Depuis le début de l’invasion russe, Vladimir Poutine livre une croisade contre la liberté d’expression sur internet. L’autocrate fait en sorte que sa population soit la moins informée possible sur ses intentions et le déroulement de la guerre. Ce terme même est banni et le prononcer peut conduire jusqu’à 15 ans de prison, depuis une loi instaurée le 4 mars dernier. Les médias d’opposition n’existent plus, Facebook, Instagram et Google News sont bloqués, tandis que Twitter a déplacé son adresse sur le darkweb. Côté répression, plus de 15 000 personnes ont été arrêtées en un mois pour avoir protesté contre l’invasion, selon l’ONG russe OVD.
Pour autant, dans ce pays de 144 millions d’habitants, il est encore possible de contourner le filtre du Kremlin pour s’informer. Deux citoyens russes, qui ont préféré garder l’anonymat, ont raconté à Numerama comment ils continuent à communiquer et se renseigner sur le web dans ce climat de peur et de défiance.
Vadim, la vingtaine, habite à Saint-Pétersbourg, tandis que Boris, quadragénaire, réside à Nijni Novgorod, une importante métropole culturelle, à 400 km à l’est de Moscou.
Chez l’un comme l’autre, la vie numérique passe d’abord par Telegram. « Depuis plus d’un an, je lis les actualités uniquement sur les chaînes Telegram », nous lance Vadim. Il en va de même pour Boris, qui indique que « les flux Telegram et YouTube avec la radio depuis internet sont suffisants pour s’informer. »
La messagerie créée par Pavel Durov, champion russe de la tech – désormais installé à Los Angeles – est devenue l’app la plus utilisée dans le pays depuis mars dernier, surpassant le leader américain WhatsApp, selon l’opérateur téléphonique russe Megafon.
Telegram jouit d’une réputation d’appli sécurisée, mais dans les faits, les échanges chiffrés ne sont pas automatiques par défaut. La valeur ajoutée de la plateforme réside surtout dans ses canaux, des groupes d’infos comptant parfois des millions d’abonnés. On trouve autant de chaînes que d’opinions sur Telegram, certaines au service du Kremlin, d’autres sont un relais d’informations brutes en temps réel. À l’utilisateur de choisir sa source.
Vadim cite par exemple SVTV News, Ateo, Protestations dans le monde, Moscow Telegraph, comme canaux qu’il consulte.
Le VPN, un outil indispensable pour retrouver certains sites bloqués
Boris parle également de YouTube comme relais d’informations fiables. En effet, la plateforme vidéo est encore disponible en Russie et les médias étrangers continuent à diffuser leurs contenus indépendamment.
Point important, les deux hommes se servent d’un VPN (réseau privé virtuel) pour naviguer sur le web. Ces applications ou logiciels leur permettent de rediriger leur trafic vers d’autres serveurs, et donc de cacher leur emplacement physique réel.
« J’utilise un VPN, ne serait-ce que pour me connecter sur mes comptes des réseaux sociaux : Twitter, Instagram… » explique Vadim. Quant à Boris, il a recours à un VPN « lorsque c’est nécessaire dans [ses] recherches, mais pour l’instant, ce n’est pas encore une utilisation régulière. »
La population russe s’informe majoritairement par la télé
La loi du 4 mars a permis de censurer les derniers médias indépendants dans le pays. Des titres historiques tels que Novaga Gazeta ont cessé de partager des informations depuis début avril. L’Écho de Moscou, station radio historique et active depuis la chute de l’URSS a été dissoute le 3 mars dernier.
« J’ai écouté cette radio pendant près de vingt ans et maintenant elle me manque. Je me suis tourné vers des chaînes et sources similaires » nous raconte Boris. « Chez moi, j’écoute Radio Liberty, la radio ukrainienne depuis RFI, la radio polono-biélorusse de Bialystok.»
Le cas de Boris ne représente pas la population russe, qui s’informe majoritairement depuis la télé ou la radio, premier écho de la propagande du Kremlin aujourd’hui. « Toutes les chaînes de télévision, les stations radio et les titres de presse sont strictement contrôlés par l’État. Il est possible de lire des médias indépendants et étrangers grâce à un VPN, mais il est impossible en revanche d’obtenir des informations objectives en dehors d’Internet », décrit Vadim.
Concernant Vkontankt, « le Facebook russe », les deux hommes s’en méfient. « J’avais l’habitude de l’utiliser, mais j’ai cessé de le faire il y a environ un an. C’est là que les services spéciaux du Kremlin nous surveillent le plus souvent depuis internet », nous explique Boris.
« Je ne censure jamais mes paroles, que ce soit sur Internet ou au téléphone »
Qu’en est t-il des communications avec la famille, les amis ? Les Russes sont-ils suffisamment sereins pour discuter d’une guerre, qu’ils ne peuvent pas nommer en public ? Pour Boris, tous les échanges passent par Telegram. Avec ses interlocuteurs, ils font preuve de prudence au téléphone. « Mes proches utilisent également WhatsApp, Viber, Zoom, Skype et VK. Lors des conversations téléphoniques, nous essayons de nous exprimer d’une manière plus générale, non spécifique. »
Vadim aussi n’utilise plus que Telegram pour ses messages avec les amis. Néanmoins, le jeune homme assume pleinement ses idées, lorsqu’il communique avec eux. « Non, je ne censure jamais mes paroles, que ce soit sur Internet ou au téléphone. C’est mon droit moral. Si je suis emprisonné pour une déclaration sincère dans une correspondance privée, ce ne sera pas ma faute et je n’en aurais pas honte.»
Si Vadim a décidé de rester, beaucoup de ses compatriotes, notamment les jeunes diplômés ou des employés de la tech, ont préféré fuir le pays. Difficile en effet d’imaginer un retour à la normale, tant que le régime actuel reste en place.
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