En tant que propriétaires des tuyaux qui véhiculent les informations sur Internet, les fournisseurs d’accès ont-ils le droit de brider certaines applications pour en favoriser d’autres ? Le débat sur la neutralité du net, qui reste timide en France, explose outre-Atlantique. Suite à une manifestation devant le Parlement, un grand parti de gauche canadien a décidé de déposer une proposition de loi en faveur du respect de la neutralité du net.

Le Nouveau Parti Démocratique (NPD), qui a réuni 17,5 % des voix et trente députés aux dernières élections fédérales canadiennes, a annoncé son intention de déposer mercredi une proposition de loi qui ferait entrer le principe de la « neutralité du net » dans le corpus législatif national. Ce principe veut que les opérateurs de télécommunications n’interviennent pas dans la régulation des communications qu’ils ont à transporter d’un point à l’autre d’internet.

Mardi, environ 300 personnes se sont réunies sur la colline du Parlement à Ottawa pour manifester en faveur de la neutralité du réseau, au moment où les fournisseurs d’accès brident ou filtrent de plus en plus les communications. Bell Canada et Rogers Communications, les deux principaux opérateurs télécoms du pays, ainsi que de plus petits acteurs comme Videotron et Cogeco, ont ainsi commencé depuis plusieurs mois à limiter la largeur des tuyaux pour les applications de Peer-to-Peer, très consommatrices en bande passante.

« De quel droit les opérateurs se permettent-ils de juger de ce qui est bon et mauvais sur le réseau ?« , demandaient en substance les manifestants.

Bell et Rogers justifient leur décision par la nécessité de garantir la fluidité des communications pour l’ensemble de leurs abonnés, soit-disant impactés par les utilisateurs qui consomment le plus de bande passante. Pourtant, dans un document officiel, Bell Canada a indiqué que dans le pire des cas, les 5 % d’utilisateurs qui consomment le plus de bande passante à cause du P2P utilisent en fait seulement un tiers de l’ensemble de la bande passante disponible, ce qui est très loin des chiffres habituellement avancés à la presse. Certains observateurs s’étonnent et se demandent s’il y a vraiment un problème de gestion de la bande passante chez les opérateurs.

En fait, la vraie raison de la limitation de la bande passante chez les opérateurs réside moins dans une volonté de gérer la bande passante que dans une volonté de limiter la concurrence du P2P pour favoriser le développement de leurs propres services payants, notamment de vidéo à la demande. Si les abonnés de Bell ont du mal à télécharger un film sur BitTorrent, ils se rendront plus facilement sur le service de VOD de l’opérateur.

Charlie Angus, député du NDP, a indiqué à la foule mardi que son parti présenterait aujourd’hui une proposition de loi qui interdirait aux opérateurs de brider les communications de leurs abonnés. « Vous êtes des citoyens d’un domaine numérique et vous avez des droits« , a proclamé le parlementaire qui a critiqué le silence du parti Libéral sur le sujet. Mauril Bélanger, député Libéral, a répliqué que le régulateur canadien avait déjà les pouvoirs pour faire respecter la neutralité du réseau, et qu’il ne signerait pas aveuglément n’importe quelle proposition de loi dans ce sens.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), justement, a déjà commencé à examiner la question. Ce mois-ci, le régulateur a rejeté une demande des petits fournisseurs d’accès à Internet, qui reprochaient à Bell de brider l’accès qu’ils sous-louent à leurs clients. Mais il a tout de même ouvert une enquête et devrait se prononcer dans les prochains mois, peut-être pour imposer aux opérateurs historiques le respect du principe de la neutralité du net.

Aux Etats-Unis, le premier câblo-opérateur du pays, Comcast, pratique lui aussi le bridage de BitTorrent. La Commission Fédérale des Communications (FCC) a tapé du poing sur la table, mais le FAI a choisi d’aller à la confrontation en restant sur ses positions. Un député démocrate, Ed Markey, a déposé une proposition de loi à la Chambre des Représentants en février dernier.

En France, le débat n’a pas encore pris d’envergure, mais ça n’est probablement qu’une question de mois. Plusieurs fournisseurs d’accès à Internet français sont suspectés de brider eMule et BitTorrent. Un document de synthèse (.pdf) publié par Vuze (anciennement Azureus) suite à la sortie de son plugin de détection des bridages montre que sur les réseaux Orange, Free et Neuf Cegetel, environ 7 % des paquets transmis par BitTorrent sont « sabotés » (transformés en paquets Reset). C’est mieux que les 23 % de Comcast, qui a avoué saboté BitTorrent sur son réseau, mais tout de même anormalement élevé.

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