Autant mettre directement cartes sur table : l’autrice de ces lignes a un petit faible pour l’univers vintage de Xavier Dolan. De Mommy à Laurence Anyways en passant par Juste la fin du monde, le cinéaste québécois a su développer sa propre patte, tantôt légèrement étrange et tantôt totalement déchirante. Auteur et réalisateur de son premier film, J’ai tué ma mère, à seulement 19 ans, Xavier Dolan peut parfois agacer, par son statut de jeune prodige du septième art.
Pourtant, on vous rassure : La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé n’est pas réservée qu’aux fans absolus du trentenaire. Évidemment, si vous êtes déjà sensibles à son esthétique particulière teintée d’atmosphère nineties, vous vous sentirez comme un poisson dans l’eau pour apprécier ces cinq épisodes. Mais l’histoire de la famille Larouche, adaptée d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, secouera aussi les plus indifférents à son style, on vous le garantit.
Dans La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, disponible sur Canal+, on découvre Mireille, une thanatopractrice qui revient dans sa ville natale pour embaumer le corps de sa propre mère. Près de 30 ans après avoir quitté les siens, la quarantenaire va devoir faire face à ses trois frères, Julien, Denis et Elliot, mais surtout affronter un secret trop longtemps mis au placard…
Six Feet Under rencontre This is Us
Avec cette histoire de famille déchirée par le poids du mensonge, la première création télévisuelle de Xavier Dolan titille largement notre imaginaire de sériephile. On pense à Six Feet Under, Twin Peaks, Mare of Easttown et même parfois à This is Us, en suivant ces personnages sur deux temporalités, coincés entre les années 1990 et le présent. Mais le cinéaste a l’intelligence de ne pas utiliser ces flashbacks comme de faciles ressorts narratifs. Au contraire, ces excursions dans le passé semblent totalement naturelles, permettant simplement de distiller de précieuses informations, au compte-goutte, sur les personnages principaux.
Et parlons-en, justement, de ces protagonistes de la famille Larouche. On demande d’abord la sœur, Mireille, incarnée avec une aisance déconcertante par Julie Le Breton, surtout connue au Québec. Ce personnage féminin, brisé par le fameux événement de La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, s’impose comme la révélation de la série. À ses côtés, se trouvent Julien, l’aîné de la fratrie aux sombres secrets, Denis, le mec un peu paumé et Elliot, qui sort tout juste de désintox. Ensemble, ils composent une famille en mille morceaux, réunie pour la mort de Madeleine, leur mère, incarnée par la toujours prodigieuse Anne Dorval (Mommy, Le Coeur a ses Raisons).
La violence silencieuse du patriarcat
Comme souvent dans sa filmographie, Xavier Dolan met en scène des figures féminines indépendantes et d’une authenticité rare, jamais réduites à leurs rôles de mères, de sœurs ou d’amantes. Dans La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, les femmes sont clairement coincées dans une société patriarcale où la cruauté et la colère des hommes engendrent des ravages considérables. Si elles parviennent à s’en émanciper partiellement, en poursuivant une carrière politique comme Madeleine par exemple, les femmes restent toujours prisonnières des dégâts commis par les hommes. Pour la famille Larouche, tout part de là : d’une violence silencieuse, d’une haine brûlante de soi-même qui mène à un drame irréversible.
On ne va pas dévoiler ici les twists des cinq épisodes de la série, pour conserver la surprise intacte, mais La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé développe un propos sur les masculinités souvent toxiques et sur la culpabilité trop souvent portée par les femmes, lorsqu’elles sont victimes de violences. Une thématique déjà largement évoquée par The Handmaid’s Tale ou Big Little Lies, mais cette mini-série parvient à nous faire ressentir de réelles émotions fortes pour les personnages masculins. Tout ça en seulement 5 épisodes. Et pourtant, on n’aurait pas forcément parié sur notre attachement à des hommes aussi détestables, que l’on aurait plutôt mis à la poubelle. Seul petit bémol : quelques scènes de violence, notamment dans l’épisode 3, sont parfois insoutenables, voire un brin gratuites, à notre plus grand regret.
Rien n’est laissé au hasard dans la série
Si les intrigues de ce thriller québécois restent grandement terre à terre, Xavier Dolan s’autorise quelques incursions plutôt réussies dans le domaine du fantasme et du fantastique. Une façon d’explorer les traumas de ses personnages autrement, tout en rendant hommage à des classiques du genre. Le générique évoque ainsi la série Dexter, tandis que les musiques, composées par rien de moins qu’Hans Zimmer et David Fleming (Dune, la série The Last of Us), convoquent le meilleur de Danny Elfman, le complice musical de Tim Burton.
Sur le papier, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé peut donc sembler être un mélange surprenant, voire indigeste. Pourtant, les cinq épisodes forment un tout d’une grande cohérence, touchant parfois à la perfection, avec des plans dignes des plus beaux tableaux. Le réalisateur de Mommy nous a habitués aux séquences délicates, baignées dans une lumière nostalgique dont lui seul a le secret. Mais avec cette série, il semble culminer au sommet de son art : du Céline Dion en fond, comme d’habitude, des décors baroques, des effets de miroirs dans un plan-séquence dingue, une narration presque hors du temps… Dans cette série, où tout passe par les regards, les non-dits, mais aussi parfois par les engueulades et les hurlements, rien n’est laissé au hasard. Un tour de force, dont on sort clairement déboussolé, mais surtout un peu guéri de nos propres traumatismes. Merci, Dr Xavier et Mr Dolan.
Le verdict
La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé
Voir la ficheOn a aimé
- La queen Anne Dorval
- La queen Julie Le Breton
- La scène au téléphone de l’épisode 5
- Des moments de grâce sériels
- Et une petite thérapie au passage
On a moins aimé
- On en demande encore
- Mais avec un titre plus court, par pitié
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