Frey, pardonne-moi, mais nos chemins doivent déjà se séparer. J’ai d’abord apprécié ta fraîcheur et ton franc-parler, ta candeur et ton agilité. On avait même cette passion commune pour les chats mignons. J’aurais tant aimé que notre aventure dure plus longtemps. Mais je ne peux pas te suivre dans toute cette imperfection. J’étais prêt à oublier ce premier rencard qui n’avait pas été un coup de foudre non plus. J’imaginais même ce test de Forspoken, nom donné à ton épopée, comme une belle et immense déclaration d’amour. Il ne fera rien d’autre que la lumière sur tes défauts, hélas trop nombreux pour que nos dates se transforment en idylle. Frey, pardonne-moi.
Forspoken est le premier pétard mouillé de l’année 2023. Pourtant, sur le papier, il avait le squelette pour devenir un classique instantané : un univers 100 % inédit, porté par une héroïne a priori charismatique (ce n’est pas tout à fait vrai), un studio qui a tout à construire après avoir participé au développement de Final Fantasy XV, un moteur graphique prometteur et un éditeur — Square Enix — qui sait y faire quand il faut lancer des nouvelles licences. Cet attrait pour le 100 % nouveau aurait dû accoucher d’un projet empilant les éloges. À l’arrivée, Forspoken n’est rien d’autre qu’un empilement de mauvaises idées, aboutissant à une expérience d’une médiocrité abyssale. Pour un jeu qui se rêve en héritier d’Alice au Pays des Merveilles, il nous pose un sérieux lapin.
Forspoken est à oublier, de A à Z
Forspoken nous conte l’histoire de Frey, New-yorkaise paria au passé trouble, qui a bien envie de se faire la malle après avoir empilé suffisamment de billets pour fuir sa réalité — en compagnie de sa chatte prénommée Homère. Hélas, elle va être happée dans le royaume d’Athia, un monde au bord de l’implosion après l’apparition d’une mystérieuse brume ayant même corrompu les quatre figures chargées de protéger les autochtones. Accompagnée d’un bracelet étrange, et très bavard, Frey n’est clairement pas au bout de ses surprises.
Si vous avez lu ne serait-ce que trois œuvres de fantasy dans votre vie, alors vous ne serez jamais surpris par ce que cherche à raconter Forspoken. On est clairement dans l’archétype de l’héroïne qui débarque de nulle part, subitement obligée de s’improviser sauveuse d’un peuple qu’elle ne comprend pas, ni ne la comprend. On peut deviner le dénouement à l’avance, sachant qu’il n’y a strictement aucun effort de mise en scène pour rendre le tout plus digeste — et moins générique.
Malgré les injures incessantes de Frey (qui nourrit une vraie appétence pour le mot « p***** ») et le peu d’empathie qu’on ressent pour elle, Forspoken peine à masquer son manque d’identité. Il y a par ailleurs un vrai problème de ton : par son sarcasme trop appuyé, le jeu parle beaucoup pour le peu qu’il a à dire. En se voulant trop décomplexé, notamment avec ses gags à la MCU (Marvel Cinematic Universe), l’intrigue sabote l’installation des rares enjeux dramatiques. À force de s’en ficher de tout, on n’a plus envie de croire en rien. Un comble pour de la fantasy.
Tout est un peu quelconque, de la direction artistique qui mélange tout et n’importe quoi (le look des soldats…) à la réalisation globale. Pire, Forspoken donne parfois l’impression d’être une véritable bouillie, que ce soit artistiquement et graphiquement. Pour une exclusivité PlayStation 5 (sur le segment des consoles), le titre de Square Enix est loin de susciter l’extase. Les visages manquent d’expressivité, les arrière-plans sont risibles, certaines textures font peine à voir… C’est dommage, car certains effets visuels valent vraiment le détour (au diable la visibilité), entre autres détails qui attirent le regard (les textures au sol à proximité, par exemple, sont chiadées). La caution next-gen est à aller chercher du côté des temps de chargement, il est vrai hyper réduits, ainsi que des bonnes sensations à la DualSense. On a naïvement pensé que Forspoken serait l’un des plus beaux jeux de la PS5. Il faudra revoir sa position, surtout en choisissant le mode d’affichage axé sur la performance (au moins, c’est fluide).
