Les effets spéciaux (FX) sont devenus un pan incontournable de l’industrie du cinéma. De la simple incrustation sur fond vert aux films de super-héros nécessitant des mois de travail, les films n’étant pas passés dans les mains d’une équipe d’effets spéciaux sont aujourd’hui rares. Pourtant, les spectateurs critiquent parfois la qualité des effets spéciaux de certains projets, jugés « moches » ou « pas finis ». She Hulk par exemple, la nouvelle série Marvel sur Disney +, essuie des critiques sur la qualité de ses effets spéciaux depuis que la première bande-annonce est sortie.
Les coupables de cette baisse de qualité semblent être tout désignés : les employés en effets spéciaux. Néanmoins, ceux-ci dénoncent les conditions de travail que leur imposent les grands studios, par exemple Marvel, mais pas uniquement. Les employés estiment que ces studios ne leur permettent pas de fournir un travail de qualité.
Ben Speight est membre de l’International Alliance of Theatrical Stage Employees (IATSE), un syndicat des métiers du cinéma qui milite aujourd’hui pour syndiquer les boîtes d’effets spéciaux. Il affirme recevoir des messages d’employés d’effets spéciaux proches du burn-out « absolument tous les jours ». Pour lui, ces abus sont inhérents au « système actuel, dans lequel des titans internationaux utilisent des employés contractuels en compétition constante pour effectuer du travail essentiel au plus bas prix ».
Thomas (le nom a été changé à la demande de la personne) en est témoin. En vingt ans de carrière, il a traversé toutes les plus grandes maisons de production, de Marvel Studios à Warner Bros. en passant par Paramount, à la fois en post-production et sur les plateaux. Il a pu constater à de nombreuses reprises comment les employés d’effets spéciaux sont souvent les moins considérés et les plus surmenés. Il est aujourd’hui data wrangler : il recueille les références des couleurs, de la luminosité et des ombres sur le plateau afin que les ajouts des artistes en post-production paraissent les plus naturels possibles.
Sur la plupart des tournages qu’il effectue, l’équipe des effets spéciaux est la moins bien pourvue en personnel. Il raconte ainsi s’être « retrouvé sur un plateau pour un film qui avait besoin de beaucoup d’effets spéciaux. C’était juste moi et deux assistants. Je dois courir de caméra en caméra. Et, le réalisateur, qui est d’ailleurs un très bon réalisateur de films d’action, est très dur avec nous et nous presse. (…) Je dois faire plusieurs tests pour avoir les bonnes références pour chaque scène, pour chaque angle, pour chaque objectif. À chaque fois, on a le droit à des reproches du genre ‘Oh non, on a besoin de continuer à filmer ! L’équipe des effets spéciaux, vous nous ralentissez !’ Ne faites pas d’effets spéciaux dans ce cas-là ! »
Des conditions de travail ne permettant pas de faire un travail décent
Le travail de Thomas est pourtant précieux pour les artistes qui travaillent en post-production. Comme il l’explique, « du côté de la post-production, les employés doivent faire avec ce qu’ils ont eu ou pas. S’ils manquent d’information sur la manière dont l’éclairage influence l’apparence d’un objet qui bouge dans l’espace, l’objet ne paraît pas naturel. Si l’on ne nous donne pas le temps de prendre nos mesures, ils peuvent juste deviner. Et, c’est pour cela que les effets paraissent faux quelquefois. »
Plus encore qu’un environnement de travail stressant, Thomas se heurte souvent à des producteurs et des réalisateurs qui n’ont qu’une compréhension très limitée des effets spéciaux et leurs limites. Cette méconnaissance a fréquemment une influence néfaste sur la qualité du rendu.
« C’est particulièrement vrai pour Marvel en ce moment, affirme-t-il. À cause de son expansion très rapide, Marvel a promu des producteurs et des responsables inexpérimentés qui ne comprennent pas comment on fonctionne. Ils font des changements de dernière minute sans se rendre compte que ce sont de gros changements ! Ils nous demandent des choses qui nécessiteraient que l’on refasse complètement une scène, peu de temps avant la sortie. »
Un des problèmes le plus souvent dénoncé est d’ailleurs le volume de travail exigé des employés. De plus en plus, les maisons de production annoncent la date de sortie de leurs projets les plus importants avant même que le tournage commence. Les délais et reshoots étant très courants pour les plus gros tournages, c’est souvent aux employés de post-production (l’étape qui ne peut pas être prolongée, contrairement à la pré-production ou le tournage) de rattraper le retard.
