Pour beaucoup de joueurs et joueuses, la sortie de Hogwarts Legacy : L’Héritage de Poudlard le 10 février 2023 est un événement. Le jeu vidéo, développé par le studio Avalanche, était attendu de pied ferme par de nombreux fans de la saga Harry Potter depuis l’annonce de sa sortie en septembre 2020. Le jeu est à tel point populaire qu’avant même son lancement officiel, il a battu des records de visionnage sur Twitch. Certains médias voient déjà en lui un potentiel jeu de l’année 2023, après le succès d’Elden Ring en 2022.
Mais, Hogwarts Legacy n’arrive pas sur le marché de façon simple et triomphale, en grande partie à cause des propos transphobes tenus par J.K. Rowling, l’autrice des romans Harry Potter dont s’inspire le jeu. Des internautes ont même fait apparaître les tags « Transphobic » et « Transphobia » sur la page Steam du jeu, et sont nombreux à appeler au boycott du jeu. Dans la communauté LGBTQI+ française, entre le refus d’enrichir J.K. Rowling et l’envie de retrouver l’univers de Harry Potter, les avis sont partagés.
Que reproche-t-on à Hogwarts Legacy ?
Pour bien comprendre ce dont il est question, il est essentiel de savoir ce qui est reproché à Hogwarts Legacy. Numerama a consacré tout un article aux nombreuses controverses qui entourent le jeu. Pour résumer, le titre est critiqué pour plusieurs raisons :
- La transphobie de J.K. Rowling. Bien que l’autrice n’ait pas pris part à la conception du jeu vidéo, et qu’il soit possible d’y incarner des personnages trans, sa proximité avec l’univers gêne beaucoup. Surtout, la vente des jeux rapportera de l’argent à cette dernière.
- La représentation des gobelins dans l’univers du jeu, qui évoque des caricatures antisémites. Ces créatures sont décrites comme ayant un nez crochu et dirigeant les banques dans le monde des sorciers, ce que certains médias voient comme des clichés à l’encontre de la population juive.
- La situation des elfes de maison, réduits en esclavage par les sorciers. Les premiers extraits du jeu ne laissent pas penser qu’ils remettent en question leurs conditions de vie, ni qu’ils critiquent leur asservissement.
- Les propos misogynes de l’ancien lead designer du jeu, qui a depuis démissionné.
C’est essentiellement le premier point qui est soulevé dans les débats en ligne sur le boycott du jeu. Les insultes et les prises de position transphobes de J.K. Rowling ont fait de l’achat du jeu une question sensible, qui polarise les fans de Harry Potter et de jeux vidéo.
Ces épineux débats combinent plusieurs thématiques extrêmement polémiques : l’éternelle question de la séparation de l’œuvre et de l’artiste, et les droits des personnes trans, constamment attaqués par des représentants de l’extrême droite.
Harry Potter, « c’est quand même une part de notre enfance »
« J’ai grandi avec les films et les livres Harry Potter, c’est quelque chose de très symbolique pour moi », raconte au téléphone Emma, une jeune femme trans de 17 ans. « Dès que j’ai appris à propos des propos transphobes de J. K. Rowling, ça m’a fait un choc. Je ne m’attendais pas à ce que l’héroïne de mon enfance tienne ce genre de propos, mais l’univers de Harry Potter restera toujours magique pour moi. »
« Certains étaient surpris qu’en tant que gay, je puisse attendre la sortie du jeu », abonde Julien, qui a accepté de témoigner pour Numerama. Lui qui est un « grand fan depuis tout petit des livres, films et de l’univers » indiquait attendre avec impatience la sortie du jeu. « Personnellement, je dénonce les propos de J.K. Rowling et je fais la part des choses. Pour moi, on peut la cancel elle, sans pour autant cancel son œuvre, où je ne vois pas a priori de transphobie. Et c’est quand même une part de notre enfance ».
