Attention spoilers : l’article qui suit présente quelques éléments du film susceptibles d’en dévoiler l’intrigue.
Le 14 décembre 2022, treize ans après Avatar premier du nom, le réalisateur James Cameron (Titanic, Abyss, Terminator) a livré au public la suite des aventures de Jake Sully et Neytiri.
Avatar, la voie de l’eau débute à la fin du premier film, après que les Na’vis, le peuple autochtone de la lune Pandora, se sont libérés de l’impérialisme humain. Une dizaine d’années s’écoulent avant que ces derniers ne reviennent avec des intentions toujours plus belliqueuses. C’est le retour également de Miles Quaritch, l’impitoyable colonel laissé pour mort à la fin du premier opus, mais dont la mémoire a été transférée dans le corps d’un avatar. Sa mission : tuer Jake Sully, tant pour mater la révolte Na’vi que pour se venger. Jake et sa famille sont contraints de fuir et trouvent refuge auprès d’une tribu insulaire, les Metkayinas. Un nouveau décor s’offre aux spectateurs : montagnes volantes et jungle luxuriante laissent place à des paysages maritimes paradisiaques.
La voie de l’eau relance et approfondit l’univers des Na’vis qui est amené à se développer dans pas moins de trois suites – pour un total de cinq films. Loué pour sa technique visuelle et pour son propos écologique, Avatar 2 est néanmoins critiqué pour ses représentations patriarcales.
En cela, le film tombe à côté des problématiques sociales de son temps ; la résonance de l’œuvre de Cameron avec son époque se situe ailleurs : Avatar 2 est une œuvre qui s’articule à un concept central du XXIe siècle, l’Anthropocène.
Qu’est-ce que l’Anthropocène ?
L’Anthropocène désignerait la période géologique actuelle, celle où l’être humain est devenu une force géologique à part entière. Le conditionnel est important puisque le terme proposé par le prix Nobel de chimie Paul Joseph Crutzen et le biologiste Eugène Stoermer fait débat.
Bien qu’apparue au tournant des années 2000, la validation ou l’invalidation du terme par un groupe de scientifiques (l’Anthropocene Working Group) ne devait être prononcée qu’à la fin de l’année 2022. Leur travail depuis 2009 consiste à observer l’Anthropocène en tant qu’unité de temps géologique, mais les débats qui l’entourent dépassent la sphère des géologues.
Certains réfutent le terme lui-même : selon le Suédois Andreas Malm, maître de conférences en écologie humaine, il vaudrait mieux parler de Capitalocène pour désigner les dégâts du système capitaliste sur l’environnement ; il faudrait, pour l’anthropologue Anna Tsing et la philosophe Donna Haraway, parler de Plantationocène pour cibler plus précisément le modèle des plantations esclavagistes qui, par la mise en place de monocultures et d’une exploitation humaine, aboutit à un rapport de domination des écosystèmes et des humains qui y habitent.
La définition de l’Anthropocène est devenue un enjeu politique puisque le concept porte en lui une charge critique sur les modèles de sociétés modernes et leurs manières d’habiter le monde.
D’un point de vue écopoétique, c’est-à-dire l’étude des relations entre un texte et son contexte écologique, l’Anthropocène peut également être entendu comme un mythe contemporain.
C’est ce que considère Jean-Christophe Cavallin, chercheur en écopoétique, pour qui il s’agit surtout d’un nouveau contexte d’où émergent de nouveaux récits. Bien qu’il s’intéresse surtout aux productions littéraires, des films tels qu’Avatar et Avatar 2 sont des exemples d’œuvres émergeant de l’Anthropocène en ce qu’elles s’articulent aux symboles et récits qui le nourrissent en tant que mythe, en particulier la volonté de domination et de puissance technique de l’humain.
La supériorité humaine remise en question
Dans un entretien pour Le Journal du CNRS, l’anthropologue Perig Pitrou observe que les Na’vis vivent dans une société animiste qui s’oppose au modèle naturaliste des sociétés occidentales : ils se considèrent égaux au reste du vivant et du non-vivant sur un plan spirituel, une chose difficilement concevable pour des occidentaux pour lesquels notre espèce possède une supériorité spirituelle.
L’Anthropocène résulte d’un rapport au monde naturaliste autant qu’il l’entretient : en se considérant supérieur au sein de son écosystème, l’homme y tient une position centrale, et son impact sur son milieu le conforte dans l’affirmation de sa suprématie.
Les Na’vis, à l’inverse, entretiennent un rapport d’humilité face à la faune et la flore qui les entourent. Dans Avatar 2, cette vision du monde s’incarne dans la relation des Metkayinas et des Tulkuns, une espèce similaire à nos baleines dotée d’une intelligence et d’une culture qui dépassent celle des humains. Les membres de la tribu sont tous liés à un Tulkun par un lien fraternel. Ils vivent en harmonie avec cette espèce. Une menace pèse toutefois sur les Tulkuns : ils sont les proies des humains qui les tuent pour en extraire une substance qui interrompt le vieillissement humain. Lors d’une longue scène de chasse maritime, James Cameron montre toute l’ingéniosité humaine déployée pour tuer ces créatures ; les engins de combat triomphent sur le vivant, les intérêts humains priment et l’harmonie de cet écosystème est brisée.