Pour Thomas, il est clair que « les maisons de production obéissent d’abord aux investisseurs. Elles n’en ont rien à faire que les employés doivent travailler toute la nuit, ou qu’elles leur donnent de la matière, qu’ils auraient dû avoir six mois avant la date de sortie, seulement un mois avant la sortie. Elles veulent juste que ce soit fait. » Fréquemment, au détriment de l’apparence finale du projet.
Les échéances sont trop courtes pour produire un rendu de qualité
Ben Speight souligne que de cette pression et ces longues heures passées sur un projet ne se traduisent pas forcément par un salaire élevé. Beaucoup d’employés sont payés « à peine au-dessus du salaire minimum. Pour avoir travaillé 70 jours sans pause, du matin au soir. » La compensation est jugée insuffisante par beaucoup. Mais, les studios la justifient par le « prestige d’avoir travaillé sur tel ou tel blockbuster ». Comme Ben le remarque d’un ton railleur, « les gens ne peuvent pas encore manger du prestige ».
Ces bas salaires et ces conditions de travail sont plus systématiques dans le domaine des effets spéciaux qu’ailleurs dans l’industrie du cinéma hollywoodienne. Une anomalie qui s’explique en fait par la place spéciale des effets spéciaux à Hollywood : il s’agit du seul corps de métier de l’industrie qui n’a pas encore de syndicat bien défini.
L’industrie du cinéma est fortement syndicalisée. Des acteurs avec la renommée Screen Actors Guild (chaque année, ce syndicat attribue des récompenses) aux machinistes, tous sur un plateau ont leur carte d’adhésion au syndicat de leur branche de métier. Pour les maisons de production principales, telles que Disney ou Warner Bros., l’adhérence à un syndicat est même une condition sine qua none pour travailler. Ces syndicats ont un poids très important à la table des négociations et ont réussi à imposer des conditions de travail, de salaires et des avantages particulièrement favorables aux employés.
Le secteur des effets spéciaux, plus jeune et plus mondialisé que le reste du cinéma hollywoodien, ne s’est jamais doté d’un syndicat, et se trouve donc privé de beaucoup de ces pratiques courantes à Hollywood.
La vaste majorité des syndicats imposent, par exemple, aux studios de payer leurs membres à l’heure, ce qui implique que les employés sont payés si les journées de tournage se prolongent jusque tard dans la nuit. Les employés des effets spéciaux ne bénéficient pas de cette garantie et doivent négocier leur tarif eux-mêmes avec les producteurs. Ils peuvent donc se retrouver payés à la journée ou à la semaine, peu importe les horaires vraiment effectués.
Une industrie qui cherche encore à être respectée par les studios
Thomas se souvient d’un tournage sur lequel il a accepté d’être payé à la journée, et non pas à l’heure comme il le préfère. À la fin du tournage, il avait accumulé l’équivalent de deux semaines de plus en heures supplémentaires. Quand il a demandé auprès de la comptabilité s’il serait possible de prendre en compte ses heures, il s’est vu répondre que « le mieux qu’ils puissent faire est deux jours de plus. Et, même ça, il était évident que pour eux, c’était un problème. Après, leurs supérieurs allaient leur demander pourquoi l’employé des effets spéciaux a été payé plus que prévu. »
Pour Ben Speight, la prochaine étape est que les employés franchissent enfin le pas et forment un syndicat, pour pouvoir négocier avec les studios d’égaux-à-égaux. Il est néanmoins réaliste et souligne que « ces entreprises sont toutes incitées à être en compétition constante. Les projets sont attribués par les studios aux boîtes qui promettent de faire le plus vite au plus bas prix. (…) Il faut juste que les employés réalisent que ce qu’ils veulent ne sont pas des demandes radicales. Ils veulent juste ce que tout le monde dans cette industrie a déjà. »
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