Aux alentours de 22h40 ce mercredi 20 avril 2022, Léa Salamé, l’animatrice du débat de l’entre deux tours, pose une question à Marine Le Pen : « comment faire pour avoir un Google français, un Steve Jobs français ? ». La question ne sort de pas de nulle part : la journaliste a annoncé peu avant vouloir aborder le thème de l’attractivité de la France et des nouvelles technologies.
Après une courte diatribe contre l’Union européenne, Marine Le Pen en vient au coeur du sujet : « le Google européen, ça fait des années qu’il aurait dû être lancé ». « Je pense qu’il faut qu’on crée au niveau européen, de la même manière que l’on a créé une politique spatiale, on a fait Airbus et Ariane, il faudrait évidemment qu’on fasse un Google européen », conclut-elle.
Il y a déjà eu des tentatives de « Google européen »
Il y a plusieurs problèmes avec cette proposition. Premièrement, la candidate du Rassemblement national oublie qu’il y a déjà eu plusieurs tentatives lancées en Europe afin de créer un moteur de recherche qui serait capable de rivaliser avec le géant américain.
Le tout premier, Quaero, a été lancé en 2008, à l’initiative de la France et soutenu par l’Allemagne. Quaero avait pour ambition de devenir un moteur de recherche nouvelle génération, qui aurait permis de chercher « du texte, des images du son et de la vidéo », et se présentait à l’époque comme le « Google européen » en devenir, indique aujourd’hui Wikipedia.
Mais en 2013, après 200 millions d’euros investis, le projet se termine sans avoir réussi à développer une véritable alternative à Google. Les représentants du projet parlent de plusieurs innovations et même de « sauts technologiques » effectués grâce au projet, mais, à la fin, Quaero n’est pas devenu le moteur de recherche européen annoncé.
Une deuxième tentative plus récente, Qwant, s’est, elle, rêvée en une sorte de Google français sécurisé, en promettant un service respectueux des données privées des utilisateurs. Lancée en 2011, l’initiative est au départ plutôt bien accueillie et reçoit de nombreux financements et investissements. Des prototypes sont développés et une version finale sort en 2013.
Puis les problèmes apparaissent : 63 % des résultats affichés par Qwant proviendraient en fait de Bing, le moteur de recherche de Microsoft, et une enquête de Médiapart parue en 2019 pointe des insuffisances techniques de l’entreprise. Surtout, malgré de nombreux partenariats (l’État fait de Qwant le moteur de recherche par défaut des ordinateurs l’administration française en 2020), le moteur de recherche n’arrive pas à être à l’équilibre : les pertes enregistrées sont toujours largement supérieures aux recettes.
L’Union européenne n’a pas le pouvoir de créer un équivalent à Google
Les exemples de Quaero et de Qwant montrent bien qu’il ne suffit pas d’une volonté politique et de subventions pour faire aboutir des projets aussi ambitieux que « créer un nouveau Google ». Monter un tel projet à l’échelle européenne, comme l’a proposé Mme Le Pen, changerait surement peu de choses à cela.
Surtout que ce n’est pas le rôle de l’Union européenne de créer un moteur de recherche, mais à des entrepreneurs ou entrepreneuses — même si l’initiative pourrait bien évidemment être soutenue financièrement par les 27. Ce n’est donc pas quelque chose que Marine Le Pen pourrait imposer à l’Union européenne si elle est élue le 24 avril.
La candidate d’extrême droite a, surtout, mal répondu à la question : il ne s’agissait pas de décrire comment créer un « Google européen », mais comment permettre à un futur géant de la tech européen d’émerger. Et pour arriver à cela, Marine Le Pen n’a absolument aucune proposition. Son programme numérique ne mentionne jamais d’investissements dans des technologies de rupture, et se concentre surtout sur la notion de « souveraineté numérique », en se coupant en grande partie… de l’Union européenne justement.
Au final, que manque-t-il à l’Europe pour qu’un géant de la tech puisse s’y développer ? Emmanuel Macron s’est vanté pendant le débat, du nombre de licornes françaises (des entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars), passé de 2 à 25 sous son mandat. Sauf que, comme Numerama l’avait soulevé dans un article, ce chiffre et l’appellation « licorne » correspondent rarement à quelque chose de concret. Compter les licornes ne peut pas être une façon viable d’envisager le numérique. Pour permettre à un futur géant du numérique européen d’exister, il faut surtout des investissements — des politiques déjà mises en place au niveau européen, qu’il faut renforcer.
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