« Comme beaucoup de gens sûrement, ça a été un vrai choc quand J.K. Rowling a commencé ses discours anti-trans », nous explique quant à elle Lou, une fan de longue date de l’univers de Harry Potter, qui se définit aujourd’hui comme gender-queer. « Je ne comprends pas comment quelqu’un qui a écrit Harry Potter, que je percevais comme une histoire sur l’acceptation des différences, d’amour, de partage, de respect, pouvait avoir de tel propos. »
L’attachement aux livres et à l’univers de Harry Potter est l’un des arguments revenus le plus souvent dans nos interviews. Pour toute une génération, qui a grandi avec les films ou les livres, le monde des sorciers a été d’une grande influence, et a même parfois été un refuge. Aujourd’hui, le décalage entre l’œuvre et sa créatrice est plus évident que jamais pour ces fans — mais il ne les empêche pas forcément d’avoir envie d’acheter Hogwarts Legacy.
Emma a ainsi précommandé le jeu, et « après de longues réflexions par rapport à ce que tout m’avait apporté la licence Harry Potter », Lou a également décidé d’acheter Hogwarts Legacy, pour « continuer à partager l’amour et les valeurs que cette licence défend ». « Les positions d’une personne, même si elle est la créatrice de l’œuvre originale, ne doivent pas entacher le positif que cela a pu nous apporter », estime Lou. « J’ai un côté de moi qui me dit que c’est un beau symbole, que malgré ses problèmes avec nous, des personnes queers et trans peuvent s’approprier la licence et continuer à partager de l’amour. »
Le boycott pour ne pas enrichir J. K. Rowling
Parmi les membres de la communauté LGBTQ+, ils sont également nombreux à appeler au boycott. C’est le cas de Haïssam, une femme trans qui travaille depuis plusieurs années dans le milieu du jeu vidéo, qui ne va pas acheter Hogwarts Legacy. « Je partage tout le discours qui dit qu’il vaut lieux éviter d’acheter le jeu, et je suis reconnaissante aux gros sites qui boycottent. »
Le studio a essayé de se distancer des propos transphobes de J. K. Rowling, notamment en permettant aux joueurs d’incarner des personnages trans et en incluant dans le jeu un personnage trans (non jouable). Mais, pour Haïssam, cela reste une position hypocrite. « Ça a l’air d’être un perso très secondaire qui n’est là que faire coucou et être l’excuse », estime-t-elle. « Les gens vont avoir l’impression de soutenir la lutte trans, mais tout ce qu’ils vont faire, c’est donner de l’argent à J.K. Rowling, qui financera des campagnes de haine qui seront plus bien plus fortes que l’impact positif que pourrait avoir le jeu. »
Au téléphone, elle tient également à fustiger l’argument selon lequel un boycott pénaliserait les artistes ayant participé au développement du jeu. « Je me suis distanciée des gros studios qui parlent au nom des employés et qui disent qu’on va leur faire du mal si on n’achète pas les jeux », explique-t-elle. On ne peut que penser aux propos de Troy Leavitt, l’ancien lead designer du jeu : il mentionnait sur Twitter que le studio distribuait « toujours des bonus généreux » aux employés. C’est le cas, mais il utilisait cette information pour décrédibiliser les tentatives de boycott.
« C’est un peu une récupération du débat, et je pense que c’est trop simplifié de le résumer à ça. Par exemple, le dernier jeu sur lequel j’ai bossé, l’éditeur a poussé pour inclure du contenu sur lequel on n’était pas trop en accord. Si les gens ne sont pas okay pour l’acheter, ça ne me dérangera pas. » De toute façon, pour elle, les critiques contre le jeu restent « superficielles » : « il faut moins parler du jeu, et plus parler des actions qu’il faut faire contre les transphobes », comme combattre les mesures bloquant les accès aux soins pour les personnes trans.
Elle ne tient cependant pas à blâmer les personnes qui comptent acheter le jeu : pour couvrir ce débat, elle estime qu’il faut de la nuance, et qu’il ne faut pas que les personnes trans « servent de caution » pour les personnes qui voudraient acheter ou non le jeu. « On nous bassine toute la journée avec cette histoire-là. On est un peu ‘fliquées’ en tant que femmes trans pour savoir ce qu’on va dire sur le jeu, est-ce qu’on va pouvoir rassurer les gens en disant que c’est ‘bon on va l’acheter nous aussi‘ », souligne-t-elle.
