Si vous aussi vous galérez à vous y retrouver dans vos séries en cours, bienvenue au club ! Depuis l’ère de la « Peak TV », qui a débuté il y a environ 10 ans, le nombre de productions ne cesse d’augmenter. À titre indicatif, en 2013, lorsque House of Cards a commencé, 200 séries américaines avaient été diffusées sur le petit écran. En 2021, on passait déjà à 559 productions sérielles. Autant dire que, depuis, notre planning ne cesse de s’allonger, nous poussant à binge-watcher toujours plus goulûment nos séries préférées pour tenter de rattraper notre retard. Il y a trop de séries, trop d’avis, trop de tout.
Mais notre amour et notre consommation de séries ont-ils vraiment changé depuis cette explosion de saveurs télévisuelles ? Nous avons demandé à des sériephiles comment ils gèrent cette passion et son évolution de plus en plus chronophage.
La bonne époque du magnétoscope
Souvenez-vous : il y a plus de 15 ans, Netflix et les plateformes de SVOD n’étaient pas encore parvenues à nos contrées. La télévision linéaire était donc le seul moyen d’assouvir notre soif de séries, comme c’était le cas pour Tom, du podcast Serial Causeurs : « Il fallait se caler devant la télé à une heure précise ou utiliser le magnétoscope, mon meilleur ami d’enfance. Le problème, c’est qu’on n’était pas au courant du fonctionnement par saison. On ne savait pas si la série était finie ou si elle avait 13, 22 ou 50 épisodes ! C’était la loterie et la surprise. Mon rendez-vous préféré, c’était la rentrée, avec le retour de X-Files. J’étais ultra fan, donc je suivais son actualité grâce à des forums.»
Ce merveilleux outil Internet a donc permis une avancée dingue : pouvoir se renseigner sur chaque sortie prévue aux États-Unis (et télécharger de façon très illégale). Finis les magazines télé gribouillés et les calepins soigneusement remplis, désormais tout se passe en ligne.
Dès 2008, Rhomin Guilhem se fascine ainsi pour la période dite des « Upfronts », qui déterminait chaque année les annulations et renouvellements de chaque chaîne. « Je connaissais par cœur les grilles des chaînes US classiques comme NBC, ABC, The CW, Fox et CBS », raconte le vingtenaire. « Je pouvais citer les créneaux de diffusion, les audiences et le pitch de chaque série. Cette période, qui avait lieu à chaque printemps et était très codifiée, était vécue comme un événement : il y avait toujours le stress de savoir si une série allait survivre ou non. »
« On se retrouve vite noyé par des heures de contenus »
Si cet âge semble bien loin des stratégies de Netflix, la période a pourtant construit la sériephilie de nombreux amateurs. Les épisodes de séries téléchargés au format .avi se passaient alors sous le manteau et les soirées dédiées au visionnage, au rythme des épisodes hebdomadaires de The Walking Dead, Homeland ou Breaking Bad, étaient la norme.
Et puis, les plateformes ont bouleversé ce programme télé bien établi, obligeant les sériephiles à modifier leur organisation. « Avant, je programmais mes soirées avec deux séries, un épisode pour chaque », se souvient Rhomin Guilhem, qui partage sa passion sur YouTube. « Maintenant, je regarde plutôt en fonction de mes humeurs et de mon temps disponible. Par exemple, s’il est tard, je vais davantage me tourner vers une comédie. Mais on se retrouve vite noyé par les heures et les heures de contenu à disposition sur toutes les plateformes. »
Une obsession de l’instantané
Sullivan Le Corvic, de son côté, voit une « évolution flagrante » dans son visionnage : « Lors de l’arrivée des plateformes, qui m’ont permis d’enrichir ma culture sérielle, j’ai dû organiser ma semaine pour en voir le maximum. J’avais cette envie de les voir presque dans l’instant, mais cette obsession a obligatoirement disparu, au vu du nombre sans cesse grandissant de contenus. »
Désormais, le créateur de la série Random s’estime « perdu dans toutes les propositions. Cela en devient presque étourdissant. J’ai envie de continuer à apprécier tout ce qui peut être proposé, mais c’est humainement impossible. Dire qu’il y a un moment de ma vie où j’essayais de regarder un maximum de pilotes de séries, la belle époque… »
Mais son amour télévisuel, lui, est resté intact : « Cet univers qui vous happe dès les premières notes du générique, cette intrigue qui vous scotche à votre canapé pendant cinq ans… C’est une émotion très forte et c’est là, la force des séries, qui unit la création et le téléspectateur de façon unique. »
La « théorie de l’épisode 6 »
Alors, dans cette multiplication exponentielle, comment choisir sa prochaine série à voir, dans notre longue watchlist ? Si le bouche à oreille et les réseaux sociaux permettent évidemment de faire un premier tri, chaque sériephile a ses petites astuces.
Tom a ainsi une théorie toute simple : « Aller jusqu’à l’épisode 6. Souvent, c’est le meilleur de la courte vie d’une série. Évidemment, si je ne vois aucun intérêt aux deux premiers épisodes, je laisse tomber. Aujourd’hui, la qualité ne me suffit plus, il me faut autre chose : une expérience, de la surprise, une histoire qui tient la route sur la longueur, bref, une série qui prend des risques. Le problème, c’est que l’on perd progressivement les programmes fédérateurs comme Game of Thrones dernièrement, puisque tout le monde regarde à son rythme. »
Les applis, sauveuses de l’humanité
Pour Mathilde, il est plus simple de « privilégier les plateformes qui suivent notre progression directement. J’ai trop la flemme des sites pirates avec une image de mauvaise qualité. Avant, j’étais dans une course pour tout voir, parce que cela semblait possible. Mais on n’aura jamais assez de toute une vie pour voir des pépites, alors qu’on se perd parfois dans un dédale de séries bas de gamme… Je suis un peu prise en otage de certaines productions comme Grey’s Anatomy : après 18 saisons, je ne peux pas m’arrêter en si bon chemin, même si ça m’énerve souvent de perdre mon temps avec elle ! (rires) ».
Cette quadra s’appuie également beaucoup sur un outil qui a changé la vie des sériephiles : les applications de suivi. TV Time, Betaseries, TV Calendar… Autant de petites merveilles qui permettent de (sur)vivre face aux sorties croissantes tout en supprimant une charge mentale non négligeable.
La Peak TV est morte, vive la Peak TV !
Heureusement, ce manque de temps et cette course effrénée pour rattraper nos épisodes en retard devrait bientôt toucher à leur fin, comme l’a noté Bloomberg. Les chaînes annulent désormais des projets pré-financés avant même leur diffusion, comme Demimonde, une série de science-fiction portée par J.J. Abrams (Lost, Star Wars VIII et IX). Avec autant d’annulations en si peu de temps et la perte de vitesse de Netflix, la « Peak TV » devrait donc enfin faire ses adieux.
Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Il est vrai que cette période faste a eu au moins l’avantage de démocratiser une pratique jusque-là marginalisée, avec des séries de tous les pays, disponibles en un clic. Pour Sullivan Le Corvic, « il n’y a pas trop de séries, puisqu’il y a forcément un programme pour quelqu’un, dans lequel il se retrouve. Tant qu’il y aura des séries, il y aura des gens heureux ! »
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