Dwarf Fortress n’est pas tout jeune : son histoire débute en 2002, quand deux frères (Tarn et Zach Adams) se lancent dans le développement de ce qui deviendra le projet de leur vie. Un jeu de gestion d’une forteresse de nains, qui veut simuler tout un tas de systèmes complexes et proposer une expérience à la fois profonde et organique. À vrai dire, il est même souvent considéré comme un simulateur plutôt qu’un jeu, tant ses mécaniques sont nombreuses et détaillées. Les nains entretiennent des relations, ressentent des émotions complexes, ont tous une histoire unique et vivent leur vie dans un vaste écosystème.
Expliquant qu’il faudra attendre au moins 2030 pour la version 1.0 du jeu, les frères Adams ont déjà passé une vingtaine d’années à en peaufiner les mécaniques et à ajouter du contenu, ce qui en fait sans doute le jeu de gestion le plus complexe jamais créé. Seulement voilà, il y a un hic – pendant vingt ans, Dwarf Fortress ressemblait à cela :
La seule version du jeu, distribuée gratuitement selon un modèle freeware depuis 2002, avait un rendu graphique en ASCII — entièrement fait de caractères textuels. Ce point ne facilitait pas la prise en main, d’autant que cette ancienne version n’était jouable qu’au clavier et était dépourvue de didacticiel. Vouloir apprendre en jouant sur sa version originale était l’assurance de passer des dizaines d’heures à regarder des tutoriels sur YouTube et d’éplucher le wiki du jeu pour apprendre à lire l’écran. Heureusement, une nouvelle version du jeu est sortie sur Steam le 6 décembre 2022 et amène avec elle un didacticiel, un rendu graphique qui ne donne plus envie de se crever les yeux et la compatibilité avec la souris (dieu merci). Cela peut sembler anodin, mais cette nouvelle version est en vérité une petite révolution. Elle ouvre les portes de ce fantastique jeu au commun des mortels.
Dwarf Fortress, avant d’être un jeu de gestion, est un raconteur d’histoires. Cela se sent dès la création d’une première partie, lorsqu’il faut paramétrer et générer le monde dans lequel se déroulera notre aventure. Le jeu ne génère pas simplement un monde figé dans le temps pour notre beau plaisir. À la place, il va créer une gigantesque carte générée procéduralement, la remplir de créatures, de factions et de peuples variés. Il va surtout imaginer 100 ans d’histoire avant même que la partie ne commence. Tous les éléments de Dwarf Fortress interagissent entre eux : les peuples peuvent se livrer la guerre, s’allier, migrer vers un nouveau territoire, imaginer leurs propres mythes et légendes, et même se faire écarteler par une créature magique qui aurait eu la bonne idée de passer par là. Le joueur n’est qu’un élément parmi tant d’autres dans cet univers, qui n’a pas besoin de lui pour vivre.
On débarque donc dans ce monde hostile avec une petite colonie de sept nains et une caravane pleine de provisions, en attendant d’installer un premier campement quelque part. La première règle à comprendre en jouant à Dwarf Fortress est qu’on ne déplace pas directement ses nains. Ils vaquent tous à leurs occupations sur la carte et, en fonction de leurs compétences (bûcheron, pêcheur, menuisier, forgeron…), on peut définir des priorités de travail qu’ils suivront en fonction des tâches à faire. Si on ordonne par exemple de miner une galerie et que les mineurs sont de bonne humeur, ils sortiront leur pioche. En revanche, si on demande d’aller couper des arbres à des nains dépressifs, malades ou trop alcoolisés, il y a de grandes chances pour qu’ils n’en fassent qu’à leur tête.
Les débuts de partie vont généralement consister à établir une première forteresse avec quelques lits, de quoi manger et de quoi boire. Une étape nécessaire qui permet de se donner le temps de récolter assez de ressources pour avoir une taverne, faire du commerce et accueillir des visiteurs une fois que le campement de fortune devient une base florissante.
