Imaginez un grand chef-d’œuvre de la science-fiction. Maintenant, visualisez un nanar oubliable sans queue ni tête. Mélangez ces deux sensations. Voilà, vous avez en tête quelque chose qui se rapproche du film Everything Everywhere All At Once, en salles ce mercredi 31 août 2022. Porté par Michelle Yeoh, le film a conquis la critique américaine en début d’année, avant d’arriver en France en cette rentrée.
On peut raisonnablement comprendre ce qui séduit dans le film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert. L’œuvre intègre le multivers façon Marvel, les arts martiaux et les concepts métaphysiques de Matrix, avec une dimension sociale évoquant la charge mentale au sein d’une famille. Et clairement : oui, il y a du génie dans Everything Everywhere All At Once. Mais c’est également du grand n’importe quoi.
Chapitre 1 : c’est brillant
L’immense bazar commence dans le calme. Notre héroïne, incarnée par Michelle Yeoh, est Evelyn Wang. Cette mère de famille sino-américaine est à la tête d’une laverie, mariée à Waymond avec qui elle a émigré avant d’avoir une fille, Joy, tout en vivant aux côtés de son père malade. Mais en l’espace d’une même journée, elle apprend à la fois que son mari veut divorcer et que les impôts lui mettent sur le dos des taxes impayées.
La catastrophe. Ce qui est encore plus problématique, cependant, c’est quand votre mari se transforme soudain en un ninja et qu’il vous annonce venir d’un monde parallèle en possédant le corps du mari de ce monde-ci ; tout cela avant de redevenir quelques secondes plus tard le mari que vous connaissez. Cette séquence, dans l’ascenseur, n’est que le début d’une suite d’événements de plus en plus bizarres. Car Evelyn est au cœur d’une histoire rocambolesque : dans le multivers, il existe une infinité d’univers parallèles, et tout cela étant menacé, il se trouve qu’elle est la clé pour résoudre ce marasme.
C’est sur l’approche du multivers qu’Everything Everywhere All At Once relève du grand art. Conceptuellement, en tout cas, les idées sont tout bonnement géniales. Vous pouvez convoquer les capacités et connaissances d’une autre version de vous-même, mais, pour ce faire, il faut que vous provoquiez l’improbable. Vous devez faire ou dire quelque chose dont le taux de probabilité est extrêmement faible — par exemple vous couper quatre fois de suite avec du papier entre chaque doigt ou déclarer « je t’aime » à votre contrôleuse des impôts.
Evelyn, directrice d’une laverie, se retrouve alors à maîtriser les arts martiaux, bondissant dans les escaliers et mettant la raclée à son adversaire façon Matrix. Elle voyage, aussi, d’un monde parallèle à l’autre, découvrant des trajectoires alternatives qu’elle aurait pu prendre puisque chaque choix crée un nouvel univers.
Voilà probablement l’un des meilleurs traitements produits au cinéma concernant le concept de multivers. C’est du high concept.
Chapitre 2 : c’est débile
Everything Everywhere All At Once est un film loufoque et c’est plutôt une qualité. On adore le dialogue sous-titré entre deux personnages devenus des pierres dans un monde parallèle. On adore le bagel se transformant en trou noir. Gags, traits d’humour et situations délirantes s’enchaînent. Parfois, c’est nettement hilarant. Mais à force, c’en devient épuisant de débilité. On en perd la magie de l’écriture science-fictionnelle qui vous retourne le cerveau. Le sens de l’œuvre est noyé dans sa lourdeur.
Finalement, on en finit par se demander si l’on n’assiste pas tout bonnement à une immense farce décérébrée. En somme, Everything Everywhere All At Once aurait pu être un chef-d’œuvre si l’un des univers parallèles ne présentait pas tout bonnement des humains dont les doigts sont des saucisses de Francfort. Qui peuvent être mangées. Non non, ce n’est pas une image : cette scène est vraiment présente dans le long-métrage.
Il y a trop de choses, partout, tout le temps. Le film porte terriblement bien son titre. Cet excès, peu ragoutant in fine, confine au débile.
On imagine fort bien que tout cela est volontaire. La puissance allégorique du film, quant à la charge mentale débordante et au sentiment de noyades dans un marasme de possibilités, est clairement palpable. On est presque dans une interprétation totale et absolue du show don’t tell sous forme de fable existentielle. Et en bien des aspects, cette approche est réussie.
Mais l’on ne peut pas s’empêcher d’être déçus. Des idées brillantes sont à ce point survolées qu’il en résulte un gâchis. D’autant que Michelle Yeoh est aussi phénoménale que d’habitude et que la réalisation est maitrisée.
Everything Everywhere All At Once est-il un chef-d’œuvre raté ?
Alors, oui, on sait : Everything Everywhere All At Once est une expérience cinématographique qui défie les genres, qui ose, qui bouscule, qui propose autre chose. C’est pour cela qu’il a séduit, à juste titre, la plupart des critiques : c’est un film complètement atypique. Le cinéma est aussi un lieu où proposer des œuvres qui sortent du cadre — ou qui jouent avec.
Le problème, c’est qu’il n’y a rien de plus magnifiquement organisé que le chaos. C’est tout un pan de l’art de la narration, qu’elle soit visuelle ou scénaristique, finalement. Mais le chaos de ce long-métrage n’est, quant à lui, pas vraiment mis en scène. Il ne raconte pas grand-chose de cohérent dans son ensemble et nous fait décrocher d’indigestion à plusieurs reprises.
Ni raté, ni réussi, Everything Everywhere All At Once est finalement conçu comme une forme de symptôme synthétique d’une époque qui se perçoit comme étant sans queue ni tête, dans un méli-mêlo où des mèmes prennent vie aux côtés des pires angoisses métaphysiques.
Everything Everywhere All At Once est en salles à partir de ce mercredi 31 août 2022
Le verdict
Everything Everywhere All At Once
Voir la ficheOn a aimé
- Des concepts géniaux sur le multivers
- Michelle Yeoh captivante
On a moins aimé
- C’est lourd, trop de saucisses de Francfort tue la saucisse de Francfort
- Des idées beaucoup trop survolées
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