Nous avons déjà expliqué récemment comment le processus international d’élaboration des lois sur le droit d’auteur rendait toute remise en cause très compliquée, lente et périlleuse. Tout est mis en œuvre par les industries culturelles et par les politiques sous influence pour que le droit d’auteur ne puisse être que renforcé, et jamais révisé dans une vision plus favorable à la société des lecteurs (les consommateurs) qu’à la société des écrivains (les majors). Mais depuis l’avènement d’Internet, la grogne des premiers montent, et les gouvernements sont de plus en plus sensibles à une vision mieux équilibrée des droits. Il s’agit donc désormais, pour les lobbys, de tout faire pour que les points de vue opposés ne s’expriment pas.
Mission réussie au Canada. Un professeur de Droit canadien spécialisé dans la propriété intellectuelle a ainsi été écarté presque à la dernière minute d’une grande conférence publique où il devait participer ce lundi, à Ottawa. Il accuse les lobbys américains d’être directement responsables de son éviction.
Le Forum des politiques publiques (PPF), un centre de réflexion politique très influent au Canada, organise aujourd’hui dans la capitale du pays une grande conférence sur la propriété intellectuelle, axée sur « l’innovation et l’économie ». Il y sera notamment question de droit d’auteur, au moment où le Canada s’interroge toujours sur l’opportunité ou non de voter chez eux une loi DADVSI. Les Etats-Unis classent le Canada au même rang que le Pérou ou la Russie, parmi ceux qui doivent en priorité renforcer leur protection de la propriété intellectuelle. Parmi les personnalités présentes et invitées à présenter leurs points de vue figurent Glen Bloom, qui exerce ses talents de lobbyiste pour Time Warner et pour l’Association Canadienne des Distributeurs de Cinéma, l’embassadeur des Etats-Unis David Wilkins, le représentant du bureau des Brevets américains Michael Shapiro, et une représentante de la Chambre du Commerce Canadienne dont les vues sont notoirement favorables à un renforcement à l’américaine. Dans ce concert de voix concordantes, le professeur Howard Knopf devait venir exposer un point de vue radicalement différent.
Le chercheur devait présenter les conclusions d’une étude déjà rendue publique où il démontre « pourquoi le droit d’auteur canadien est déjà plus fort et meilleur que celui des Etats-Unis« , et pourquoi les Etats-Unis devraient plutôt imiter le Canada que l’inverse. Alors que le droit du copyright américain protège surtout l’industrie des producteurs de contenus, le droit canadien qui est très inspiré du droit d’auteur à la française protège mieux les auteurs et les créateurs des œuvres. Le Pr. Knopf a ainsi listé 15 mesures imposées par la loi canadienne qui protègent mieux les auteurs qu’aux Etats-Unis. Il s’agit notamment d’une série de taxes et de rémunérations qui profitent aux auteurs et qui n’existent pas au sud de la frontière, parmi lesquelles la rémunération pour copie privée, ou encore le droit moral qui est largement ignoré des Américains.
Mais vendredi, Howard Knopf a indiqué sur son blog qu’il venait d’être désinvité de la conférence organisée par le PPF. « Il semble qu’une grande pression ait été mise sur les épaules du PPF pour me retirer du programme et que le PPF a capitulé« , regrette le professeur qui enseigne à Ottawa. « Il semble que quelques intérêts ne veulent pas entendre ces arguments à cette conférence« , ajoute-t-il. « J’ai effectué beaucoup de recherche dans ce domaine, et personne n’a suggéré que quoi que ce soit dans l’étude soit inexact d’une quelconque façon. En fait, elle a été bien reçue« , rappelle Knopf qui avait présenté une première fois la même étude lors d’une conférence à New York à la fin du mois de mars.
Beaucoup de représentants politiques canadiens assisteront à la conférence du Forum des Politiques Publiques à Ottawa ce lundi. Ils n’entendront qu’une seule et même vision des problématiques, qui les encouragera sans doute à voter l’équivalent de la loi DADVSI et à renforcer la propriété intellectuelle dans un sens favorable aux Etats-Unis.
Sur son site, le Forum prétend qu’il « s’est fait connaître comme intermédiaire neutre et de confiance« , et qu’il « constitue un lieu d’échange où les divergences d’opinions et d’intérêts peuvent être exprimées librement et où il devient véritablement possible de se comprendre et de collaborer« . Vraiment ?
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