Après quelques heures de jeu, l’arrivée des premiers métaux permet également de créer armes et armures pour équiper une petite milice, qui défendra la base des futurs envahisseurs et pourra même lancer des expéditions pour ramener du matériel ou des prisonniers. Ne vous emballez pas trop vite, il y a quand même peu de chances que vous en arriviez là dès la première partie — et c’est tout à fait normal.
L’autre grande force du jeu est en effet d’utiliser ses outils de génération complexes pour rythmer les parties. Si les mécaniques de gestion peuvent sembler assez classiques aujourd’hui (d’autant qu’elles ont servi d’inspiration à Rimworld, Prison Architect ou encore Oxygen Not Included), ce ne sont pas elles qui rendent les sessions de Dwarf Fortress inoubliables. C’est plutôt la myriade d’interactions et la quantité absurde d’événements qui font du jeu des frères Adams un titre si singulier. Dwarf Fortress surprend toujours, même après plusieurs centaines d’heures de jeu.
Même avec la meilleure des forteresses protégée par des dizaines de pièges, plusieurs milices qui montent la garde et des centaines de nains qui s’agitent pour la gérer au quotidien, le jeu trouvera toujours un moyen de rebattre les cartes et de générer des situations de jeu qui restent en mémoire pendant des mois. Je pourrais par exemple vous raconter cette partie où une femme lézard-garou de 216 ans a infiltré ma forteresse avant de contaminer la cinquantaine d’habitants qui se sont progressivement transformés en lézards. Ou encore la fois où j’ai demandé à un enfant de 8 ans de porter la pierre tombale de sa propre mère, avant qu’il ne fasse irruption dans un temple de ma forteresse pour y tuer trois personnes, rendu fou par le fantôme de sa mère qui le visitait chaque nuit.
Les échecs et les imprévus sont au cœur de l’expérience Dwarf Fortress, au point que la communauté en ait fait sa devise officielle, scandée sur les forums depuis une quinzaine d’années : « Losing is fun ! » (« Perdre est amusant ! »). Et, même après la fin d’une partie, la forteresse construite pendant des heures continue d’exister au sein du monde, et pourra être visitée par les nains d’une future colonie. On ne ressort jamais de Dwarf Fortress avec un sentiment de frustration, mais avec des histoires plein la tête, et la furieuse envie de lancer immédiatement une nouvelle aventure.
Attention, aussi formidable puisse-t-il être lorsqu’on en entend parler, Dwarf Fortress a encore du chemin à faire pour être une expérience véritablement plaisante — souris en main. Il reste un jeu aux contrôles austères, qui se contente encore du minimum en matière d’animations et de didacticiel. En outre, les menus ressemblent à un véritable labyrinthe lorsqu’on y met les pieds pour la première fois. Pour ne rien arranger, il n’est pour le moment jouable qu’en anglais et aucune traduction officielle n’est prévue, simplement parce que la tâche est trop compliquée.
Si vous êtes prêt à vous faire un peu violence en apprenant à y jouer, la sortie de la version Steam est un vrai petit événement dans le monde du jeu vidéo. Déjà écoulée à plus d’un demi-million d’exemplaires, elle a rendu ses créateurs millionnaires en quelques jours. Elle sert surtout de précieuse porte d’entrée pour toute une nouvelle communauté de joueuses et de joueurs désireux de découvrir cet insondable jeu. Considéré comme un monument du jeu vidéo, il est cité comme inspiration par les créateurs de nombreux titres devenus des références. De Minecraft à Terraria, jusqu’à FTL: Faster Than Light ou encore Project Zomboid.
Le verdict
Dwarf Fortress
Voir la ficheOn a aimé
- Une durée de vie inimaginable
- Les histoires qui se racontent à chaque nouvelle partie
- Attention, c’est très addictif
On a moins aimé
- Très austère, même avec un nouveau didacticiel
- Uniquement disponible en anglais
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