Centrer le récit sur le point de vue des Na’vis permet par contraste à James Cameron de présenter l’humanité comme incapable d’un autre rapport au monde que sa domination – les scientifiques du premier épisode et leur curiosité bienveillante sont d’ailleurs quasiment absents de ce second opus. Avatar 2 affirme ainsi une position face à l’Anthropocène : il rejette le sacre de l’humain en tant qu’entité supérieure au sein d’un écosystème.
Le règne de la technique
Les Na’vis, la faune et la flore de Pandora ne cessent de rappeler aux humains leur faible condition : tout y est dangereux pour l’homme, jusqu’à l’atmosphère qu’il ne peut respirer. Dans cet environnement, sans ses machines, il n’est rien.
Dans ce nouvel opus, le débarquement humain sur Pandora montre que l’homme s’efface dans ses machines. Après l’atterrissage destructeur des vaisseaux – plusieurs hectares de forêt brûlent à cause de leurs rétrofusées –, ce ne sont pas des humains qui en sortent, mais des robots et de gigantesques bulldozers.
Rien de nouveau pour les spectateurs du premier opus qui retrouvent ces engins, mais sous un jour inquiétant : ils sortent dans les flammes et leurs lumières éblouissantes font disparaître les pilotes dans leurs robots de combat. Ce ne sont plus les humains qui envahissent Pandora, mais bien des machines.
Le concept d’Anthropocène est lié au développement technique de l’humanité. En son cœur se cache l’idée que la Terre est un système qu’il est possible de contrôler, autrement dit une machine que nos compétences en ingénierie permettraient de maîtriser.
Pour Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, ce postulat est celui formulé par les premiers « anthropocènologues ». Ils défendent à travers ce concept l’hypothèse que la géoingénierie – les techniques visant à manipuler l’environnement et le climat terrestre – est une solution aux problèmes écologiques. L’idée sous-jacente est simple : l’impact négatif de l’homme sur son environnement prouverait qu’il a désormais les capacités de le réparer.
Cette conception induit un lien fort entre l’homme et les machines, elle suppose que grâce à elles l’homme peut contrôler son milieu. Avatar 2, plus encore que le premier, présente sous un jour négatif ce lien à travers ses images et son récit : il est présenté comme contraignant et destructeur, il s’impose à l’homme pour sa survie et il dévaste son environnement.
Cette portée critique demeure ambiguë pour un film qui est une débauche de technique visuelle, comme l’était le premier volet. James Cameron est féru de nouvelles technologies. Avatar 2 ne suppose donc pas que la technique est mauvaise, mais il donne à voir l’inhumanité des machines lorsqu’elles sont employées dans un but de contrôle et de domination. Les humains sont absorbés dans les machines avec lesquelles ils commettent des actes cruels. Si l’Anthropocène est le règne de la technique, alors Avatar tient à montrer les dangers et la déshumanisation qu’entraîne une domination technique du monde.
Des enjeux futurs, pour la franchise comme pour l’humanité
L’Anthropocène, au-delà de sa dimension géologique, politique ou mythique, reste avant tout une « métaphore obsédante d’une angoisse » (Jean-Christophe Cavallin), celle de voir les conditions de vie sur Terre se dégrader inexorablement. Avatar 2 en montre une nouvelle forme.
Dans le premier volet, la conquête de Pandora avait pour objectif d’extraire un minerai permettant de régler une crise énergétique sur Terre. Le second volet expose un nouvel enjeu : Pandora doit être colonisée car « la Terre meurt » et l’humanité a besoin d’un nouveau foyer. Pour autant, l’intrigue centrée sur la vengeance de Quaritch évacue cette problématique. Le sort des terriens reste en suspens, mais les suites s’attarderont sans doute sur ces enjeux.
Espérons qu’ils sauront s’accommoder à ceux des Na’vis, puisque la force de la franchise Avatar est d’adopter le point de vue du peuple dominé et de légitimer ses actes, chose rare dans l’industrie hollywoodienne.
Pour le moment, en effet, les antagonistes sont des militaires et des industriels véreux. Qu’en sera-t-il lorsque des terriens, aux intentions moins belliqueuses, arriveront sur Pandora en quête d’un refuge ? Le film osera-t-il présenter l’ensemble de l’humanité sous un jour négatif ?
Les réflexions éthiques, écologiques et politiques autour de la colonisation spatiale sont d’actualité ; les suites d’Avatar, sur ce sujet, promettent d’être intéressantes. Elles ne manqueront pas également d’exposer de nouveaux liens aux angoisses et espoirs écologiques de notre temps, et ouvriront de nouvelles pistes de réflexion pour l’analyse de ce qui s’impose d’ores et déjà comme une franchise de l’Anthropocène.
Gatien Gambin, Doctorant en Études Culturelles et Littérature Comparée, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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