« Qui va s’abonner pour regarder Joséphine l’Ange Gardien ? » « Ah, super, des épisodes de l’Amour est dans le Pré en avant-première ! » « Génial, 7 euros pour regarder Plus Belle la Vie ! » Si Salto avait eu des oreilles, celles-ci n’auraient eu de cesse de siffler ces trois dernières années.
La plateforme de vidéo à la demande par abonnement française n’a pas eu droit au bénéfice du doute. Son nom s’est retrouvé associé à un four avant même qu’elle n’ait pu faire ses preuves. Les détracteurs peuvent se réjouir : Salto ferme ses portes, c’est officiel. France Télévisions, TF1 et M6 l’ont annoncé le 15 février 2023 dans un communiqué. Le service de streaming ne prenait déjà plus de nouveaux abonnés depuis quelques jours. Il sera désormais inaccessible après lundi 27 mars 2023.
Qu’importe l’angle de vue que l’on adopte, le constat est amer : Salto a eu peine à naître, peine à concurrencer, peine à séduire. La faute, certes, à des maladresses de ses actionnaires, mais aussi à de grandes barrières administratives, et des moyens trop faibles alloués, face aux mastodontes américains.
600 000 abonnés payants et des promesses
Salto aurait eu 630 000 abonnées et abonnés payants en 2022, selon les calculs de l’Informé, qui se base sur un chiffre d’affaires de 44 millions d’euros en 2022. Il ne s’agit pas d’une révélation fracassante : la Tribune parlait déjà, quelques mois plus tôt, de 900 000 abonnés au total, dont « entre 10 et 20 % » de comptes gratuits.
Difficile de faire le poids face aux 10 millions d’abonnés Netflix en France. Cependant, sur un marché qui commence à être saturé de plateformes (Netflix, Disney+ et Amazon Prime en tête), réussir à attirer un demi-million de Français, pour des contenus différents, reste une performance. Surtout lorsque l’on apprend que le chiffre d’affaires de Salto avait plus que doublé par rapport à 2021.
Salto n’était pas un « Netflix à la française », mais il a rapidement cessé de le prétendre. Si en 2018, la présidente de France Télévisions avait présenté le service comme un futur « champion européen qui pèse(rait) sur la scène mondiale », les éléments de communication de Thomas Follin, DG de Salto, étaient plus modestes : « D’ici une dizaine d’années, Salto ne sera pas incontournable dans le monde, mais Salto sera incontournable pour tous les publics français », assurait-il en 2020.
Le catalogue de Salto était bourré de surprises
TF1, M6 et France Télévisions s’étaient engagés à investir 80 millions de dollars par an dans Salto sur 3 ans ; une somme déjà revue à la hausse, mais insignifiante lorsqu’en face, Netflix peut dépenser 30 millions de dollars pour un épisode de Stranger Things, ou 13 millions pour un épisode de The Crown.
Salto n’a ainsi jamais eu les moyens de produire ses propres contenus originaux, là où ses concurrents se développent principalement sur ce créneau. Elle s’est néanmoins battue pour proposer des exclusivités en France (le spin-off de Sex and the City, grande réunion des castings de Friends, Harry Potter, le reboot de Charmed), des inédits (Yellowstone, All Americans) et des avant-premières (l’Amour est dans le Pré ou les autres émissions hebdomadaires de ses 3 actionnnaires).
Salto permettait ainsi à ses abonnés de découvrir, deux jours avant leur diffusion à la télé, de nouveaux épisodes de Demain nous appartient, Un si grand soleil, Ici tout commence et Plus belle la vie. De quoi générer, de-ci de-là, des blagues qui fleurent bon le classisme, méprisant des programmes français jugés trop peu qualitatifs pour mériter d’être bandits comme des arguments de vente. Mais ces programmes ont su fidéliser des utilisateurs.
De son côté, Thomas Follin voyait cet ancrage « quotidien » et « populaire » comme une force.
Salto a dû surmonter des barrières administratives
En plus des lourdeurs administratives classiques (qui ont « rendu dingue » Delphine Ernotte), Salto a été restreint par l’Autorité de la concurrence française — qui avait elle-même dû patienter des mois une réponse de l’autorité européenne.
Interdiction de faire de la pub gratuite sur les chaînes des trois groupes actionnaires, limiter les exclusivités, impossibilité de faire travailler les salariés de TF1, M6 et France Télévisions sur le projet… Les contraintes étaient nombreuses.
La fin de Salto est concomitante avec l’échec de la fusion entre TF1 et M6, qui auraient pu reprendre le service de streaming à eux deux. Se déploie désormais l’hypothèse d’un paysage fragmenté de la SVOD française, où chaque groupe y va de sa plateforme en « max » (MyTF1 Max, 6Play Max). À ce jour, seul le groupe France Télévision parvient à tirer son épingle du jeu avec France TV Slash, son service gratuit et moderne, à l’identité éditoriale marquée et aux productions exclusives qualitatives.
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