Quand on pense à Buronson, de son vrai nom Yoshiyuki Okamura, ce n’est pas à Sanctuary que l’on songe en priorité. Le mangaka s’est surtout fait un nom avec une autre œuvre, qui a marqué toute une génération dans les années 80 : Hokuto no Ken ou Ken le Survivant en français. À l’époque, il s’était associé à Tetsuo Hara, qui s’occupait du dessin, lui se chargeant du scénario.
Sans doute moins spectaculaire dans sa mise en scène que Ken le Survivant — ici, pas de poing ultime capable de tuer un adversaire plus tard (et la fameuse réplique : « Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort ») –, Sanctuary frappe les esprits par les manigances, les complots et les intrigues — et parfois, les morts de sang-froid — dans lesquels baignent les protagonistes.
Le verdict
Glénat Sanctuary
Voir la ficheOn a aimé
- Un style qui sent bon les années 80
- Une plongée dans le monde yakuza
- Une manière de raconter le Japon avant la crise
On a moins aimé
- Des destinées invraisemblables à la fin
- Deux héros un poil trop interchangeables
- Le style peut rebuter, aujourd’hui
Destins parallèles, dans l’ombre et la lumière
Ici, Buronson — qui se fait appeler Sho Fumimura pour le manga — propose un récit autour de deux destins qui évoluent en parallèle et, pourtant, sont en contact. Sous le trait de Ryōichi Ikegami, l’œuvre en six tomes relate la trajectoire d’un homme politique en pleine ascension, Chiaki Asami, et d’un parrain de la pègre qui cherche à dominer tout l’archipel, Akira Hojo. Or, les deux sont des amis d’enfance, qui ont échappé à la guerre.
On pourra sans doute regretter la trop grande proximité entre les caractères des deux héros — on se dit parfois qu’ils sont interchangeables, même s’ils agissent à deux endroits différents : l’un en pleine lumière médiatique et sur les estrades électorales, l’autre dans la pénombre des ruelles sordides. Mais, ils permettent de croiser une galerie de personnages secondaires, passionnants et fascinants.
Sanctuary n’est pas une nouvelle œuvre dans le paysage de l’édition française. La série a d’abord été proposée en 2004 chez Kabuto, avec une première traduction (et douze tomes). 18 ans plus tard, la voilà qui ressort chez Glénat, avec une adaptation actualisée en français. Ce n’est pas le seul changement : le format est largement épaissi et agrandi. Quelques pages en couleurs sont proposées. Glénat affuble enfin cette collection du sobriquet « Perfect Edition ».
Marquant, Sanctuary l’est pour ses dessins. Le style tranche avec nombre de mangas qui vont souvent à l’essentiel, avec une économie, voire une absence de trames. Ici, les proportions sont réalistes et les nuances de gris sont partout. Tout cela donne aux causes une profondeur et une chaleur remarquables — typique du genre gekiga, qui vise une ambiance dramatique.
Ce n’est guère étonnant compte tenu de l’époque à laquelle l’œuvre a été publiée — entre 1990 et 1995 au Japon — et du public auquel elle s’adresse : les adultes. Ici, le héros n’est pas un adolescent bénéficiant ou recevant des pouvoirs cachés. On suit des adultes aux ambitions dévorantes, qui mobilisent sexe, violence, trahison, drogue, chantage et meurtre pour arriver à leurs fins.
C’est une façon de dépeindre la brutalité intrinsèque de la politique et des lieux interlopes. Le réalisme du trait accentue cette crudité, et s’accorde parfaitement avec le thème du manga. Cela, même si le récit se perd peut-être, dans les derniers tomes, dans des développements excessifs pour Chiaki Asami et Akira Hojo — leur ascension, en tout cas, leur permet d’aller très loin.
Ce manga est aussi un témoin d’une certaine époque bien réelle du Japon. Publiés au début de la décennie 1990, il accompagne fatalement l’arrêt de ce qui était décrit comme le miracle économique japonais, avec l’éclatement de la bulle immobilière et financière. Les motivations de Chiaki Asami et Akira Hojo visent aussi à restaurer l’honneur, la place et le statut du Japon parmi les grandes puissances de ce monde. Cela se perçoit tout au long des pages.
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