The Last of Us et Station Eleven sont toutes deux produites par HBO. Mais, elles ont bien davantage en commun : elles sont adaptées, chacune, d’une œuvre considérée comme un monument. La première est issue du jeu vidéo PlayStation culte, conçu par le studio Naughty Dog. La seconde est tirée du roman d’Emily St. John Mandel, publié en 2014, succès mondial et pièce maitresse de la littérature contemporaine.
Joyau d’une beauté saisissante à tout point de vue, l’adaptation de Station Eleven n’a toutefois pas eu la mise en avant qu’elle méritait. On peut comprendre le premier frein, très contextuel : l’œuvre commence par une pandémie dévastatrice causée par une maladie respiratoire. Dystopique ? Déprimant ? Station Eleven n’est certes pas un bonbon feel good, mais elle ne répond en rien à de tels qualificatifs démoralisants. Tout au contraire, Station Eleven est un radeau de sauvetage.
C’est sur une scène de théâtre que tout commence. Arthur Leander, célèbre acteur, s’effondre sur les planches lors d’une représentation du Roi Lear. Au même moment, le monde sombre rapidement dans le chaos face une grippe mortelle. Et, c’est sur scène que tout continue : 20 ans après l’apocalypse, une communauté d’artistes appelée la Symphonie Itinérante parcourt cette région des États-Unis, suivant toujours la même route inlassablement, pour y interpréter des pièces de Shakespeare.
Plusieurs récits et destins s’imbriquent entre ces deux périodes, mais reliées par un fil rouge : une bande dessinée du nom de « Station Eleven ». Celle-ci est entre les mains de Kirsten — personnage dont on suit l’histoire à 8 ans, au moment de l’apocalypse, alors qu’elle interprète un rôle au sein de la pièce du Roi Lear ; puis à 28 ans, comme actrice au sein de la Symphonie Itinérante. D’autres tranches de vie, de plusieurs protagonistes, constellent ce tableau pré et post-apocalyptique, de manière déstructurée (non chronologique).
Survivre ne suffit pas
Le récit d’Emily St. John Mandel est certes celui d’une fin du monde, mais aussi et surtout celui d’une temporalité qui ne connaît ni début ni fin. C’est la fin d’un monde, tout au plus, déjà somnambule, déjà fantomatique. Tant que l’on continue à chanter, à peindre, à écrire et à aimer, l’apocalypse n’a rien brisé. Mais, elle a accru le poids du passé — comme tous ces effondrements récurrents à taille humaine, intérieurs ou sociaux. À ce problème ontologique, « survivre ne suffit pas », issu du tatouage de l’héroïne, la réponse d’Emily St. John Mandel est l’art. Ce que la série de Patrick Somerville (The Leftovers, Maniac) s’emploie à mettre en scène avec beaucoup de justesse.
Il en résulte une ode allégorique autant que charnelle à l’art. Station Eleven est une initiation libératrice à habiter le monde. C’est une œuvre qui crée du sens, qui harmonise sporadiquement la réalité — Kirsten enfant répond à Kirsten adulte. L’art culmine comme un liant fondamental chez les personnages autant qu’un moyen d’expression. « Kirsten se trouvait dans cet état d’apaisement qu’elle éprouvait toujours à la fin des représentations, le sentiment d’avoir plané très haut et de n’avoir pas complètement atterri, son âme cherchant à prendre son envol », narrait Mandel. C’est ce que l’on retrouve dans l’interprétation livrée par Mackenzie Davis (Kirsten à 28 ans) et Matilda Lawler (Kirsten à 8 ans).
Parfois suffocante dans sa mise en scène, comme bardée d’un poids impossible à formuler au début, et souvent mélancolique dans son écriture, ce n’est pourtant en rien une série oppressante ni lugubre. Station Eleven est un voyage émancipateur vers l’espoir, à découvrir et à vivre intimement. « I remember damage. Then escape. Then adrift in a stranger’s galaxy for a long, long time. But I’m safe now. (…) I don’t want to live the wrong life and then die. »
L’un des romans les plus importants de la littérature contemporaine a produit une série tout aussi souveraine, terriblement puissante et émouvante. Les larmes, bien sûr, couleront à chaque épisode. L’adaptation restera, aux yeux des lecteurs d’Emily St. John Mandel, une fresque incomplète en comparaison du roman, en particulier quant au « monde d’avant », et une approche un peu plus pesante dans la forme ; mais elle est réussie comme telle. Sans doute prendra-t-elle d’ailleurs toujours plus en valeur année après année.
Station Eleven est disponible en France sur le service SVOD Universal+ (accessible via Prime Video).
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