Artiste suisse disparu en 2014, Hans Ruedi Giger a imaginé la créature effrayante du film Alien, le huitième passager, réalisé par Ridley Scott. Ses œuvres biomécaniques continuent d’être applaudies aujourd’hui. On en prend pour preuve le jeu vidéo Scorn, disponible depuis le 14 octobre 2022 sur PC, Xbox Series S et Xbox Series X (et dans le Xbox Game Pass). Les développeurs se sont ouvertement inspirés de sa patte, ainsi que de celle de Zdzisław Beksiński — dont les tableaux ressemblent tout autant à des cauchemars. Un tel mariage ne peut que promettre l’enfer.
Scorn est un jeu vidéo atypique sur bien des points. Sa direction artistique, conçue comme un hommage à deux hommes talentueux qui mettaient l’horreur en lumière, est répugnante. Cette barrière visuelle se dresse devant une expérience qu’on ne parvient à enfermer dans aucune case. À bien des égards, Scorn ressemble à un essai infructueux. On entraperçoit constamment une trame, mais on peine à en deviner l’aboutissement. C’est un autre chose difficile à conseiller, un OVNI qui mérite des warnings. Et, surtout, une véritable épreuve vidéoludique.
Scorn s’oublie dans ses propositions
Scorn commence comme un film d’auteur sans dialogue, ni indication. Nous voilà lâché dans des environnements tous plus écœurants et austères les uns que les autres. On a parfois l’impression de naviguer dans un intestin géant, où se côtoient des formes phalliques, des couloirs labyrinthiques, des architectures futuristes, des amas organiques, des constructions mécaniques… Scorn est la définition même de l’étrange et, sur ce point, le parallèle avec Hans Ruedi Giger et Zdzisław Beksiński est une évidence. Ils seraient probablement fiers de voir leur héritage prendre vie dans un jeu vidéo à la réalisation soignée (c’est vraiment beau), sans aucune concession sur les effets gores — à la limite du vomitif. Pour s’aventurer dans Scorn, il faut avoir l’estomac bien accroché.
À la question, « Que fait-on dans Scorn ? », on sera tenté de répondre « Bonne question, merci de l’avoir posée », tant l’emphase sur le cryptique est poussée à son paroxysme. C’est une forme de débrouille qui s’installe devant cette proposition, qui s’apparente d’abord à un walking simulator — de l’exploration — puis s’éparpille dans des séquences d’action à côté de la plaque. On pourra lui reconnaître son ambiance ultra-pesante, qui en découragera plus d’un. Mais on ne saura lui pardonner cette souffrance devant certains choix de gameplay éreintants. Ils sont liés à la volonté de faire peser la pénibilité de chaque geste, accompli par un corps à l’agonie dans un réalisme froid.
Sur la partie puzzle, Scorn déçoit. On s’attendait à des énigmes retorses entre deux balades dans des décors où se mélangent les corps. On se retrouve plutôt avec une course à l’interaction, ce qui réduit considérablement le potentiel de réflexion. Pire, on peut passer à côté d’un élément clé et tourner en rond pendant de longues minutes. Certains passages valent quand même le détour, à condition d’aimer le sang, le sadisme, la violence graphique, les viscères et la chair. Bref, l’horreur dans ce qu’elle a de plus brut.
Scorn aurait pu se contenter d’être un Myst névrosé et dérangé, accouchant d’une aventure rebutante sur la forme, mais reposante sur le fond. Hélas, il a fallu que les développeurs cèdent aux sirènes des ennemis à affronter. Quand Scorn quitte son costume de walking simulator pour devenir un jeu de tir pénible, il se couvre de ridicule.
Surtout, il dévoile les failles de son gameplay, bien trop lourd pour supporter des phases où il faut réagir vite. Changer d’arme est énervant en plus d’être long, se soigner est une torture, faire le plein de munitions est un calvaire et tirer n’a rien de grisant. C’est d’autant plus vrai que les créatures se révèlent trop agressives et résistantes en comparaison. Au moins l’arsenal biomécanique permet de rendre un peu plus hommage à Hans Ruedi Giger : l’une des armes fait écho à la deuxième mâchoire du Xénomorph d’Alien.
J’ai failli abandonner plus d’une fois en jouant à Scorn. Je l’ai finalement terminé au bout d’un peu plus de quatre heures, avec le sentiment étrange de m’être aventuré dans un endroit singulier. Je suis heureux de l’avoir terminé après être passé par tous les états, jusqu’à… me dessécher de toute forme d’émotion. Mais je n’y retournerai jamais, pas plus que je ne le conseillerais à quelqu’un.
Le verdict
On a aimé
- Esthétiquement, c’est réussi
- En plus, c’est beau
- Quelques puzzles à retenir
On a moins aimé
- Les combats, pourquoi ?
- Direction artistique qui va diviser
- C’est vraiment répugnant
Au moins pourra-t-on reconnaître à Scorn son ambition de ne ressembler à aucun autre jeu. En tant que rejeton des œuvres de Hans Ruedi Giger et Zdzisław Beksiński, il est réussi. Esthétiquement, il nous plonge dans un cauchemar où chaque geste, chaque pas ressemble à un calvaire. Dans l’exploration et le sentiment de naviguer dans l’inconnu, Scorn brille. Hélas, il est vite rattrapé par ses démons.
Au-delà de la narration inexistante, Scorn transforme son walking simulator en une épreuve pénible, en raison de mécaniques de jeu vidéo inadaptées pour ce qu’il cherche à accomplir. Le symbole de ce constat est sans conteste la partie action, qui n’a rien à faire là et, pire, agace jusqu’à nous sortir définitivement de ce voyage très immersif. Dommage.
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