La question de la pénibilité des métiers est un sujet qui, soyons honnête, ne concerne pas vraiment un testeur de jeu vidéo. Néanmoins, rien que pour être allé au bout de Deliver Us Mars, je crois que je mérite un ou deux trimestres de cotisation de retraite offerts, tant je suis sorti vidé de cette petite dizaine d’heures de jeu. Pourtant, a priori, rien ne prédestinait cette suite de Deliver Us the Moon à devenir un tel chemin de croix.
Au cas où vous ne l’auriez pas fait à l’époque, il s’agissait d’un jeu d’exploration mêlant intimement narration et réflexion. Il nous faisait fouiller des stations spatiales pour découvrir une histoire savamment découpée. Il fallait aussi déjouer quelques puzzles et énigmes environnementales. Malgré un budget manifestement réduit et les contraintes d’une toute petite équipe, ce premier jet réussissait habilement à proposer une belle variété de situations, avec même quelques scènes spectaculaires qui nous happaient dans un récit mystérieux et assez haletant. Tout l’inverse de Deliver Us Mars…
Dans l’espace, personne ne vous entendra soupirer…
Disponibilité
Deliver Us Mars est disponible à compter du 2 février sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S, Xbox Series X et PC.
Sur le papier, Deliver Us Mars est une suite directe qui cherche à tirer profit des réussites de son prédécesseur, tout en essayant de gagner en envergure par l’ajout de nouveautés. Le souci, c’est qu’elle échoue peu ou prou sur les deux tableaux. On retrouve bien ce récit de science-fiction réaliste qui nous projette quelques décennies dans le futur. Tout part d’une Terre dévastée par les catastrophes climatiques et où l’humanité, au bord de l’extinction, n’a que ce qu’elle mérite. Tous les espoirs reposent sur la mission de trois astronautes envoyés vers Mars pour essayer de mettre la main sur une technologie révolutionnaire développée par d’anciens colons de la Lune. Notre jeune héroïne, Kathy, fait partie de ce trio de petits chanceux et Deliver Us Mars en profite pour raconter une histoire bien plus intime, nourrie par quelques flashbacks et une palanquée de saynètes trop sirupeuses et convenues.
L’aventure en elle-même paraphrase énormément Deliver Us the Moon, au point d’en reprendre la construction et de copier/coller des phases de jeu entières — comme les séquences de décollage en fusée qui perdent clairement de leur intensité. Mais, bizarrement, cette suite n’arrive pas à retrouver l’intelligence de son modèle dans l’exploration et les puzzles qui se trouvent posés là, sans la moindre logique par rapport à la narration et le cadre. La nouvelle mécanique de gameplay à base de faisceaux lumineux à orienter vers des récepteurs en est le parfait exemple. Quel ingénieur sain d’esprit concevrait un système de verrouillage aussi abscons ? Je préférerais encore chercher des codes secrets écrits sur des post-it collés çà et là… Le jeu en abuse tellement que cela crée des systèmes qui n’ont ni queue ni tête, au point que leur résolution n’a plus rien de gratifiant. On se sent juste soulagé de pouvoir enfin passer à autre chose.
Bienvenue en 2009
Mais le plus gros souci de Deliver Us Mars, c’est assurément sa réalisation. Entendons-nous bien, ce n’est pas grave d’assumer une certaine sobriété de ce point de vue. En me disant que je fais une sorte d’expérience retrogaming, je peux accepter de jouer sur ma PS5 en 2023 à un jeu qui ressemble à un truc moche, datant de l’ère PS3/Xbox 360. Là où ça coince, c’est qu’il y a une dissonance totale entre les ambitions du studio pour cet épisode et les moyens déployés. Tandis que Deliver Us the Moon cachait habilement ses faiblesses, cette suite les étale au grand jour, à l’image de ses personnages modélisés au burin et dont les animations faciales sont quasi impossibles à décrypter. Pourtant, manifestement fier, le jeu les exhibe à la moindre occasion — comme si l’on était dans une production d’Hideo Kojima ou de Naughty Dog.
Deliver Us Mars ajoute également beaucoup de phases de plateformes, là encore, persuadé qu’il a la trempe de je-ne-sais-quel Tomb Raider. Mais avec son moteur physique étrange (et pas seulement en raison de la force de gravité de la planète), des murs invisibles qui trahissent un level design bancal et, surtout, une maniabilité d’une rigidité sans nom, la frustration l’emporte très vite. C’est particulièrement le cas pendant les passages d’escalade, une autre grande nouveauté du jeu. Au-delà des animations, la mécanique basée sur l’usage coordonné des deux gâchettes (une pour chaque piolet) tape vite sur le système et s’enlise dans des séquences très lourdes (en particulier une certaine grotte de glace qui teste autant nos réflexes que nos nerfs).
Heureusement, le savoir-faire et la bonne volonté des développeuses et développeurs savent encore transparaître par moment dans Deliver Us Mars. Le jeu offre toujours cette sensation singulière d’explorer des lieux crédibles, dans un cadre qui laisse parfois entrevoir des paysages saisissants. Les virées en apesanteur ou dans les canyons couleur ocre balayés par des vents violents font leur petit effet et l’assemblage des pièces du puzzle narratif s’avère tout de même plaisant. Il y a quelque part, sous une épaisse couche de poussière orangée, un titre rempli de potentiel. KeokeN Interactive a juste une quinzaine d’années de retard, voilà tout.
Le verdict
Deliver Us Mars
Voir la ficheOn a aimé
- Certains passages intéressants
- L’orientation science fiction réaliste
- J’ai réussi à tenir jusqu’au bout
On a moins aimé
- Pas bien beau
- Histoire convenue pour persos geignards
- Les phases d’escalade et plateformes
Vous connaissez la fable de la grenouille qui veut devenir plus grosse qu’un bœuf, gonfle et finit par éclater comme un Nécromorphe sous la semelle d’Isaac Clarke, héros de Dead Space ? Il paraît que La Fontaine a directement été inspiré de Deliver Us Mars. Plutôt que de capitaliser sur les forces d’un premier épisode plutôt malin, ses créateurs et créatrices ont voulu voir grand et se sont empêtrés dans une série de problèmes qui transforment ce jeu d’aventure spatiale en virée épuisante.
Réalisation périmée, maniabilité maladroite et tout un tas de soucis de game design nous poursuivent tout au long d’un périple sur Mars qu’on aurait aimé bien plus paisible et dépaysant. Si c’est pour suer et trembler dans un jeu spatial, je préfère encore retourner sur l’USG Ishimura. Quitte à finir les nerfs en pelote, au moins ce sera pour de bonnes raisons…
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