Souvenez-vous. Nous sommes en 2014, Apple Music n’existe pas encore, mais il y a iTunes, l’incontournable logiciel de lecture multimédia de la firme à la pomme. Ce 9 septembre, après 1h45 de conférence, Tim Cook prévient qu’il « souhaite encore parler d’une chose : l’amour d’Apple pour la musique ». Quelques secondes plus tard, le chanteur Bono débarque sur scène, accompagné des autres membres du groupe U2.
Ils chantent un extrait de leur nouvel album, Songs of Innocence, puis enchaînent sur l’annonce qui restera dans l’histoire comme l’une des plus grosses erreurs d’appréciation d’Apple : le nouvel album de U2 sera offert gratuitement à tous les abonnés iTunes, soit un demi-milliard d’utilisateurs. Bono jubile, Cook est légèrement en retrait : « On me dit souvent que je suis un excellent négociateur », l’entend-on lâcher avec une pointe d’ironie dans la voix, comme s’il pressentait déjà la fausse bonne idée. Il faut dire que U2 aurait réussi à obtenir 100 millions de dollars d’Apple pour ce partenariat inédit.
À peine quelques heures plus tard, les internautes déchantent : l’album Songs of Innocence ne leur est pas seulement offert, il leur est imposé dans leur bibliothèque de médias. Au point où Apple devra présenter des excuses une semaine plus tard, ainsi qu’ajouter un bouton pour supprimer ledit album de leur bibliothèque.
U2, Apple et la métaphore de la bouteille de lait
Il aura fallu attendre huit ans pour connaître les coulisses de cet improbable deal. C’est dans ses mémoires que Bono les narre. Dans un extrait publié en exclusivité dans le Guardian le 22 octobre 2022, on apprend que le chanteur a eu l’idée de ce partenariat, et le regrette encore : « J’en assume l’entière responsabilité. Pas [le manager] Guy Oseary, pas [l’artiste] The Edge, pas Larry, pas Tim Cook, pas Eddy Cue. Je pensais que si nous pouvions simplement mettre notre musique à la portée des gens, ils pourraient choisir de tendre la main vers elle. Pas vraiment. »
À l’époque, le patron d’Apple n’était visiblement pas enchanté par l’idée du chanteur. « Vous voulez distribuer de la musique, gratuitement ? Mais tout ce que l’on essaie de faire à Apple, c’est de ne pas donner de la musique gratuitement. On veut que les musiciens soient payés », aurait-il répondu.
Bono aurait alors rétorqué : « Non, je ne pense pas qu’il faille les donner gratuitement. Je pense que vous devriez nous payer, et ensuite vous le distribuez gratuitement, comme une sorte de cadeau aux gens. Ça ne serait pas merveilleux ? »
L’histoire lui a évidemment donné tort. Et, le chanteur en a bien conscience, comme il l’écrit désormais : « Si l’idée était simplement de faire connaître notre musique à des gens qui aiment notre musique, c’était une bonne idée. Mais si l’idée était de faire connaître notre musique à des gens qui n’avaient pas même un intérêt lointain pour notre musique, il pourrait y avoir un certain rejet. Mais, qu’est-ce qui pouvait arriver de pire ? Ce serait comme du courrier indésirable, non ? Comme si on avait pris notre bouteille de lait et qu’on l’avait laissée devant la porte de toutes les maisons du quartier. Pas vraiment. Du tout. » assène-t-il non sans ironie.
« Le 9 septembre, nous n’avons pas juste déposé notre bouteille de lait devant la porte, mais dans tous les frigos de la ville. Dans certains cas, nous avions même versé le lait sur les cornflakes des braves gens. Alors que certaines personnes aiment bien verser leur lait tout seul. Et d’autres sont intolérants au lait. »
Bono explique bien comment il a rapidement pris conscience de l’ampleur du problème, après avoir brièvement pensé qu’il ne s’agissait que de petites boutades de la part des internautes. « Nous avons réalisé que nous étions tombés sur une discussion sérieuse sur l’accès qu’ont les GAFAM à notre vie. La petite partie en moi qui restera toujours punk considérait que c’est exactement ce que les Clash auraient fait. C’est subversif. Mais être subversif devient tout de suite plus difficile lorsque vous travaillez avec une entreprise qui deviendra bientôt la plus grosse sur terre. »
Selon le chanteur, Tim Cook n’aurait jamais blâmé Bono pour ce fiasco, admettant volontiers s’être « laissé convaincre » par « cette expérimentation ». « Ça n’a peut-être pas marché, mais nous sommes obligés d’expérimenter, car la manière dont on fait de l’argent avec la musique ne fonctionne plus pour tout le monde. »
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