« C’est un peu égoïste »
Malgré les envies de réappropriations, même chez les personnes qui veulent acheter le jeu, beaucoup de doutes subsistent. Tommy, par exemple, voulait vraiment acheter le jeu. Mais, pour lui, « soutenir la créatrice lgbtphobe J.K. Rowling [était] vraiment insupportable », et il a décidé de militer « à sa manière ». « Je vais l’acheter, mais uniquement d’occasion auprès d’un particulier. Ce n’est pas une solution parfaite, mais cela limite au moins le soutien forcé envers Rowling. »
Quant à Julien, il avoue qu’il « culpabilise ». « Faire la part des choses, comme j’essaie de le faire, c’est aussi la position la plus facile, et c’est un peu égoïste. Si cela avait été des propos homophobes et non transphobes, j’aurais peut-être agi différemment et été plus radical. J’aurais sans doute plus hésité. »
Enfin, les personnes concernées sont face à la sempiternelle question : faut-il séparer les auteurs de leur création ? Lou, qui n’est « pas encore 100 % sûre » de sa décision, hésite en partie à cause de ça. « Ce sont des questions qui accompagnent ma vie, et des discussions que j’ai souvent avec mes amis, comme par exemple utiliser Amazon ou non, s’habiller chez telle ou telle marque, etc. », et pour lesquelles il n’y a pas toujours de réponses faciles.
Même réflexion chez Emma : « C’est important de dissocier l’univers, ça ne représente pas l’opinion de l’autrice. Je pense que c’est important de faire la distinction entre les deux. Le jeu a été fait par des développeurs et des artistes qui n’ont rien à avoir avec ça, et je trouve que c’est dommage qu’il y ait toute cette haine, et toute cette tension autours de la publication du jeu. »
Une « guerre civile » dans la communauté LGBT
La sortie du jeu survient dans un contexte très tendu, accompagné de réactions parfois violentes dans la communauté du jeu vidéo. Emma a ainsi beaucoup hésité à précommander le jeu « parce qu’il y a une diabolisation » des personnes qui souhaitent y jouer. Sur les réseaux sociaux, « des gens disaient que si on achetait le jeu, alors on était transphobe, et je pense que ce discours-là, il discrimine une partie de la communauté trans », regrette-t-elle.
En plus de potentiellement blesser les personnes LGBTQ+, un tel discours peut aussi être mobilisé par une partie de la population ouvertement transphobe. « J’ai vu plein de gens dire ‘si acheter le jeu c’est transphobe, alors moi je vais en acheter plein’, mais j’ai aussi vu des tweets qui disaient qu’une femme trans qui voulait acheter le jeu, comme moi, n’aurait du coup pas été une ‘vraie femme trans’ », confie Emma. « C’est terrible, parce que les personnes trans se font harceler, mais ces mêmes personnes qui sont offensées par le jeu harcèlent à leur tour d’autres personnes qui veulent juste y jouer. Ça fait un peu guerre civile de voir la communauté LGBT se déchirer comme ça. »
Finalement, à qui profite vraiment tout le buzz autour d’Hogwarts Legacy ? Le boycott aura-t-il réellement une incidence sur la popularité du jeu, et sur la façon dont J. K. Rowling se comporte ? « Je pense que ça va finir comme la plupart des boycotts, dans l’oubli, comme le boycott du mondial de football au Qatar. Les gens vont réaliser que ce qu’ils ont essayé de faire n’a servi à rien, et tout reviendra à peu près à la normale. » L’engouement suscité par le jeu, avant même qu’il soit sorti, est un fait qui semble donner raison à Emma. Il reste à voir si la communauté queer qui y jouera pourra se réapproprier le jeu, et si la « guerre civile » au sein de la communauté LGBT pourra se calmer un jour.
Il est important de terminer cet article en rappelant les dangers encourus par les personnes trans aujourd’hui. « Les mouvements TERFs [l’acronyme TERF, pour Trans-exclusionary radical feminist, est utilisé pour décrire les personnes qui excluent les femmes trans des luttes féministes, ndlr] restent un gros danger pour les droits des personnes trans », veut souligner Haïssam. « On est toujours aussi en train de se battre pour rendre les transitions plus accessibles, et c’est essentiel aujourd’hui. Les transitions sont très longues et ralenties par les appareils psychiatriques. »
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !