Better Call Saul, une série Netflix ?
Netflix diffuse la série, en exclusivité en France, mais Better Call Saul, comme Breaking Bad, est une production AMC. Une clarification importante, car on pourrait croire qu’il s’agit d’un Netflix Original.
Il suffit de rechercher « Better Call Saul » sur Twitter ou YouTube pour comprendre que cette série avait quelque chose de différent. Moins populaire que la plupart des grosses productions Netflix ou Disney+, le spin-off de Breaking Bad, qui se situe à la fois avant, pendant et après la série originale, s’est achevé mardi 16 août 2022, 7 ans après son premier épisode et 14 ans après le début des trafics de Walter White, l’antihéros de la première série. Better Call Saul, qui aurait pu être une série dérivée banale, en surfant sur la dimension comique de l’avocat véreux de Breaking Bad, est devenue avec le temps une des meilleures séries dramatiques de l’histoire de la télévision moderne, si ce n’est la meilleure.
L’épisode ultime, intelligemment intitulé Saul Gone, réussit un exploit rare : faire l’unanimité. Les épisodes finaux convainquent rarement (coucou l’épisode final de Game of Thrones), mais les créateurs du « Breaking Bad Universe » ont réussi l’exploit de mettre tous leurs fans d’accord, deux fois d’affilée, sans jamais céder aux chants des sirènes du fan service. On ne risque pas d’oublier Breaking Bad et Better Call Saul de sitôt (tout en ayant une pensée pour le téléfilm El Camino, apprécié, mais pas aussi parfait), tant ces séries ont réussi à faire de la télévision un lieu de narration épique, de réalisation miraculeuse et de maîtrise totale. Pendant 14 ans.
Better Call Saul, meilleure que Breaking Bad ?
Qu’est-ce que Better Call Saul ? Si nous devions rapidement résumer le scénario de la série, nous dirions qu’il s’agit d’un leurre. Ce qui nous a été vendu comme une série dérivée sur l’avocat de Breaking Bad, souvent présenté comme la caution humoristique au milieu des trafics de drogue, des drames familiaux et des assassinats, était en réalité beaucoup plus. Better Call Saul nous a permis de rencontrer le véritable Jimmy McGill, celui que l’on va voir devenir Saul Goodman au fur et à mesure de la série (nous connaissions son vrai nom dans Breaking Bad, mais nous ne l’avions jamais vu sortir de son rôle). La série nous a aussi permis de faire des allers-retours dans le futur, pour nous montrer régulièrement les conséquences des futurs actes de Saul, que les téléspectateurs de Breaking Bad connaissent déjà. Le tout dans une narration toujours parfaite, mêlant une multitude d’émotions.
Avec le temps, Better Call Saul a révélé sa véritable nature, qui est en réalité celle d’une série polymorphe, faisant coexister plusieurs histoires en une. Better Call Saul est parfois une série comique, parfois une série judiciaire, mais surtout une série sur l’amour, sur la destinée et sur les émotions humaines. Elle est aussi la suite directe de Breaking Bad, avec le retour de la quasi-totalité des personnages marquants de la série. On s’est longtemps demandé comment Better Call Saul allait faire revenir les cartels de Breaking Bad, alors que la série devait parler d’un avocat. Elle a finalement réussi à raconter leur histoire avec plus de profondeur que la série originale, tout en la mélangeant à l’histoire de Jimmy/Saul quand le moment était venu. Brillant.
Comme Breaking Bad, Better Call Saul repose sur un duo. Après Walter et Jesse, le maître et l’élève (avec un gentil qui n’est pas celui que l’on croit au premier abord), place à Jimmy et Kim, deux âmes sœurs que l’on sait condamnées à un destin tragique dès le premier épisode. L’absence de Kim dans Breaking Bad a longtemps fait imaginer le pire aux téléspectateurs de la série (on imaginait tous un scénario inquiétant, comme sa mort). L’intelligence de la série reposait finalement dans une issue plus banale, celle d’une séparation brusque, brisant les cœurs des deux personnages. Kim était l’équilibre entre Jimmy et Saul, son départ l’a fait basculer du côté obscur. Dans l’épisode final, elle est finalement celle qui le fait retourner du bon côté. Mais, il est déjà trop tard pour sauver Jimmy McGill.
Jimmy ou Saul ?
Attention spoiler, dans le dernier épisode, Gene Takavic (le nom utilisé par Jimmy depuis la fin de Breaking Bad), est arrêté (ironiquement, c’est une personne âgée qui le dénonce, alors que Jimmy/Saul en avait fait son gagne-pain avant de devenir un « ami du cartel »). Ce personnage à la vie ennuyante, que n’est jamais vraiment devenu Jimmy/Saul, disparaît alors instantanément. Reste alors à répondre à une question : entre ses deux personnalités restantes, laquelle va être choisie par le personnage de Bob Odenkirk, qui incarne brillamment l’avocat depuis 13 ans (il est apparu dans la saison 2 de Breaking Bad) ?
Tout au long de l’épisode, comme dans les trois précédents, on nous laisse penser que Saul Goodman a complètement écrasé Jimmy McGill. Toujours aussi habile, Saul arrive à obtenir un accord exceptionnel avec le procureur, alors qu’il devait prendre perpétuité pour sa complicité et sa participation au business de Walter White. Trois flash-backs d’une impressionnante justesse sont proposés, afin de nous permettre de dire adieu à des personnages emblématiques de l’univers, mais aussi de comprendre ce qu’il se passe dans la tête de Saul Goodman. L’un est avec Mike, l’autre avec Walter, le troisième avec Chuck, son frère décédé dans la série. À chaque fois, on y apprend que ces personnages éprouvent plusieurs regrets. Saul, lui, semble n’en avoir aucun. Il hésite à parler, mais ne pense qu’à l’argent et au succès, se faisant recadrer par les autres pour son manque d’humanité. Le message parait clair : Saul a détruit Jimmy.
Comme souvent avec Better Call Saul, il ne faut pas se laisser avoir parce que l’on nous raconte. Le vrai message de ces flash-back est tout autre : Jimmy se cache derrière son personnage depuis trop longtemps. L’évocation par le procureur de Kim Wexler, son ex, le fait rebasculer du bon côté. Le temps des regrets est venu, Saul Goodman va faire le show pour la dernière fois, en livrant la vérité aux juges sur sa complicité, dans son fidèle costume coloré. C’est en étant condamné à prison pendant 86 ans (jusqu’à sa mort, donc) que Saul Goodman est ironiquement libéré. Il redevient Jimmy McGill. Malheureusement pour lui, les autres détenus qu’il rencontrera dans le bus pénitentiaire le voient toujours comme Saul Goodman, leur idole. Même si Jimmy est de retour, il est condamné à vivre avec son alter ego maléfique pour le restant de ses jours.
Un chef-d’œuvre télévisuel
Better Call Saul, c’est aussi l’art de la réalisation. Des jeux d’ombre, des gros plans sur des fourmis, l’image finale d’un épisode diffusé avant le générique, une partie de la série intégralement en noir et blanc, une intrigue importante éliminée en un épisode (Howard, Lalo, Nachos)… Vince Gilligan et Peter Gould, les deux génies derrière les deux séries, sont les rois du petit écran. Better Call Saul, comme Breaking Bad et El Camino, sont des créations originales, comme on en trouve rarement à la télévision.
Dans la scène finale de la série, Kim rend visite à Jimmy, après avoir tant détesté Saul (et détruit sa propre vie pour se protéger d’elle-même). Les deux fument une cigarette, appuyés contre un mur, comme lors de leur première apparition commune dans le premier épisode de Better Call Saul. Ils se disent adieu avec un long regard, ici pour nous rappeler la vraie nature de la série : une histoire d’amour tragique, menant à l’effondrement du dernier personnage majeur de l’univers Breaking Bad. Walter White est mort, Jesse Pinkman est libre, Saul Goodman est celui qui va payer. Mais, c’est son ultime volonté.
Le verdict
Better Call Saul
Voir la ficheOn a aimé
- Incroyable réalisation
- Incroyable narration
- Incroyable développement des personnages
- Incroyable spin-off de Breaking Bad (souvent aussi bon, parfois meilleur)
- Incroyable
On a moins aimé
- Comme Breaking Bad, les premières saisons sont moins intéressantes
Better Call Saul n’est ni le prequel de Breaking Bad, ni sa suite. C’est une série infiniment plus riche, racontant l’histoire de Jimmy McGill, que l’on sait tous condamné à devenir Saul Goodman. Elle nous offre aussi la capacité de voyager dans le temps, à la rencontre de Gene Takavic, son identité provisoire post-Breaking Bad. En 7 ans, Better Call Saul a réussi l’exploit de raconter la vie de son personnage principal comme peu de séries y sont parvenues, tout en s’offrant le luxe de mieux raconter Breaking Bad que Breaking Bad elle-même. Les personnages secondaires, de Kim Wexler à Lalo Salamanca, en passant par les chouchous des fans Mike Ehrmantraut et Gus Fring, ont tous bénéficié d’un traitement incroyable. Qui aurait imaginé que le spin-off ferait aussi bien que l’original, voire le détrônerait ? Better Call Saul est un chef-d’œuvre télévisuel, aussi bien pour sa réalisation fantastique, son scénario écrit de main de maître que son incroyable sens du détail. L’univers Breaking Bad manquera à la télévision, mais quelle chance a-t-on eue de le découvrir sous cette forme, sans jamais le moindre accrochage.
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