoire et des droits de la défense.
Un secret qui nuit aux droits de la défense ?
C’est cet équilibre entre l’efficacité opérationnelle, que les autorités cherchent à préserver en n’exposant pas trop certaines capacités informatiques, et les principes juridiques de l’État de droit, qui s’est retrouvé devant le Conseil constitutionnel. Et dans sa décision, l’institution a considéré que cet usage secret de certains outils est conforme à la Constitution.
Plus précisément, le Conseil a validé le second alinéa de l’article 706-102-1 du Code de procédure pénale, né de la loi sur la programmation et la réforme pour la justice en 2019. Cet article autorise justement le recours aux moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale. La disposition étant valide, la QPC a été rejetée en conséquence.
Le Conseil constitutionnel observe une « conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles », avec d’une part celles « inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, dont participe le secret de la défense nationale », et d’autre part les garanties apportées par les textes fondamentaux, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La décision rendue par le Conseil constitutionnel a été reçue diversement, selon les points de vue.
Guillaume Martine, avocat au barreau de Paris, a fait part de sa « déception », mais observe que le même Conseil a relevé un « certain nombre de garanties qui n’ont pas été respectées en l’espèce ». Et si la Constitution a été respectée, la loi ne l’aurait pas été, ajoute-t-il.
Son confrère, maître Robin Binsard, signale d’ailleurs que la suite du dossier sera devant la chambre criminelle, audience prévue le 14 juin 2022 où seront abordées les nullités de procédure relatives à Encrochat.
De l’autre côté du spectre, l’officier de gendarmerie Matthieu Audibert s’est lui aussi exprimé sur le sujet, y voyant là une « décision logique » : « Seul le dispositif de captation est protégé par le secret. Tout le reste est versé en procédure ». En clair, l’argument des avocats sur la déloyauté ne pouvait pas tenir, car seuls des points techniques ont été traités autrement.
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