Les annulations marquantes de séries TV ne sont pas en aucun cas un phénomène nouveau. Les exemples sont légion. En 2002, Dark Angel, la série de James Cameron avec Jessica Alba, était annulée par la Fox pour miser sur une série de Joss Whedon, portée par Nathan Fillion et… annulée à son tour. Deux publics traumatisés pour le prix d’un ! Souvenez-vous aussi de John Doe et tant d’autres, qui n’auront jamais eu de fin.
À l’ère de la SVOD, les services de streaming peuvent être des sauveurs. Netflix n’est pas en reste dans le domaine du rachat de droits pour produire une fin ou plusieurs saisons : Lucifer, Designated Survivor, Breaking Bad, Manifest, You, The Killing, Gilmore Girls.
Pourtant, le même service s’attire en ce moment les foudres de sa propre communauté d’abonnés. En cause : une hécatombe d’annulations de séries, pourtant très aimées.
Le taux de complétion est plus important que le top 10 ?
L’excellente série fantastique des créateurs de Dark, baptisée 1899, n’aura jamais de saison 2, malgré un succès critique. De même, la très populaire Warrior Nun, dont la saison 2 a battu un record de Netflix avec 99 % de commentaires positifs sur Rotten Tomatoes, et longtemps restée dans le top 10, n’aura jamais de saison 3. Côté animation, c’est la très sympathique Inside Job qui s’arrête. La liste est beaucoup plus longue : First Kill, Drôle ou encore The Midnight Club, tout récemment.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le public voit rouge : en cause, la sensation que s’engager dans le visionnage d’une nouvelle œuvre n’a aucun intérêt puisque peu de séries survivront à leur saison 1 ou à leur saison 2 — et n’obtiendront donc pas forcément de véritable fin.
Là encore, le phénomène n’est pas nouveau. Ce n’est pas parce qu’une série est très aimée d’une communauté qu’elle survit : il faut que les audiences suivent afin que la production soit bénéfique. Et cet argument purement économique ne prend malheureusement quasiment pas en compte les aspects artistiques.
Mais dans le cas de Netflix, quelques éléments peuvent venir brouiller les pistes de l’analyse d’une « bonne audience » : l’équilibre entre le top 10, le nombre d’heures visionnées et le taux de complétion (completion rate). Cette dernière statistique semble être devenue la clé déterminante pour que le service de SVOD décide de l’avenir d’une production.
Par exemple, 1899 est longtemps restée dans le top 10 des séries les plus vues du moment, mais cela n’a rien changé. First Kill a cumulé 100 millions d’heures vues, contre 50 millions d’heures vues pour Heartstopper, alors que First Kill fut annulée. Oui, mais combien de personnes sont-elles restées jusqu’au bout ? Le taux de complétion n’est que de 32 % pour 1899. Un tiers des spectateurs et des spectatrices ont tout vu : cela signifie que ce même nombre de personnes, voire moins, aux yeux de Netflix, regardera la suite.
Cette règle semble être devenue universelle comme le montre Forbes :
Séries renouvelées :
- Heartstopper : taux de complétion de 73 %
- La Défense Lincoln : taux de complétion de 56 %
- Arcane : taux de complétion de 60 %
- Love Death & Robots : taux de complétion de 67 %
Séries annulées :
- First Kill : taux de complétion de 44 %
- 1899 : taux de complétion de 32 %
- Les Irréguliers : taux de complétion de 41 %
- Resident Evil : taux de complétion de 45 %
Vous l’observez : une série doit passer au-delà des 50 % pour espérer survivre à l’annulation. Le classement en top 10 n’est qu’indicatif et met en avant les nouveautés, qui attirent forcément la curiosité. Contrairement à La Défense Lincoln, Resident Evil est restée top 1 longtemps, mais son score de complétion est bien inférieur. D’autres éléments entrent probablement en ligne de compte quant au coût de production : en tant que série SF, Resident Evil coûte plus cher que La Défense Lincoln, drama judiciaire.
Est-ce une bonne stratégie ?
Il est évident qu’une chaîne ou qu’un service de streaming ne puisse pas produire excessivement à pertes. Ce que la stratégie du taux de complétion ne prend toutefois pas en compte : la capacité des séries à fidéliser dans le temps. Une œuvre peut mettre du temps à se roder et à trouver son public. Une communauté solidement constituée au long terme est une assurance de fidélité.
On le voit avec le mouvement visant à sauver Warrior Nun, d’une ampleur hors du commun : 4 millions de tweets en quelques jours et plus de 25 000 dollars rassemblés par les fans pour des billboards.
Paradoxalement, d’ailleurs, la stratégie de rachat de Netflix repose sur ce phénomène. Lucifer a été sauvée, parce que les fans se sont mobilisés. Et une série comme Manifest ne faisait pas d’excellents scores d’audience sur NBC, mais trouvait massivement son public dans le temps une fois que les saisons arrivaient sur Netflix.
En installant ses choix sur le taux de complétion, Netflix mise sur la fidélisation, certes. Mais une vision statistique de celle-ci. Une communauté et de bonnes critiques sont aussi une valeur commerciale : cela donne envie de continuer à payer son abonnement pour des œuvres que l’on aime, dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Cela laisse une chance aussi à des œuvres plus singulières de s’imposer, comme Dark, justement.
Il reste cependant difficile de croire que les fans de 1899 ou de Warrior Nun seraient prêts à annuler leur souscription… Netflix de nouvelles œuvres faisant événement à leur sortie. C’est un cercle vicieux déjà connu du Peak TV : plus on produit, plus des œuvres risquent de s’arrêter. En 2022, Netflix a annulé 19 séries ; contre 11 en 2021. Mais en 2022, le service SVOD a aussi diffusé davantage de séries.
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