Un gameplay neuneu derrière des systèmes complexes
Ma carrière de journaliste spécialisé dans les jeux vidéo m’a amené à côtoyer le pire en matière de productions vidéoludiques. Dans certains, il a fallu que je me force pour aller au bout. Forspoken est loin d’être la pire expérience à laquelle j’ai joué, mais son gameplay bancal m’a sérieusement compliqué la tâche. C’est peut-être la première fois que je n’avais pas envie de lancer une partie, même sous la contrainte professionnelle et alors que j’ai connu et fini des jeux bien plus ratés ces dix dernières années. Le constat est vraiment accablant pour Forspoken, où tout est flou — à la fois dans les systèmes imbriqués que le feeling.
Les premières heures de Forspoken sont dramatiquement décourageantes. Il y a d’abord la manière dont Frey bouge. On a l’impression qu’elle est constamment jonchée sur des patins à glace, ce qui rend ses mouvements très imprécis, voire aléatoires. Le système de Parkour, qui lui permet de voltiger et d’aller un peu partout, n’arrange rien. Après dix heures de jeu (le temps qu’il m’a fallu pour voir le générique de fin), je n’ai toujours pas compris où le jeu m’autorise à aller. À ces déplacements chaotiques s’ajoutent des combats qui deviennent vite insipides — sauf dans les ultimes instants (par certains que beaucoup iront jusque-là). Et on vous épargnera les séquences d’infiltration risibles, pendant lesquelles Frey est immobile, le temps que l’ennemi lâche sa vigilance.
Durant plusieurs chapitres, le gameplay fait du surplace, donnant l’impression qu’on fait toujours un peu la même chose quand on se défend. Concrètement, Frey a accès à des sorts de défense et à des pouvoirs offensifs, chacune des familles étant attribuée à une gâchette (gauche pour la défense, droite pour l’attaque). Puis, les développeurs multiplient les mécaniques complexes. Des couleurs ajoutent des possibilités, des défis hyper spécifiques doivent être remplis pour gagner en puissance, l’équipement peut influencer les caractéristiques (on peut même se vernir les ongles !). En dépit de cette progression sur de multiples couches, on résumera quand même la plupart des affrontements inutilement longs comme tel : matraquer la gâchette R2, au point de ressentir une douleur dans l’index (astuce : penser à réduire la force des gâchettes adaptatives dans les menus).
Bref, derrière une profondeur mal vendue, sinon mal amenée, Forspoken est d’une vacuité effarante. Il met à disposition beaucoup de choses, pour si peu de finalités. Il n’y a peut-être que le dernier boss, pour montrer un soupçon de potentiel dans toutes les possibilités que le titre se donne la peine d’offrir. Et ne comptez pas sur un quelconque attrait pour l’exploration : non seulement les décors sont vides, mais, en prime, les quelques tâches annexes qu’ils contiennent ne sont pas très intéressantes (beaucoup de combats). Heureusement qu’il y a des petits chats mignons pour motiver les férus de cet animal aux oreilles pointues. Sans eux, j’aurais probablement lâché l’affaire sans le regretter une seule seconde.
Le verdict
Forspoken
Voir la ficheOn a aimé
- L’héroïne est attachante
- DES CHATS MIGNONS !
- Le sentiment de puissance, malgré tout
On a moins aimé
- Gameplay qui manque de finitions
- Aucun effort dans la narration
- Visuellement, c’est décevant
On a pour habitude de dire que tout ce qui est excessif est insignifiant. C’est le constat implacable qui s’applique à Forspoken. En empilant les mauvaises idées, ce jeu plein de promesses se transforme en cruelle désillusion pour l’héroïne, qu’on a envie d’aimer, et pour la joueuse ou le joueur, qu’on a envie de plaindre.
Forspoken n’est pas suffisamment beau pour faire rêver les propriétaires d’une PS5. Son gameplay n’est pas suffisamment irréprochable pour le conseiller les yeux fermés. Enfin, ce qu’il raconte n’est pas suffisamment mis en valeur pour éviter l’impression qu’il parle beaucoup pour cacher la misère. La première déception de 2023 porte un nom, et c’est tombé sur Forspoken.
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